Parmi les pays africains victimes d’un hold up électoral durant des décennies, le Cameroun figure dans la liste de ceux qui peinent à retrouver une alternance politique salvatrice pour son peuple. Le Niger, la Guinée et la Mauritanie avaient eu également leur lot de dictateurs à la même époque, mais très vite ils ont pu organiser leurs présidentielles, rétablir convenablement leurs relations avec leurs populations respectives et partant se faire une place dans le concert des nations.
Malgré les multiples efforts de recherche de sortie de crise et l’annonce d’un calendrier électoral dont une présidentielle prévue au mois d'octobre 2018, le pire est à craindre pour le Cameroun. L’opinion appréhende le glissement vers une situation proche de la longue crise ivoirienne (2002-2011) et un chaos post-électoral.
En effet, il y a de quoi à s’inquiéter sérieusement, vu que la similitude entre les deux crises est troublante : une crise anglophone battante, pas de dialogue avec les protagonistes des deux régions anglophones complètement coupées du reste du pays, confusion de compétences au niveau des juridictions électorales, laxisme, corruption etc..
Crise anglophone
Au Cameroun, les deux régions anglophones continuent de sombrer dans la violence. Une situation qui perdure depuis 2016.
La brutale répression, par les autorités, des militants des régions anglophones a poussé la frange la plus radicale du mouvement à s’armer et à lancer des actions de représailles. Le mouvement s’est durci, les opérations «ville morte» se multiplient, et les manifestations virent de plus en plus souvent à l’émeute. Des bâtiments officiels sont pris pour cibles et incendiés. Les forces de sécurité tirent à balles réelles. Des groupes armés, dont les Forces de défense d’Ambazonie, se constituent pour répondre à la violence par la violence. Les sécessionnistes, considérés jusque-là comme très minoritaires au sein du mouvement anglophone, gagnent en popularité sur le terrain.
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Des centaines d’assassinats de gendarmes ont été, en effet, répertoriés dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, siège d’une insurrection de militants sécessionnistes qui exigent de Yaoundé la partition du pays en deux Etats.. Une option à laquelle sont radicalement opposées les autorités camerounaises
Si les sécessionnistes se disent aujourd’hui favorables à un dialogue avec Yaoundé, aucun geste d’apaisement n’est visible dans le camps des autorités de Yaoundé qui campent sur leurs positions. Le gouvernement est prêt à défendre vaille que vaille l’intégrité de la nation, tandis que les sécessionnistes refusent de déposer les armes et semblent prêts à mourir pour leurs aspirations.
C’est dans cette atmosphère de mi-guerre que le Cameroun s’apprête à aller à l'élection présidentielle le 7 octobre 2018. Le vote dans les zones en conflit interpelle du fait de l’insécurité qui y règne, avec des enlèvements et meurtres à répétition. Si des élections devaient s’y tenir dans les conditions actuelles, elles pourraient bien souffrir d’un manque de crédibilité et d’un manque de représentativité.
Dans les régions anglophones du Cameroun, des groupes armés se professionnalisent et s'organisent de plus en plus. Les commissariats et brigades de gendarmeries attaqués par les groupes armées sont dépouillés de leurs armes et munitions.
Dans les villes et villages des régions anglophones, les jeunes sans emploi sont recrutés et gonflent les rangs des forces armées dits de l'Ambazonia
Toute proportion gardée, cette situation fait penser au rôle joué par les Forces Nouvelles et son incontournable Chef Guillaume Kigbafori Soro dans l’ancienne crise ivoirienne.
Certes, les Forces Nouvelles ne faisaient pas partie de l’armée légale ivoirienne, mais leur poids sur l’échiquier politique ivoirien était tel que les médiateurs de la crise ivoirienne ne pouvaient avancer dans la moindre rencontre destinée à la recherche de sortie de crise sans la participation de Guillaume Soro. A un point tel que l’ancien Président Laurent Gbagbo, vraisemblablement las de son intransigeance à ne pas désarmer sa troupe rebelle, en dépit de multiples accords de paix signés, fut contraint à le nommer le 26 Mars 2007 comme Premier Ministre, au nom d’un gouvernement de réconciliation nationale, après l’avoir confié successivement le Ministère de la Communication (Février 2003), Ministère d’Etat de la Construction (Décembre 2005).
Six ans plus tard, l’actuel Président ivoirien, Monsieur Alassane Ouattara n’a pu faire mieux que de se plier aux caprices du patron des Forces Nouvelles en le désignant à la fois Premier Ministre et Ministre de la Défense avant que ce fils du Nord n’atterrisse, grâce à un forcing juridique- étant donné son âge au moment de la candidature, à l’Assemblée Nationale pour en être le Président (12 Mars 2012).
Moralité : Quand l’armée, au lieu de faire valoir son rôle régalien, interagit dans la politique, la recherche de sortie de crise en subit les contrecoups en ce sens où la loi du plus fort prime, de façon à favoriser une instabilité permanente préjudiciable à toute volonté d’instaurer une paix durable, préalable à l’organisation d’une élection présidentielle crédible.
Négociations bloquées
Plusieurs acteurs politiques camerounais ont tout fait pour obliger le pouvoir actuel à Yaoundé à trouver une issue favorable à la crise anglophone. Plusieurs médiateurs se sont proposés et le pouvoir de Yaoundé a toujours dit niet... Répondant par la violence aveugle qui a fini par envenimer la situation sur le terrain.
Confusion de compétences au niveau des juridictions électorales
Pour le cas du Cameroun, tous les textes juridiques pour la gestion des élections sont là. Néanmoins, sans me verser dans un décryptage juridique, j’ose affirmer que rien ne garantit que ces instruments puissent nous épargner d’une crise post-électorale d’autant plus que, la confusion entre le pouvoir et celui de Elecam est réelle.
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Dès lors, l’éventualité d’un désordre post-électoral est plus qu’évidente, dans le mesure où cet embrouillement en termes de compétence peut nous causer les mêmes embarras que les ivoiriens .
Avec une élection présidentielle à un seul tour, Elecam risquerait d’être contredit par l'opposition et inversement, à l’instar de la contradiction des résolutions prises par les deux organes électoraux ivoiriens, à savoir le Conseil Constitutionnel et le Conseil Electoral Indépendant ; le candidat Laurent Gbagbo a été reconnu par le premier comme étant le vainqueur, alors que le CEI et la Communauté Internationale insistaient et juraient sur la victoire du candidat Alassane Ouattara. De là est venu, d’ailleurs, tout le chaos dont nous connaissons tous l’ampleur. Si on ajoutait à nos Elecam et Minadt, notre pays s’exposerait à un beau cafouillage post électoral et risque de vivre le même chaos ivoirien.
En définitive, notre risque de vivre le schéma ivoirien de sortie de crise est bien réel. Tous les ingrédients sont réunis pour que nous débouchions dans une impasse politique, voire une regrettable guerre engendré par le pouvoir en place et des politiciens corrompus (G20) pour apporter leurs soutiens à ce pouvoir en place depuis plus de 35 ans
Il est grand temps qu’on s’achemine vers une vraie réconciliation nationale afin d’aplatir tous les différends et repartir sur de bonnes bases.