Il y a 62 ans mourrait Félix-Roland Moumié ; nous avons décidé de lui rendre hommage aujourd’hui.
Né le 1er novembre 1925 dans la région Ouest du Cameroun, Félix-Roland Moumié est un nationaliste Camerounais mort assassiné par un espion Français le 3 novembre 1960.
Félix-Roland Moumié a un parcours scolaire brillant. En 1941, il est admis au concours d'entrée à l'Ecole Supérieure Edouard Renard de Brazzaville. Élève très intelligent, il poursuit ses études en s'orientant dans la médecine ; il s’inscrit alors à l'école professionnelle William-Ponty de Dakar en 1945. Moumié est sensibilisé aux idées anticolonialistes et communistes au cours de sa période universitaire.
A Dakar, il se distingue de ses autres camarades par son engagement impétueux dans la contestation estudiantine. Il est de toutes les grèves et de tous les combats estudiantins. Son professeur Gabriel Darbousier, qui l’a remarqué et adopté va l’orienter vers les cercles d’étude marxistes de la capitale de l’AOF (Afrique Occidentale Française). C’est ce professeur qui le recommande à Um Nyobé en 1948. Moumié est de retour au Cameroun en 1947 et débute une carrière professionnelle de chirurgien.
En 1948, Félix Moumié rencontre Um Nyobé à Kribi dans la Région Sud du Cameroun ; les deux hommes échangent longuement et Moumié décide d’adhérer à l'UPC (Union des Populations du Cameroun). C’est le début d’une fulgurante carrière politique. En 1950, Moumié est élu vice-président de la conférence des partisans pour la paix. Son engagement politique lui vaudra plusieurs affectations disciplinaires. Ce qui va lui permettre de connaitre profondément son pays et ses habitants.
En 1952, Moumié est élu président de l'UPC. En mai 1955, l’armée coloniale française massacre des milliers de militants de l’UPC.
Le 13 juillet 1955, l'UPC est interdite au Cameroun Français, Félix-Roland Moumié va en exil au Cameroun Britannique. Il réussit notamment de s’enfuir in extrémis de l’hôpital Laquintinie de Douala où il travaille.
Le 14 août 1956, un commando français part de la base militaire de Koutaba avec pour mission d'assassiner Félix – Roland Moumié. Pour une raison inexpliquée, l’assassinat échoue. Le 30 mai 1957, l’UPC est interdite au Cameroun Britannique et Félix Moumié va exil au Soudan. Il ira par la suite en Égypte où il est accueilli par le Président Gamal Nasser. Il vit principalement entre le Ghana et la Guinée où il cherche à gagner des soutiens pour l'UPC. Il bénéficie des soutiens de Kwamé Nkrumah et Sékou Touré.
Moumié choisit une orientation de plus en plus radicale. En 1959 est créée l'Armée de Libération Nationale Kamerunaise (ALNK). En mars 1959, Félix Moumié conduit la délégation de l'UPC à l'ONU pour exiger des élections avant la proclamation de l'indépendance du Cameroun. Le 1er janvier 1960, le Cameroun accède officiellement à l’indépendance. Mais pour l’UPC, elle n’est que de façade. Le parti conteste la légitimité du nouveau président Ahmadou Ahidjo adoubé par Paris.
Félix Moumié voyage beaucoup pour tenter de légitimer le combat de son parti à l’international. Pour mener à bien son combat, Moumié a besoin d’argent, d’armes et de présence médiatique. Il va se rapprocher du parti communiste chinois. En 1960, en Suisse, Félix Moumié entre en contact avec des diplomates de la République populaire de Chine pour acheter des armes. Moumié dérange en raison de son action diplomatique, il crée des contacts, récolte des fonds, cherche des soutiens ; il s’apprête même à mettre sur pied un gouvernement provisoire du Cameroun en exil. C’est l’homme à abattre, il faut l’éliminer.
William Bechtel un espion français, ancien soldat héros de la Résistance, devenu réserviste des services secrets est envoyé à Genève pour assassiner Félix Moumié. Bechtel se fait passer pour un journaliste venu interviewer Félix Moumié pour faire porter la voix du combat qu’il mène. Félix Moumié fréquente une certaine Liliane mais ce qu’il ignore c’est que cette Liliane fait en réalité partie du complot ourdi pour l’exécuter. Liliane est en contact avec l’espion Bechtel et celle-ci lui donne les informations sur les faits et gestes de Moumié.
