L’arrivée le 30 août dernier du général Brice Oligui Nguema à la tête du Gabon après avoir renversé le président Ali Bongo a suscité de l’espoir auprès des gabonais. Qu’en est-il cent jours après cet évènement ?
S’il y a eu de l’euphorie dans toutes les contrées du Gabon, le matin du 30 août dernier juste après l’annonce de la prise de pouvoir par l’armée à Libreville, c’est parce que « les gabonais avaient soif de changement », analysait sur les antennes de BBC Afrique, Petit Lambert Ovono, analyste gabonais des politiques publiques.
Le pays venait de passer 55 ans sous le règne de deux présidents issus d’une même famille, à savoir le président Omar Bongo, qui a passé 41 ans au pouvoir, et son fils Ali Bongo, renversé après 14 ans à la tête du pays.
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La seule perspective de ce changement réjouissait les populations, à en croire la grande affluence aux abords du palais du bord de mer, et les railleries observées à l’endroit des membres du gouvernement renversé, perceptibles lors de la cérémonie d’investiture du nouvel homme fort du Gabon.
Un évènement durant lequel Oligui Nguema a profité, pour promettre à l’assistance son engagement à s’atteler avec son équipe, à « donner à tous, des raisons d’espérer à une vie meilleure ».
Levée des sanctions de la CEEAC
Mais le premier écueil que rencontre le général Oligui, ce sont les sanctions de la communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, CEEAC, un regroupement de 11 pays de la sous-région, qui ont pris une mesure conservatoire suspendant le Gabon de ses instances, pour sanctionner le renversement du pouvoir d’Ali Bongo.Depuis sa prise de pouvoir, le nouvel homme fort de Libreville n’a cessé de multiplier des opérations de charme diplomatique, pour se faire accepter.
La dernière en date est sa visite d’Etat au Cameroun, où il a déclaré devant le dirigeant camerounais, être venu pour « implorer la clémence du grand doyen de la sous-région (Paul Biya Ndlr) afin que le Gabon revienne au sein de la CEEAC » .
Yaoundé constituait la 10 ème étape de ses visites dans les pays de la CEEAC, après les avoir entamées à Bata en Guinée Equatoriale voisine.
Mais jusque-là, les dirigeants de la communauté économique des Etats de l’Afrique centrale n’ont pas encore consenti à lever la suspension de Libreville de ses instances.
Le général Oligui a qualifié sa visite « d’importante », puisqu’un sommet extraordinaire de la CEEAC doit se tenir le 15 septembre prochain à Malabo en Guinée Equatoriale.
Infrastructures routières
Depuis le 30 août, les Gabonais gardent un œil sur l'action de ceux qui ont mis fin au régime d'Ali Bongo Ondimba. Histoire d'évaluer et juger le bilan des autorités de la Transition dans un contexte marqué par une psychose qui fait que les gabonais redoutent un remake du passé.Tant on sait que les citoyens ont vu "coup de libération" (comme on appelle les évenements du 30 août à Libreville) comme l'amorce du dénouement d'une crise socio- politico- économique qui « n'avait que trop perduré ».
Comme si elles étaient dos au mur, lesdites autorités s'emploient à redonner confiance à leurs compatriotes en s'attaquant aux défis qui se dressent devant elles, découlant de l'héritage laissé par le régime déchu.
Le général Oligui en personne a organisé des tours de Libreville surtout, pour tenter de réveiller certains chantiers dormants, notamment dans le domaine des infrastructures routières et d’adduction d’eau potable, considérés pour certains comme des plaies en pleine capitale.
Dans son treillis, le général n’a pas hésité de donner des délais serrés aux entreprises trouvées sur place, les sommant parfois de livrer des chantiers « sous huitaine, sinon, ce sera la prison » lançait-il très souvent lors de ses tournées.
