Un mandat d'arrêt délivré par la Cour pénale internationale (CPI) à l'encontre du président russe Vladimir Poutine montre la détermination de La Haye à poursuivre Moscou pour crimes de guerre, en l'occurrence pour la "déportation illégale" d'enfants ukrainiens vers la Russie.
Outre le président Poutine, sa commissaire aux droits de l'enfant, Maria Lvova-Belova, une femme politique jusqu'à présent peu connue en dehors de la Russie, a également été nommée.
Qui est-elle et quel est son rôle dans ces transferts qui, selon la CPI, ont lieu depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine en février dernier ?
Des enfants ukrainiens "évacués" vers la Russie
Les autorités de Kiev affirment que près de 20 000 enfants ukrainiens sans parents se trouvent en Russie, et que nombre d'entre eux ont été emmenés contre leur gré.Selon le gouvernement ukrainien, il y a souvent des familles qui attendent désespérément d'être réunies. Environ 300 enfants ont déjà été renvoyés en Ukraine au cours des derniers mois.
L'Ukraine et ses alliés soulignent que le fait d'emmener des mineurs des territoires occupés dans un autre pays équivaut à un génocide, visant à détruire la nation ukrainienne, puisque les enfants reçoivent la citoyenneté russe. Cela constitue une violation de la convention de Genève de 1949, qui vise à protéger les civils dans une zone de guerre.
"En prenant nos enfants, la Russie vole notre avenir", a déclaré le procureur général de l'Ukraine, Andriy Kostin.
Quelque 380 enfants ukrainiens ont été pris en charge par des familles russes, ce qui signifie qu'ils ne sont pas officiellement adoptés, mais qu'il pourrait être compliqué de les récupérer.
La CPI affirme qu'il existe des motifs raisonnables de croire que la commissaire russe aux droits de l'enfant, Maria Lvova-Belova, est personnellement responsable des déportations et des transferts illégaux, "les ayant commis directement ou avec l'aide d'autres personnes".
La Russie ne nie pas que de nombreux enfants ukrainiens se sont retrouvés en Russie depuis le début de l'"opération militaire spéciale", terme officiel utilisé par la Russie pour désigner la guerre en Ukraine.
Mais elle a donné des chiffres inférieurs à ceux de l'Ukraine : en octobre 2022, elle a parlé d'environ 2 500 enfants. La BBC a demandé les derniers chiffres au bureau de Mme Lvova-Belova et attend une réponse.
Les autorités russes et le commissaire aux droits de l'enfant affirment que les enfants qui se sont retrouvés en Russie sont des orphelins et qu'ils ont été évacués pour des raisons de sécurité, et non pas emmenés de force.
Maria Lvova-Belova, dont le travail consiste à définir les politiques de l'État russe à l'égard des enfants, est devenue le visage public de ces transferts et les a défendus comme une tentative de sauver les enfants ukrainiens des zones de combat actif et de les "intégrer" en Russie.
Dans ses messages sur les réseaux sociaux et ses discours publics, elle a affirmé que le fait d'emmener les enfants ukrainiens en Russie était dans leur intérêt et a souligné que les enfants étaient heureux en Russie et que beaucoup d'entre eux ne souhaitaient pas y retourner.
Épouse de prêtre, mère adoptive, tutrice et ancienne sénatrice d'État
L'été dernier, Maria Lvova-Belova a elle-même pris en charge un enfant ukrainien de la ville de Mariupol, dans le sud de l'Ukraine. Cette ville a été reprise par les troupes russes après des mois de combats acharnés.Selon les autorités russes, l'adolescent Fillip Golovnya est orphelin. Mme Lvova-Belova publie fréquemment des photos de lui sur ses comptes de médias sociaux et affirme qu'elle a su qu'il était "à elle" lorsqu'elle l'a vu pour la première fois, peu après qu'il a été amené dans la région de Moscou avec un groupe d'autres enfants ukrainiens.
Fillip n'est pas le seul enfant de Lvova-Belova, qui est actuellement mère de dix enfants.
Cinq sont ses enfants biologiques et cinq autres ont été adoptés ou sont à sa charge. Certains d'entre eux sont adultes. Le nombre d'enfants dont elle s'occupe a fluctué au fil des ans et aurait atteint 18 à un moment donné.
Originaire de Penza, une ville située à 750 km au sud-est de Moscou, Maria Lvova-Belova, 38 ans, est devenue commissaire aux droits de l'enfant en octobre 2021.
Auparavant, elle était sénatrice d'État, représentant sa région à la chambre haute du parlement russe. Elle est active au sein du parti au pouvoir en Russie, "Russie unie".
Mariée à un prêtre orthodoxe, elle est souvent photographiée lors d'offices religieux, portant un foulard.
Elle a commencé à s'impliquer dans le travail social auprès des enfants et des jeunes adultes au début des années 2000, lorsqu'elle a créé une organisation locale appelée "Louis' Quarter".
Cette organisation aurait été créée en référence au musicien de jazz américain Louis Armstrong, né d'une mère adolescente et ayant grandi dans la pauvreté. Elle a dirigé plusieurs autres projets similaires avant de se lancer dans la politique.
Rejet des accusations
Maria Lvova-Belova a fait l'objet de sanctions internationales dès le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en raison du soutien qu'elle a apporté au président Poutine. Après que la CPI a émis un mandat d'arrêt à son encontre le 17 mars, elle a rejeté les accusations."Nous ne savons pas quels cas la CPI a en tête. Les arguments sont abstraits : pas de noms, de prénoms, d'adresses, nous ne pouvons donc pas vérifier ces informations".
"Si des enfants ont été séparés, nous ferons tout pour les réunir avec leurs familles."
Sur les réseaux sociaux, elle a parlé des "mots chaleureux de soutien et de solidarité" qu'elle a reçus de "collègues, parents et abonnés aux quatre coins du pays".
"Nous n'avons rien à cacher, la vérité est de notre côté", a écrit Maria Lvova-Belova, ajoutant : "La Russie ne reconnaît pas la CPI et ses décisions n'ont aucun sens pour nous.
Dans le même temps, l'avocate Natalia Sekretareva, qui travaille pour le groupe de défense des droits de l'homme "Memorial", souligne que la Russie est signataire des conventions de Genève et que, par conséquent, le rejet des accusations de la CPI ne tient pas la route.
L'été dernier, le président Poutine a signé un décret simplifiant la procédure d'octroi de la citoyenneté russe aux mineurs ukrainiens. Des reportages et des vidéos sur les réseaux sociaux montrant des enfants ukrainiens recevant des documents russes ont été diffusés par des fonctionnaires russes, dont Maria Lvova-Belova.
Selon des experts russes interrogés par la BBC, la remise de passeports russes à des Ukrainiens se fait "à grande échelle".
L'Ukraine a qualifié de "kidnapping légalisé" la remise de passeports russes à des enfants ukrainiens.
Une commission spéciale des Nations unies a prévenu dans son rapport que le placement d'enfants ukrainiens dans des familles russes et l'octroi de la citoyenneté russe pourraient avoir de graves conséquences pour la préservation de l'identité de ces enfants.
Maria Lvova-Belova a souligné à plusieurs reprises que les enfants ukrainiens ont besoin de la citoyenneté russe pour des raisons pratiques - pour pouvoir accéder aux soins de santé et recevoir d'autres formes d'aide.