Il faut reconnaitre que Moumié a commis une erreur politique très grave en côtoyant cette belle de nuit qu’il emmène avec lui partout même à des rencontres stratégiques.
Le 15 octobre 1960, Félix Moumié est invité à dîner par William Bechtel dans un restaurant chic de Genève, le Plat d’Argent. Lors du repas, Moumié boit un verre de Ricard. Il ne sait pas que la boisson a été empoisonnée au thallium. Il se sert à nouveau en avalant une trop forte dose de poison.
Le plan ne se passe pas comme prévu. Félix Moumié a prévu de s’envoler pour Conakry en Guinée le lendemain. Seulement, il a pris plus de poison que prévu. Or, l’espion William Bechtel avait prévu que Félix Moumié allait juste ingurgiter une dose infirme du poison et les effets allaient se faire ressentir lorsqu’il sera en Guinée ; ainsi il allait y mourir de manière mystérieuse loin de toute police scientifique et de la Suisse.
La nuit même après le diner, Félix Moumié tombe malade : douleurs stomacales, paralysie et sensation de froid. Moumié est transporté d'urgence à l'hôpital cantonal de Genève. En apprenant la nouvelle, William Bechtel disparait précipitamment. Médecin de formation, Félix Moumié sait qu’il a été empoisonné ; il sait qu’il va mourir. Mais avant de partir, il essaie puiser au fond de lui de l’énergie pour lâcher dans un dernier sursaut d’orgueil quelques indices. Il lâche péniblement ces mots : « Thallium », « Empoisonnement », « Main rouge » (du nom de l’organisation sécrète chargée de tuer les nationalistes et indépendantistes du tiers monde).
Moumié rend l’âme le 3 novembre 1960 à 19h10. L'autopsie conclut à un empoisonnement et permet à la police suisse de remonter rapidement la piste et de perquisitionner la chambre d’hôtel de William Bechtel le 17 novembre 1960. Des perquisitions opérées au domicile de Bechtel vont permettre de découvrir l’artillerie du grand espion. L’espion était sur plusieurs coups.
Quelques jours après l’assassinat de Moumié, dans un entretien censuré et non diffusé, accordé à la télévision Suisse, Ernest Ouandié, compagnon de lutte de Félix Moumié accuse la France d’être l’auteur de ce crime : « Le gouvernement français porte une lourde responsabilité. C’est de ce côté-là qu’il faut chercher. Nous détenons des preuves que nous ferons valoir en temps opportun ».
La dépouille de Félix Moumié est transportée en Guinée le 18 novembre 1960 et est inhumée. Le Président Sékou Touré de Guinée fait affréter spécialement un avion et la dépouille de Moumié est accueillie avec tous les honneurs.
Le 15 décembre 1960, le juge d’instruction Dinichert lance un mandat d’arrêt international contre William Bechtel. Mais l’espion français bénéficie de protection puissante au sein de la police de Genève et française. Les services secrets français vont le cacher dans une villa cossue sur la Côte d’Azur. Après plusieurs années de fuite, Bechtel est finalement arrêté en 1974 (14 ans après son crime) et extradé en suisse alors qu’il avait commis l’erreur de se rendre en Belgique à une réunion d’anciens combattants. Il ignorait peut-être que le mandat d’Interpol émis en 1960 courait toujours.
La France, les réseaux gaullistes et les anciens combattants montent au créneau pour sauver le soldat Bechtel. Défendu par Maître Marc Bonnant, l’assassin de Moumié est relâché, sous la pression du gouvernement français en échange d’une caution de 10 000 francs suisses.
Le Général Aussarresses, ancien membre du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage) raconte dans un livre que les amis de William Bechtel avaient même élaboré plusieurs plans pour faire évader l’agent secret de sa prison s’il n’était pas libéré par la Suisse.
En 1980, le dossier « Bechtel » arrive enfin devant la chambre d’accusation. Les dirigeants français font pression et réussissent à faire enterrer le dossier. Un non-lieu est prononcé et comme par enchantement le dossier d’instruction va complètement disparaitre. Il demeure introuvable jusqu’à ce jour.
Dans l’optique de terminer la sale besogne, la France va envoyer plusieurs décennies après la mort de Félix-Roland Moumié des sbires voler et faire disparaitre la dépouille de Moumié en Guinée. Il s’agit pour eux de faire enterrer définitivement l’affaire Moumié comme si le crime n’avait jamais existé. Le dossier a disparu, la dépouille de Moumié a disparu. Il s’agit ici de détruire à jamais à la mémoire de Moumié afin qu’on l’oublie à jamais.