Dans certains de ces quartiers, les choses ont bougé. Au niveau du quartier Montagne Sainte, dans le 3e arrondissement de Libreville, l’entreprise à qui le marché a été attribué a repris les travaux de la bretelle Camp de police-Montagne sainte, abandonnés depuis 2019 sans aucune raison donnée, pourtant financés par le gouvernement.
« Comme vous le voyez sur le panneau, Il s’agit de terminer cette voie », se réjouit Aba’a Minko un acteur politique habitant le quartier. « L’antécédent qui s’est passé on ne le connait pas exactement, poursuit-il. On ne sait pas si on a détourné de l’argent ou pas. Ce que nous savons, c’est ce que la nouvelle société a répondu à un appel d’offre et a eu ce marché ».
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Pour Max Ntoutoume, également riverain, « l’achèvement de ce chantier va à coup sûr, permettre de résoudre le problème des embouteillages à ce niveau. Pace que cet accès était barré depuis fort longtemps ».
Comme on peut le constater, cette reprise enchante non seulement les habitants de ce quartier mais également d’autres usagers tels que les automobilistes.
« La reprise de ce chantier tombe à point nommé. Elle vient régler les problèmes d’embouteillage que nous vivons au quotidien au niveau du bord de mer», indique quant à lui, Yves Ndemba, taximan. En clair, ces travaux vont s’étendre sur un linéaire de 330 mètres sur 12 m de large.
Mais 100 jours après le coup d’Etat, on observe à Libreville, comme une hésitation à accorder un chèque en blanc aux nouvelles autorités. La période de grâce n’a pas duré.
Difficile réforme foncière
Le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions fait face à la dure réalité du terrain. Des chantiers annoncés comme celui de la réforme foncière éprouve d’énormes difficultés à évoluer.Les mesures prises dans ce secteur, à l’instar de la suspension temporaire des procédures foncières pour les Gabonais naturalisés et les étrangers décidée par les autorités de la Transition et déclarée par l’Agence nationale de l’urbanisme, des travaux topographiques et du cadastre (ANUTTC) et l’interdiction de la vente de terres aux non-nationaux selon l’article 28 la Charte de la transition ne produisent pas encore les effets escomptés.
Pourtant, elles étaient censées garantir un meilleur accès à la propriété et au foncier exclusivement aux citoyens gabonais.
Certains contrevenants ont élaboré des stratégies pour contourner cette mesure notamment en créant des sociétés civiles immobilières (SCI) et en mettant en avant des Gabonais d'origine.
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Au quartier Angondjé, toujours dans le troisième arrondissement, les habitants expriment leur ras-le-bol sur l’énorme patrimoine foncier que détiendrait un ponte du régime déchu et sa famille.
Il en est de même du cas de Mme Mboumba Jeanine, qui revendique une concession foncière dans la même zone. « C’est un sujet malien à qui on a donné un titre foncier sur un terrain qui était pourtant ancestral. On ne comprend vraiment pas le problème de l’ANUTTC. Comment peut-elle donner des parcelles de terrain aux gens sans avoir au préalable vérifié si ces terrains sont libres ?», déplore-t-elle.
Faut-il le rappeler, avant la mise en place de ces mesures, les conflits fonciers opposant les nationaux aux étrangers, ainsi qu’entre les Gabonais naturalisés et ceux de souche, étaient déjà fréquents.
Ces antagonismes animent régulièrement les rubriques faits divers dans les médias locaux.
En pleine période de transition, ces conflits persistent encore dans de nombreux quartiers du Grand-Libreville. Du côté gouvernemental, l’on insiste sur le fait que la réforme foncière est bel et bien en cours.
Le casse-tête du fichier des agents de la fonction publique
L’autre patate chaude que le CTRI doit refroidir, concerne la situation salariale des agents de l’Etat et des retraités.C’était d’ailleurs la toute première promesse du général Brice Oligui Nguema après son coup d’Etat : placer sous gestion du secteur privé, les caisses de retraite et de maladie afin de « mettre fin aux souffrances » des usagers, avait-il promis, lors de sa rencontre le 1er septembre 2023 avec le patronat au palais du bord de mer.
