Actualités of Thursday, 21 April 2022

Source: Mutations du 21-4-2022

RDPC : comment 'l'assassinat' politique de Messanga Nyamding a été préparé

Messanga Nyamding est viré du RDPC Messanga Nyamding est viré du RDPC

Paul Biya, le président national du Rdpc, a approuvé les conclusions du commission de discipline excluant l’un de ses plus fervents fidèles.

Fin de parcours pour Pascal Charlemagne Messanga Nyamnding au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), après 37 ans de militantisme. Ironie du sort, le « biyaïste » invétéré a été éjecté par celui-là même qu’il célèbre comme son « maître politique ». Mardi 19 avril 2022, Paul Biya, le président national du Rdpc, a signé la décision portant approbation et rendant exécutoire les conclusions de la session de la commission de discipline ad hoc du comité central du 13 avril dernier.

Publiée dans le journal de propagande du parti au pouvoir (Journal L’Action), ladite décision sanctionne graduellement pour indiscipline trois militants à savoir Wilfried Nkpwala (blâme), le député François Xavier Mpon (exclusion temporaire de 12 mois) et Charlemagne Messanga Nyamnding qui écope d’une exclusion définitive. L’ancien membre du comité central paye ainsi le prix de ses positions enflammées sur la gouvernance et à l’égard de certains barons du parti du flambeau ardent ; d’où les quatre chefs d’accusation retenus contre lui : qualification du certains membres de bandits en col blanc dans les médias ; incitation au soulèvement et à la prise du pouvoir par l’armée dans les médias ; critique exacerbée à l’égard du parti et vis-àvis du gouvernement ; soutien informel apporté aux revendications des enseignants.

Tourner la page

Après avoir appris son exclusion, l’intéressé a exprimé sa déception. « C’est avec regret que j’apprends en ce jour mon exclusion définitive au sein du Rdpc, parti pour lequel j’ai milité durant 37 ans. Il faut aller de l’avant et tourner la page, avec très certainement la perspective d’en ouvrir une nouvelle… Nous évoquerons cela ultérieurement », a-t-il posté sur sa page Facebook. Néanmoins, il est resté droit dans ses bottes, convaincu de ce qu’il est du bon côté de l’histoire et que son combat est juste. « En attendant, j’en profite pour vous remercier, vous qui êtes issus de tous pays, toutes régions du Cameroun, tous bords politiques, pour votre indéfectible soutien envers ma modeste personne. En réalité, nous nous battons pour construire une Cameroun nouveau, cela est possible et je continuerai à défendre mes convictions, n’en déplaise à certains. Tout comme le chevalier Bayard, je m’en vais sans peur et sans reproche », a-t-il achevé.

L’on se rappelle que le jour de leur comparution devant la commission de discipline dans les locaux du secrétariat général du comité central cis au quartier du Lac à Yaoundé, les deux premiers intéressés ont fait montre d’une extrême discrétion, contrairement à leur désormais ex-camarade qui n’a pas gardé sa langue dans sa poche. Avant même d’avoir franchi la grille du tribunal de son parti, l’ancien membre du comité central a immédiatement accusé, tout en les citant nommément, les neuf membres de la commission de s’acharner contre lui. « Je leur ai dit, la main sur le coeur, que 99% de mon discours est un discours d’éloge pour le président de la République et pour le Rdpc. (…) Plus grave, ils disent que j’ai qualifié le gouvernement de bandit. Je leur ai dit non, sauf si vous êtes prêts à sacrifier le président Paul Biya et à croire qu’il n’est plus présent, j’ai dit que « les bandits en col blanc rendront gorge », s’est-il confié à la poignée de journalistes en train de faire pied de grue (près de trois heures durant) devant la guérite ce jour-là. Messanga Nyamnding avait d’ailleurs qualifié cette commission d’« illégale ».

