Au cœur de la nuit, lorsque la cité capitale s'endort, l'abattoir industriel d'Etoudi s'anime. Située en périphérie de la capitale camerounaise, cet établissement industriel est bien plus qu'un simple lieu d'abattage de bétail. Ici, chaque nuit, 400 bovins provenant des localités reculées comme Bogow Maroua, Garoua et Ngaoundéré, et parfois même du Tchad voisin, arrivent par camions pour leur destin final. Mais avant, les propriétaires de ces animaux doivent se mettre en règle à la Société de développement et d'exploitation des productions animales (Sodepa). «Les propriétaires de ces bœufs doivent payer 8.300fcfa pour chaque tête. Cette somme représente les frais d'exploitation du site de la Sodepa», explique un cadre d'administration de la Sodepa ayant requis l'anonymat. Dès l'entrée sur les lieux, l'odeur de la viande fraîchement découpée accueille les clients, mélangeant des sons de fer et de sueur. Les cris étouffés des bêtes résonnent à travers les vastes halls où se déroule le processus d'abattage, débutant de 21h pour s'achever au petit matin. Au-delà de l'acte d'abattage, l'attention se porte sur le sort des déchets engendrés par cette activité. Les peaux des bovins sont un exemple probant. «La peau du bœuf se négocie entre 7 000Fcfa et 70 000Fcfa, en fonction de leur qualité et leur taille. Mais aussi en fonction de leur taille.
La peau de la femelle est beaucoup plus moins chère que celle du mâle», confie Abdouraman, boucher en exercice depuis plus de dix ans à l'abattoir d'Etoudi. Soigneusement préparées, ces peaux trouvent leur utilisation dans divers domaines tels que la maroquinerie artisanale. «Je viens régulièrement ici pour acheter les peaux. Je les sèche, ensuite je les utilise pour la confection des accessoires artisanaux tels que les samaras, les habits traditionnels et même les tapis de prière», déclare Razzak, vendeur d'accessoires artisanaux «nordistes» au marché Mokolo à Yaoundé. Sur place, des ouvriers habiles séparent minutieusement la peau du reste de la carcasse avec précision. On apprend par ailleurs que certaines peaux sont acquises à des fins gastronomiques. «J'achète la peau du bœuf pour préparer le ‘’eru’’ (un mets du Nord-Ouest, Ndlr) ; aussi pour faire les brochettes de peau de bœuf», avoue Rebecca, propriétaire d'un restaurant en face de cet abattoir. Quant aux autres déchets organiques comme les intestins, les tripes, les boyaux, les pattes, ils apparaissent comme les parties fortement demandés. «Les intestins, les tripes, les boyaux s'écoulent toujours plus vite que la chair rouge», renseigne Bachirou. «Ces parties sont vendues à 1500Fcfa le kilogramme. Les pattes et la tête quant à elles, sont respectivement vendues entre 4000Fcfa et 12.000Fcfa, et 7.000Fcfa et 25.000Fcfa».
Autour de l'abattoir, le monde grouille. Des clients qui, ayant déjà trouvé leurs comptes, regagnent leurs domiciles. Et ceux qui viennent d'arriver, traversent le battant blanc muni de sac ou de panier. De l'autre côté de ces portes, se trouve un autre marché. Des commerces opportunistes pullulent. Il s'agit des mini-restaurants qui ravitaillent les multiples bergers et bouchers qui travaillent en face, à l'abattoir. Chez Dali, on retrouve «bouillon de marara (serviette) vendu à 500Fcfa le plat». Chez sa voisine Aminatou, on vend le bouillon des pattes. «Le koltché (appellation fulfulde du bouillon des pattes) est vendu à 1000Fcfa», répond la trentenaire qui dépose une commande devant Moussa, l'un des bergers qui a accompagné les animaux depuis Garoua. Ce dernier n'hésite pas à faire les éloges d'Aminatou : «A chaque fois que je suis dans cet abattoir, je mange seulement le koltché de chez Aminatou car elle fait ça bien».
Aux alentours de cette industrie, on retrouve également des comptoirs de bouchers. Ces derniers sont des détaillants qui se ravitaillent à l'intérieur de l'abattoir. «Je me ravitaille chez les grossistes à l'abattoir d'Etoudi. Je viens revendre dans mon comptoir par kilogramme. Le ‘’sans os’’ à 3.500Fcfa et ‘’avec os’’ à 3.000Fcfa», renseigne Diallo, tenant d'un comptoir en face dudit établissement. Une économie souterraine prospère au sein de cet abattoir où chaque partie de l'animal trouve une utilisation spécifique, souvent méconnue du grand public. Bien que vitale pour l'économie locale, l'activité soulève des questions sur ses conséquences environnementales et sur les conditions de travail de ses employés, des défis que l'abattoir doit continuer à relever dans l'ombre de la nuit