Avant d’échouer miraculeusement aux Travaux publics, il a miné le terrain des opérations de dénombrement national de la population et de l’habitat. Voici comment.
Le désormais ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi, a abandonné une véritable bombe à sous-munitions dans son cabinet avant de partir du département de l’Économie, du Plan et de l’Aménagement du territoire (Minepat) à la faveur du réajustement gouvernemental du 2 octobre. Avant de céder son siège à un Louis Paul Motaze sur le retour, celui qui se croyait alors inamovible au poste a fait valider au chef de l’État l’idée de création d’un conseil national du 4ème Recensement général de la population et de l’habitat (Rgph), présidé.
Un organe de la même dénomination, rappelons-le, avait déjà existé lors du 3ème Rgph composé de ministres, gouverneurs de régions et autres personnalités de la société civile. Mais il n’avait pas autant de pouvoirs que celui instauré par le décret présidentiel du 15 septembre 2015 et qui, désormais, revêt les pouvoirs d’un «organe d’orientation stratégique». Composé de pas moins de 15
chefs de départements ministériels et installé le 2 décembre à Yaoundé, il comporte 9 autres membres de diverses administrations publiques, de mouvements patronaux et de la société civile.
A travers cette usine à gaz, Emmanuel Nganou Djoumessi, en sa qualité de président du conseil national qu’il se voyait alors déjà, et aussi via son secrétariat général, reléguait au second plan le Bureau central des recensements et des études de population (Bucrep), dont le directeur général est désormais rétrogradé au rôle de vice-président du comité de suivi des activités du 4ème Rgph. Avec un sens particulièrement poussé de l’anticipation, M. Nganou Djoumessi, qui ouvertement n’entendait alors partager aucun pouvoir dans l’histoire, avait déjà, en début 2015, mis sur pied un comité de suivi des activités du 4ème Rgph au sein de son département, ostracisant ouvertement le Bucrep, dont les responsables étaient alors ouvertement humiliés pendant les réunions, selon plusieurs témoins.
Emmanuel Nganou Djoumessi a aussi, et ce n’est pas la moindre de ses idées de génie ou de ses mérites, beaucoup joué sur la fibre tribale. En prélude au 4ème Rgph, il a immensément œuvré en vue de placer plusieurs «frères du village» dans le système des Nations Unies, l’un des principaux pourvoyeurs de fonds de l’opération. Ils doivent se sentir un peu orphelins, depuis que le parrain a été muté…
Doit-on le rappeler, le 4ème Rgph met en jeu une manne de quelque 27 milliards de francs, selon les estimations. Le ci-devant Minepat, dans ses calculs mesquins, voyait déjà le magot à gérer et les «avantages» qu’il allait en tirer… «A travers toutes sortes d’entraves, il tenait à montrer que c’était lui le véritable capitaine et n’entendait partager aucun pouvoir, multipliant les sautes d’humeur et les intrigues pour s’arroger le meilleur rôle», relate un membre du comité technique sous le sceau de l’anonymat. L’une de ces initiatives insolites fut ainsi, ajoute-t-il, l’envoi d’une très onéreuse mission de formation en mars 2015 au Sénégal, où des personnes de son choix ont été encadrées dans le domaine dit «CsPro» d’utilisation des supports de collecte des données numériques à Dakar.
La création du conseil national du 4ème Rgph a également eu le don de faire hurler les partenaires financiers de l’opération qui, selon des sources introduites, menacent aujourd’hui de se retirer de l’affaire.
Doublons en série
En effet, affublé du titre de coordinateur national, le Bucrep, bras séculier de l’Etat, a reçu de l’Etat les missions de concevoir la méthodologie des recensements et enquêtes à caractère démographique et d’en assurer l’exécution, d’élaborer et d’assurer le suivi des programmes d’études démographiques en vue de permettre la prise en compte de la variable «population» dans le processus de développement socio-économique, mais aussi d’élaborer des indicateurs sociodémographiques à travers des recensements, études, recherches et des enquêtes auprès de la population. De manière spécifique, il doit assurer la promotion en tant que de besoin, et en collaboration avec les institutions spécialisées, des travaux de recherches en population et développement, effectuer les recherches en matière sociodémographique, de développer, en liaison avec les administrations compétentes, des méthodes et systèmes de collecte, de traitement, d’analyse et de diffusion des données sociodémographiques, de suivre la coopération avec les institutions internationales compétentes en matière démographique, mais aussi de publier un rapport annuel sur l’état de la population au Cameroun.
Comme on peut le constater, le Bucrep, –les responsables approchés se sont refusés à tout commentaire sur le sujet- est investi de toutes les missions de dénombrement, d’investigations et de suivi dans son domaine. Il est donc censé disposer de l’expertise nécessaire pour mener ses activités, étant par ailleurs à l’initiative lorsqu’il peut s’agir de faire appel à d’autres types de compétences. Mais il avait déjà connu pareille avanie en avril 2001 avec la création de l’Institut national de la statistique (Ins), autre doublon public administratif qui se dévoue, entre autres, à la réalisation ou participe à la réalisation des recensements et enquêtes statistiques initiés par l’administration, ou encore doit «rendre disponibles les données et les indicateurs statistiques nécessaires à la gestion économique et sociale». Plusieurs spécialistes s’étaient déjà, à l’époque, émus quant à la nécessité de création de cette administration, qui ailleurs ne peut constituer qu’une direction d’un département ministériel en charge des questions économiques, financières, de développement ou de planification.
Face à l’imbroglio aujourd’hui consommé, plusieurs personnalités, sous le sceau de l’anonymat, en viennent actuellement à souhaiter que l’arrivée au Minepat de Louis Paul Motaze, qu’on dit moins tracassier, puisse permettre de démêler l’écheveau pour faire démarrer le train du 4ème Rgph.