Actualités of Tuesday, 6 June 2023

Source: www.bbc.com

Quel est l’impact des restrictions de l'Internet sur l’économie au Sénégal ?

Quel est l’impact des restrictions de l'Internet sur l’économie au Sénégal ? Quel est l’impact des restrictions de l'Internet sur l’économie au Sénégal ?

L’accès aux réseaux sociaux et aux données de l’internet mobile a été restreint au Sénégal au lendemain du verdict du procès de Ousmane Sonko, qui a vu des affrontements meurtriers entre les partisans de Sonko et les Forces de défense et de sécurité à Dakar et dans quelques grandes villes du Sénégal.

Le Ministère de la Communication, des télécommunications et de l'économie numérique du Sénégal a annoncé hier dans un communiqué que l'internet des données mobiles est suspendu temporairement sur certaines plages horaires.

Vendredi, le ministère de l'Intérieur avait fait savoir que les réseaux sociaux, comme WhatsApp, Facebook et Twitter, étaient coupés par le gouvernement en raison de la diffusion des messages de haine.

Une situation qui n'est pas sans impact sur les activités principalement celles-ci qui se font en ligne.

Melba Orlie fait dans la vente en ligne des produits alimentaires, elle a confié ses difficultés à Valorien Noubissi de BBC Afrique :

« Depuis, on a vu nos chiffres chuter. Je me suis levée un matin et j'ai vu que je n'avais carrément reçu que deux visites sur le site. Je me suis dit là, il y a un problème. »

Les entreprises sénégalaises, en particulier celles qui dépendent largement de l'internet mobile pour leurs opérations, ont été durement touchées par les restrictions. La communication avec les clients et les fournisseurs a été entravée, ce qui a entraîné des retards dans les transactions commerciales et des difficultés dans la gestion des activités quotidiennes.

Au Sénégal, le parc internet mobile est estimé à 16.349.690 lignes, selon un rapport trimestriel de l’ARTP (Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes) publié en 2022. Les utilisateurs de l’Internet mobile 2G/3G/4G représentent la part la plus importante du parc des lignes Internet (98,68%).

Les micro et très petites entreprises touchées de plein fouet

Les services en ligne, tels que le commerce électronique et les plateformes de paiement numérique, ont été gravement perturbés par les mesures de restriction, ce qui a nui aux micro et très petites entreprises qui les utilisent comme moyen principal de vente et de distribution de produits et services.

« Tu essayes de programmer par exemple des commandes ou des livraisons pour le lundi et le dimanche, on coupe les données mobiles, ça veut dire qu'il y a une partie de la clientèle qui n'est plus accessible sur Whats App, ou bien qui peut plus se connecter au site Internet. C’est compliqué pour nous », lâche Melba Orlie.

Son chiffre d’affaires en a pris un coup : « On va dire que dans la semaine, on peut être entre quatre cents et cinq cents mille francs CFA de chiffre d'affaires. Donc imaginez ce que cela peut faire de se retrouver par exemple avec quarante à quatre-vingts milles francs CFA de recettes. »

L’activité de commerce en ligne a engendré le boom du sous-secteur de la livraison à domicile dominé par les jeunes hommes conducteurs de motos communément appelés Tiak Tiak.

Ces livreurs ont déjà été affectés par les nombreuses interdictions officielles de circulation de motocyclettes à la veille de manifestations.

Les personnes les plus impactées par les restrictions relèvent du secteur informel, dont fait partie 9 travailleurs sur 10 au Sénégal, selon l’Organisation internationale du travail dans une publication titrée Diagnostic de l’économie informelle au Sénégal parue en 2020.

Au total, les entreprises du secteur informel représentent 16,3% de la création de richesse, estime l’Agence nationale de la statistique et de la démographie dans le rapport global du premier recensement général des entreprises publié en 2017.