Coup d’État scientifique

Incompris et incontrôlable, Messanga Nyamnding a souvent été traité par une certaine opinion comme quelqu’un de frustré du fait de n’avoir jamais occupé un poste de responsabilité dans la haute administration. Une critique qui l’a fait ricaner. « Si je voulais devenir ministre ou juste directeur de l’Iric (Institut des relations internationales du Cameroun, ndlr), j’aurais juste fermé ma bouche. (…) Certains me traitent de personne incontrôlable ou de fou, mais ils ne doivent pas oublier qu’un fou n’enseigne pas, ne forme pas des magistrats ou des diplomates », avait-il répondu sur les ondes de ABK Radio le 10 décembre 2019. Le seul hic de sa démarche est qu’il n’a jamais envisagé quitter la barque, malgré ses critiques acerbes contre sa famille politique.

En dehors de dieu, ce personnage intrépide ne jure que par son mentor dont il se réclame l’héritier politique. Au cours de l’émission « La cour des grands » sur la Radio des artistes (Rda) en janvier 2020, il fait une déclaration fracassante. « Je suis le seul dépositaire du testament politique et idéologique du président Paul Biya. Je vous jure et je vous assure que personne au Cameroun après Paul Biya ne pourra protéger son intention politique. L’héritier politique du président Paul Biya c’est moi Messanga Nyamnding ! Tous ces gens que vous voyez là, personne n’est politiquement et affectivement attaché au président comme moi ».

En dépit des errements du régime qu’il a créé, le chef de l’État est présenté par M. Messanga comme la victime de son propre système. C’est en cela qu’il a théorisé son fameux « coup d’État scientifique », entendu comme cette révolution du palais qui consiste pour des thuriféraires du pouvoir à ramer à contrecourant de la vision politique du président Paul Biya.

Charles Ateba Eyene

Sentence prononcée certes pour indiscipline, il y a cependant lieu de s’apercevoir à l’analyse que l’exclusion de Messanga Nyamnding est la preuve que le Rdpc est un parti qui ne tolère pas la contradiction dans ses rangs. De fait, la décision du président national l’érige en martyr de la vérité, à l’image de son iconoclaste de compagnon de route Charles Ateba Eyene, décédé en 2013. La disparition de ce dernier avait particulièrement ému l’opinion au point de lui rendre des hommages dignes d’un héros national. Plus sulfureux que son ami Messanga, Ateba Eyene s’assumait lui aussi comme un biyaïste inconditionnel. Ses sorties médiatiques et ses publications incendiaires à l’encontre de certaines pontes du système gouvernant sont pour certains à l’origine de sa mort. Son ouvrage le plus emblématique demeure « Les paradoxes du pays organisateurs : Élites productrices ou prédatrices : le cas de la province du Sud-Cameroun à l’ère de Biya (1982-2007) ». Dans ce livre paru en 2008, l’auteur dénonce les tares des élites politiques de la région d’origine du président Biya. Eux qui occupent la plupart des postes de décision de la République, mais qui siphonnent les caisses de l’État, laissant leur propre région croupir dans un sous-développement abyssal.

Solidaire de son ami, Messanga Nyamnding a préfacé l’ouvrage « Le Cameroun sous la dictature des loges, des sectes, du magico-anal et des réseaux mafieux : De véritables freins contre l’émergence en 2035 (La logique au coeur de la performance) ». Essai publié en 2012 dans lequel Ateba Eyene mettait à nu les causes de la mal gouvernance au Cameroun, de son point de vue.


Au plan intellectuel, Messanga Nyamnding est un brillant universitaire adoubé par ses étudiants. Il est professeur titulaire en science politique et en droit public. Cet originaire du département du Nkam est par ailleurs titulaire de deux thèses de doctorat. En mars 2021, un arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur l’arrache brusquement et sans motif de son poste de chef du département de l’intégration et de la coopération pour le développement à l’Iric pour le mettre à la disposition de l’annexe de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Ngaoundéré. L’enseignant attaquera la décision ministérielle au Tribunal administratif du Centre et obtiendra gain de cause le 15 octobre de la même année.