Cette semaine, Jeune Afrique consacre une série d’article au Cameroun et à ses personnalités. Aujourd’hui, le grappin a été mis sur le Sénat. Là, il se mène manifestement une guerre sans merci entre deux principales têtes de l’institution.
« Malade depuis de longs mois, le secrétaire général de la Chambre haute, Michel Meva’a Meboutou, ne craint pas d’empiéter sur les plates-bandes de son président, lui aussi très affaibli. Maître du jeu, Paul Biya s’est jusque-là gardé d’arbitrer cette bataille de timoniers, laquelle paralyse désormais l’institution.Un secret absolu entoure l’état de santé du secrétaire général du Sénat, Michel Meva’a Meboutou, âgé de 83 ans et récemment évacué en urgence vers un hôpital suisse. Les hauts fonctionnaires camerounais n’ont certes pas pour habitude de rendre publics leurs bulletins médicaux, mais aucune nouvelle du patient – pas même le lieu exact de son hospitalisation – n’a jusque-là filtré », relève d’entrée Jeune Afrique .
« À des milliers de kilomètres des montagnes helvètes, entre les collines de Yaoundé, les parapheurs continuent de s’empiler sur le bureau déjà chargé de l’indéboulonnable « SG ». Car, bien que malade, affaibli et régulièrement absent depuis plusieurs années, Michel Meva’a Meboutou n’a jamais jugé nécessaire de déléguer ses pouvoirs à son adjoint, Bernard Wongolo, un ancien gouverneur aujourd’hui cantonné, impuissant, à l’observation de l’immobilisme dans lequel le Sénat est plongé », rappelle Jeune Afrique dans son article.
Jeune Afrique soussigne par ailleurs que le Sénat depuis sa création, il y a de cela 9 ans, ne dispose guère de siège. Les membres squattent toujours le Palais des Congrès. L’institution ne dispose non plus « d’organigramme officiel, et aucune des personnes qui y sont employées n’a de contrat de travail. Il n’a pas non plus de site internet, ni de responsable de la communication. À la fin du mois de septembre, la presse locale a révélé l’existence d’un parking sur lequel des véhicules acquis par l’exécutif du Sénat sont entreposés par dizaines, en attente de trouver preneur. Pourquoi sont-ils stockés là et à qui sont-ils destinés ? Personne, parmi ceux que nous avons contactés, n’a été en mesure de répondre à ces questions ».
« À Yaoundé, l’affaire a suscité un tollé, dans un contexte de raréfaction des ressources publiques. Elle a aussi soulevé de nombreuses questions sur une institution dont le budget compte parmi les plus importants du pays.Selon les textes, c’est Michel Meva’a Meboutou qui a la charge des services administratifs et de la gestion opérationnelle du Sénat. Des tâches dont cet ancien ministre des Finances s’acquitte selon un timing qu’il est le seul à définir et à connaître. Ni le bureau de la Chambre haute ni son président, Marcel Niat Njifenji, ne sont parvenus à obtenir qu’il rende des comptes. Il faut dire que ce dernier a beau être la deuxième personnalité du pays, censée assurer l’intérim à la tête du pays en cas d’empêchement de Paul Biya, il est lui-même âgé (87 ans), malade et régulièrement soigné à l’étranger. Quant au SG, originaire du Dja-et-Lobo, dans la région du Sud, il affirme être l’oncle maternel du président de la République. Ses visiteurs lui donnent volontiers du « Votre Excellence » et tant pis si sa brusquerie froisse sénateurs ou ministres. Le vrai patron du Sénat, c’est lui, il en est convaincu.
Secrétaire général de l’institution depuis ses débuts, Meva’a Meboutou a l’immense avantage d’avoir la haute main sur ses ressources – entre 15 et 25 milliards de francs CFA (entre 22 et 38 millions d’euros) selon les années. Un budget qui échappe à tout contrôle, les questeurs chargés de l’examiner n’ayant jamais été nommés. Mais aurait-il pu en être autrement ? », se demande Jeune Afrique
« Compte tenu de son état de santé, il est des batailles que Marcel Niat Njifenji a renoncé à mener. Sa carrière politique se conjugue maintenant au passé, il le sait, et ce fameux rôle de dauphin constitutionnel ne lui permettrait, dans le meilleur des cas, que de jouer un rôle d’arbitre. Il s’était déjà retiré de la vie publique en 2013, lorsqu’il avait été nommé sénateur par Paul Biya (fauteuil auquel il n’était même pas candidat), puis président de la Chambre haute. Autant dire qu’il n’a ni l’énergie ni l’envie de croiser le fer avec un parent – et collaborateur de longue date – du chef de l’État.Sous la pression des sénateurs, il a bien écrit à plusieurs reprises à la présidence de la République pour dénoncer cet encombrant administrateur. Le dernier courrier en date, relatif à l’organisation administrative de l’institution, n’a pas eu plus de réponse que les précédents, confortant Meva’a Meboutou au détriment de Niat Njifenji.Les textes eux-mêmes ne clarifient pas la confusion qui existe entre leurs prérogatives respectives. Le règlement intérieur, adopté en 2013, stipule ainsi que « la gestion des finances est assurée par le président du Sénat, ordonnateur du budget », et précise que « le secrétaire général en est l’ordonnateur délégué ». Mais, dans un autre article, les deux hommes sont mis sur un pied d’égalité : « L’ordonnateur du budget OU l’ordonnateur délégué ne peut arrêter et constater les droits des créanciers que pour des services faits. », précise l’article de Jeune Afrique.
« Meva’a Meboutou n’a en tout cas pas attendu que ces dispositions soient clarifiées pour se positionner comme patron du Sénat. Lorsque le ministre des Finances, Louis-Paul Motaze, lui demande d’appliquer une disposition du code général des impôts qui exige des administrations que les paiements de plus de 500 000 francs CFA se fassent par virement bancaire, il refuse de s’exécuter, prétextant ne recevoir ses ordres que du président de la République. Le huitième étage du Palais des Congrès, où Meva’a Meboutou a installé des proches en charge des finances de l’hémicycle, est devenu un lieu de pèlerinage obligatoire pour les sénateurs, qui y perçoivent – en cash – leurs indemnités de session.Jusqu’à quand Paul Biya laissera-t-il perdurer la situation ? « Les seules attentes que le président a du Sénat, c’est que les sessions parlementaires se déroulent sans incidents, affirme un connaisseur du Parlement. Ses membres n’ont aucune influence sur le fond des lois. Mais si l’état de santé du ‘SG’ venait à se dégrader, cette gestion centrée sur sa personne montrerait ses limites. » Le président pourrait-il se résoudre à l’écarter ? Il n’avait pas hésité à le faire en 2001. Meva’a Meboutou était à l’époque le secrétaire général de l’Assemblée nationale », conclut Jeune Afrique