Appels pour la levée des restrictions

Face à ces conséquences négatives, de nombreuses voix se sont élevées pour appeler à la levée des restrictions de l'internet mobile au Sénégal. Parmi elles, le RESTIC, (Rassemblement des Entreprises du Secteur des Technologies de l'Information et de la Communication) qui a demandé le rétablissement immédiat des données internet dont la transmission « assure la fluidité des transactions et de l'activité commerciale dans un pays de micro-activité ».

Dans son communiqué publié dimanche, le RESTIC convie l’Etat et les opérateurs au « respect de la liberté d'informations à lever toutes les restrictions à la liberté d’usage des plateformes numériques de messagerie instantanée comme garants des libertés économiques, sociales et politiques des citoyens sénégalais .»

En attendant la levée des mesures, Melba essaie tant bien que mal de maintenir ses activités de commerce en ligne : « J'ai essayé de mettre en place un système de relais. Ce qui est assez fou avec la situation, tu ne peux rien programmer de précis et de concret. Donc j'essaye de voir la température. S'il n'y a pas trop de turbulences, on est là, on donne rendez-vous au client, il reçoit son paquet mais c'est assez compliqué. »

Questions à Dr Khadim Bamba Diagne, économiste

A combien peut-on estimer les pertes journalières liées aux restrictions de l'Internet au Sénégal ?

Certains spécialistes parlent de pertes entre cinq et vingt-cinq milliards, mais je pense que c'est sous-évalué parce qu'aujourd'hui, nous sommes dans un contexte de crise où il n'y a pas beaucoup de déplacements. Dans ce contexte, les gens préfèrent utiliser quelque part les moyens de télécommunication. Donc, en limitant leur accès, la perte risque d'être encore plus importante.

Nous sommes un pays où 80 à 85 % de l'activité économique est contrôlée par la capitale. Nous avons une économie macrocéphale liée à la capitale Dakar, qui est au ralenti. Et donc si Dakar est au ralenti, on pouvait utiliser l'internet, la télécommunication pour pouvoir remplacer cette perte en termes d'activité. Mais, malheureusement, le fait que l'État a mis en place des restrictions, ça impacte doublement l'économie.

Aujourd'hui, les banques ne fonctionnent plus, surtout les guichets automatiques parce qu'il y a un problème de réseau. Les paiements mobiles à distance ne fonctionnent plus, Il faut être dans des réseaux ADSL pour pouvoir faire des opérations. Et je pense que tout cela ralentit, mais drastiquement, l'activité économique. Donc il est difficile de quantifier la perte. Mais, elle est énorme parce qu'on avait besoin de la technologie pour quelque part, se substituer à cette crise qui rend l'économie inactive.

Qui sont les acteurs économiques les plus impactés ?

Les acteurs économiques les plus impactés, ce sont les commerçants, les start-ups et quelque part, ceux qui travaillent aussi dans le mobile money, mais aussi tous les agents économiques. Parce qu'aujourd'hui, ce sont les agents économiques qui, de par les paiements, en fait, se transfèrent de l'argent. On peut citer aussi ceux qui s'activent dans les produits de vente en ligne, les média en ligne aussi. Je pense que c'est toute l'activité économique qui est impactée.

Existe-t-il des mécanismes pour soutenir les acteurs impactés ?

Je ne pense pas qu'ici, il s'agisse de voir comment faire pour mettre en place des mécanismes de soutien, mais plutôt lever les restrictions.

L'État doit permettre à l'économie de prendre encore son envol parce qu'on en a besoin. On ne peut plus tenir pendant deux, trois, quatre jours sans activité, alors que nous savons très bien que l'économie sénégalaise est contrôlée à près de 90 % par l'informel. Donc, c'est informel qui utilise plus ce mode de télécommunication. Si vous leur interdisez d'utiliser cet outil, les conséquences peuvent être terribles pour toute l'économie.

Nous sommes un pays quelque part qui a reçu des coups sur le plan économique depuis deux ans. Et si on a l'occasion de redémarrer l'activité, il faut quelque part ouvrir les vannes.