Il faisait alors le constat selon lequel « les retraités vivent mal » et promis plusieurs mesures, dont la mise « sous gestion du secteur privé des deux caisses de prévoyance sociale ».
Il s’agir de la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale (CNAMGS), une caisse mise en place en 2007 c’est elle qui gère la couverture maladie dans le pays et assure le service des prestations familiales, l’autre c’est la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) dédiée à la sécurité sociale aux travailleurs du secteur privé.
Pas d’avancement à proprement parler, à en croire Richard Ndi Bekoung. Le président syndicat des professionnels de sécurité sociale confie à la BBC que « pour le moment, nous ne sommes que sur des effets d’annonce, mais rien n’a véritablement bougé ».
Même s’il se dit rassuré de la dernière sortie du premier ministre Raymond Ndong Sima, qui rassure que l’Etat gardera son oeil sur ce secteur.
Il faudra également régler le problème des recrutements à la fonction publique. Une opération de recrutement est en cours, et affichait déjà au 30 octobre, quelque 40 mille dossiers reçus au ministère de la fonction publique, alors même que le pays est confronté au problème de fonctionnaires fictifs.
L’école gratuite et ses conséquences
Promettant aux Gabonais de « leur donner de réels motifs d’espérer à une vie meilleure » lors de son investiture le 4 septembre, Brice Oligui a fait une promesse de « la gratuité des frais de scolarité ».L’annonce a été suivie d’une décision signée une semaine plus tard, avec prise d’effet immédiate, à la rentrée du 18 septembre.
Joie chez les parents d’élèves, mais mesure difficile à appliquer. Elle a généré d’autres préoccupations, certains établissements scolaires refusant de l’appliquer.
La non-exécution de cette réforme dans certains établissements serait le fruit de l’attitude de « mauvais payeur » de l’État.
Dans certaines institutions scolaires, les responsables demandent aux parents d’élèves de payer la scolarisation de leurs enfants. Promettant ainsi de leur rembourser les sommes perçues une fois que l’Etat aura fait sa part.
Ce, du fait que la ligne d’achat du matériel didactique souvent couverte par ces frais est aujourd’hui plombée.
Une situation insoutenable pour les responsables d’établissements et parents d’élèves qui ne demandent qu’un meilleur avenir pour leurs enfants. « L’Etat gabonais devrait prendre en compte les revendications des chefs et fondateurs des établissements privés de la place mais surtout de solder sa dette envers ces derniers », confie un responsable d’établissement.
Face à ce dilemme, l’État a dû revoir sa copie en s’engageant à trouver une solution adéquate a indiqué le PM, Raymond Ndong Sima lors de son passage à la Première chaine de télévision, le 03 décembre dernier.
Rupture avec le Parti Démocratique Gabonais
L’autre question qui n’a pas fait l’unanimité dans le pays, c’est la question de la présence de militants du Parti Démocratique Gabonais, la formation d’Ali Bongo dans les différents textes de nomination du général Oligui.La plus grosse controverse a été observée lors de la nomination des membres du parlement de transition le 6 octobre dernier.
Un parlement dominé par les membres du parti du président déchu. Sur les 168 parlementaires au total (98 à l’assemblée nationale et 70 au Sénat), 85 viennent du PDG, contre 60 de la société civile, 6 de l’Union nationale (opposition), 6 militaires, 3 de REAGIR (opposition).
Des nominations qui ont provoqué « des tirs nourris » de la société civile et de l’opposition, le cas par exemple de l’opposant Victor Missanda, de l’Union démocratique et républicaine (UDERE), qui a critiqué « la prise en compte, et de façon particulièrement majoritaire, des partis politiques, dont certains sont à l’origine de la déliquescence dans laquelle se trouve notre pays », lors d’une conférence de presse à Libreville au lendemain de la publication du décret du général Oligui.