Zephirin Koloko, Directeur de Publication du Journal L’avenir dans son éditorial de ce jour, explique la réticence de Paul Biya à procéder au remaniement ministériel. Il estime qu’un changement de gouvernement avant la présidentielle de 2025 est inopportune.
Conscients de la fébrilité qui anime cette dernière catégorie, quelques francs-tireurs sont depuis lors spécialisés sur les réseaux sociaux dans la publication de nouveaux gouvernements, tels de ballots d’essais, sans que jamais leurs fantasmes et élucubrations ne daignent attirer l’attention du sommet de l’État.
C’est l’occasion pour nous de rappeler fort opportunément que très souvent, lorsque le gouvernement est en fonction depuis un certain temps (généralement les deux tiers de son mandat), son chef peut décider, pour redonner du souffle à son action politique, de remplacer certains ministres dans des domaines peu exploités au cours de la mandature. Ce type de remaniement peut permettre d’exclure des membres contestés, sans pour autant le faire sous la pression de l’impopularité.
Cependant, qui connaît le Sphinx d’Etoudi ne peut ignorer son penchant pour le malin plaisir qu’il tire à faire durer le suspens et à surprendre.
Depuis son accession à la Magistrature suprême, le Chef de l’Etat a habitué les Camerounais aux perpétuelles modifications de son équipe gouvernementale. Il y aura eu des moments dans notre pays où l’on a eu droit à deux remaniements la même année. De tout le magistère de Paul Biya, la période 2019-2024 est celle qui aura finalement connu la plus longue disette au plan du remaniement voire du réaménagement. Une attente jugée trop longue pour les commentateurs et autres ambitieux qui, disons-le, ont vécu toute leur vie au rythme du jeu de chaises musicales.
Mais s’il est vrai que le Chef de l’Etat n’a jamais passé une aussi longue période sans égratigner la composition du gouvernement, il est aussi vrai que plusieurs raisons peuvent militer en faveur du record battu par ce gouvernement. Rappelons que le dernier réaménagement date du 04 janvier 2019 et, depuis lors, aucun grand rendez-vous du calendrier électoral (municipales, législatives, sénatoriales, régionales), n’a entraîné le tsunami tant attendu. Toute chose qui semble inhabituelle dans la marche d’une démocratie.
Même le décès de quelques membres du gouvernement (ministre des mines, secrétaire d’Etat au ministère de la santé, ministre délégué auprès du ministre des relations extérieures chargé des rapports avec le monde islamique…) et les scandales financiers qui ont agité la République (gestion des ressources liées à la Covid-19, construction des stades et autres projets…) n’auront pas fait bouger les lignes.
Paul Biya est resté droit dans ses bottes. C’est connu, le Chef de l’Etat ne cède ni à la pression ni aux chantages de ceux qui rêvent en se rasant chaque matin d’occuper un poste ministériel. Ça se bouscule pourtant au portillon. Beaucoup marquent leur impatience et las d’attendre, se transforment en lanceurs de boules puantes contre les détenteurs de postes ministériels. La convoitise fait rage. Ceux qui sont dehors veulent entrer, ceux sont dedans veulent y rester. Il y a néanmoins au-dessus de la tête du gouvernement une épée de Damoclès. Le couperet peut s’abattre à tout moment. Avec l’homme du 06 novembre, nul ne sait ni le jour ni l’heure et de toutes les façons et comme le disait si bien Lionel Jospin, « un remaniement, c’est comme une dévaluation, ça ne s’annonce pas avant ».
Toutefois, la question rituelle demeure, souvent réactualisée au gré du calendrier électoral : à l’orée de 2025, année électorale, Paul Biya, président de la République peut-il et doit-il revoir son équipe gouvernementale ?
Le risque zéro n’existe pas, mais la probabilité que le Président de la République se lance dans une modification du gouvernement est quasi-nulle. Il y a même à parier qu’il n’en fera pas, pour plusieurs raisons. Premièrement, sur le plan de la loi, rien ne contraint le Chef de l’Etat à remanier. Il est donc le seul juge de l’opportunité.
Deuxièmement, il fait bien se rendre à l’évidence de l’inopportunité d’un remaniement ministériel qui pourrait s’avérer risquée à la veille d’une élection aussi sensible comme celle qui s’annonce en 2025.
Il ne faut surtout pas l’oublier. Nous sommes à la veille d’une élection présidentielle. Les réalités qui étaient celles d’il y a deux ans ne le sont plus. Dans un contexte de préparation électorale, l’on préfère garder des personnes qui ont une assise et une expérience politiques pour porter haut les ambitions du Chef. Elles sont connues et sont à même de mieux parler aux populations. Remanier maintenant fracturerait les grands équilibres et pourrait produire des effets pervers. « Du vieux vin dans de vieilles outres » passerait mieux que « du vin nouveau dans de vieilles outres ». Ce sont donc de vieux visages que l’on envoie vers des populations qui ont été en contact avec eux depuis un bon moment. Les populations ne les découvrent plus.
De plus, sur le plan financier, les vieux visages sont capables de se mobiliser, étant entendu qu’une campagne électorale demande de gros financements. Les vieux visages qui sont toujours prompts à mettre la main à la poche dans ce cas-là, vont une fois de plus le faire, vu qu’ils espèrent des dividendes après la publication des résultats.
Troisièmement, procéder à un remaniement des troupes pousserait le Président de la République à en faire un nouveau après l’élection. Ce qui serait une perte d’énergie. Vaut mieux attendre pour n’en faire qu’après les consultations électorales. Cela permettrait de mieux récompenser certains, redistribuer les cartes, couper des têtes, envoyer certains en prison et « donner du sang » au peuple. Une nouvelle ère, symbole d’une nouvelle gouvernance.
Quatrièmement, dans un univers de course à l’enrichissement illicite (et l’on l’a vu avec les scandales financiers que l’on connait tous), une nouvelle vague de ministres serait une nouvelle vague de prédateurs des caisses de l’Etat. Certains sont convaincus que l’on est de plain-pied dans une fin de règne et que donc, avant que tout ne bascule, ils doivent tirer leur épingle du jeu.
Or, l’essentiel c’est que tout le monde se mobilise pour assurer la victoire du Président de la République.