Actualités of Sunday, 14 January 2018

Source: camer.be

Sérail: Réné Sadi mis en mauvaise posture par Paul Biya

Des obstacles financiers pourraient freiner la dynamique impulsée par le Chef de l'Etat Des obstacles financiers pourraient freiner la dynamique impulsée par le Chef de l'Etat

Avec les instructions présidentielles du 31 décembre 2017, lui demandant d’accélérer le transfert des compétences aux collectivités locales, le ministre de l'Administration territoriale et de la Décentralisation (MINADT) semble avoir perdu le sommeil. Des obstacles financiers, législatifs et institutionnels pourraient une fois encore freiner la dynamique impulsée par le chef de l'État.

Dans son discours de vœux de nouvel an 2018, adressé à la nation, le président de la République est revenu sur le processus de décentralisation consacré par la Constitution de 1996. «Je crois fermement à cet égard, que l'accélération de notre processus de décentralisation va permettre de renforcer le développement des régions. J'ai dans cette optique, prescrit la mise en œuvre des mesures nécessaires pour concrétiser rapidement cette réforme majeure», indiquait Paul Biya, le 31 décembre 2017, dans la séquence de son allocution consacrée à la crise dans les deux Régions anglophones du Cameroun. Séquence dans laquelle, le chef de l'État dit être «conforté dans l'idée que nos concitoyens souhaitent participer davantage à la gestion de leurs affaires, notamment au niveau local».

Preuve que la crise anglophone tire en grande partie son essence des multiples ratés du processus de décentralisation. De 2015 à 2017, les experts reconnaissent pourtant une nette amélioration dans la mise en oeuvre du processus de transfert des compétences. Quelques exemples: depuis 2015, les délégués du gouvernement, les maires et leurs adjoints peuvent percevoir des rémunérations mensuelles.

Fin décembre 2016, le gouvernement a transféré la quasi-totalité des compétences dévolues aux communautés urbaines et communes conformément à la loi. Aussi, l'enveloppe allouée aux collectivités territoriales décentralisées dans le cadre de la dotation générale de la décentralisation (DGD) a connu une nette hausse en 2014, passant à 10 milliards de FCFA d'augmentation.

Légers progrès

Arrivé à la tête du ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation le 9 décembre 2011, en remplacement de Marafa Hamidou Yaya, René Emmanuel Sadi a une feuille de route qui prévoit conformément à l'article 8 al.5 du décret n°2011/148 portant organisation du gouvernement, quatre grands axes d'intervention : l'administration du territoire, la protection civile, le processus électoral et la décentralisation.

«Après 6 ans de service, on peut constater qu'il tient avec plus ou moins de bonheur le pari s'agissant des trois premiers domaines d'activité. Il a considérablement rajeuni et féminisé le commandement territorial, il est également actif dans la prévention et la gestion des catastrophes, et son assistance à Elections Cameroon s'est avérée déterminante pour les sénatoriales, les législatives et les municipales organisées sans trop de casses en 2013», constate Dissiombi Langa, un expert des questions de décentralisation. Ce dernier note également au sujet du même processus, « de légers progrès enregistrés ». Toutefois, rajoute l'expert, le volet «Décentralisation», où René Emmanuel Sadi était le plus attendu, affiche «un bilan peu élogieux».

Complexité

D'après Dissiombi Langa «il a fallu 6 ans, entre 2010 et 2016, pour que soit effectif le transfert de 63 compétences aux communes et communautés urbaines.» Sachant que plus du tiers avait déjà été transféré au 9 décembre 2011, date de nomination de René Emmanuel Sadi comme MINADT, qui aura ainsi consommé 6 années à rendre aux communes, une trentaine de compétences.

«Son prédécesseur Marafa Hamidou Yaya en a fait presque autant en deux années seulement », comptabilise le spécialiste. René Emmanuel Sadi se défend, brandissant « la complexité et la délicatesse dans la mise en oeuvre du processus de décentralisation.» Résultat, les transferts de compétences ne sont pas généralement suivis d'allocations budgétaires conséquentes, ni sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif.

Entre 2010 et 2017, 588 milliards de FCFA ont été transférés à 374 communes et communautés urbaines, soit une moyenne de 196.524.065 FCFA annuellement par collectivité. Réaction de Dissiombi Langa : « Un tel montant parait insignifiant au regard de l'ampleur des problèmes dont les maires sont saisies. Ces ressources, mises à la disposition sous forme d'inscription budgétaires, sont inégalement réparties, et leur affectation décidée à Yaoundé, au gré des humeurs des chefs de départements ministériels et de leurs intérêts politiques, sans que les projets financés correspondent aux priorités des collectivités territoriales, ou même à leurs plans de développement.»

Les financements insuffisants se greffent à la collusion entre les maires et les fonctionnaires en charge du suivi des activités des communes. Des accointances malencontreuses qui ne permettent pas d'évaluer, à date, l'impact réel des financements ainsi octroyés par le pouvoir central à ses collectivités.

«Certaines communes commencent à bouder ces financements qui ne répondent pas aux besoins de leurs populations. De même, ces ressources une fois affectées, échappent totalement au contrôle de l'État du fait de compromissions et collusions entre les magistrats municipaux et les responsables des services du MINADT et des autorités administratives en charge du suivi des activités des communes», indique Dissiombi Langa.

L'échec de la régionalisation

Autre goulot d'étranglement à la mise en oeuvre de la décentralisation, le lourd arsenal juridique qui l'accompagne. Il s'agit des lois et règlements relatives à la démarcation entre les compétences de l'État central et celles des régions pour éviter tout risque de confusion avec le fédéralisme, la distinction entre les lois et règlements de la Fonction publique locale et la Fonction publique nationale (statut des personnels et élus locaux), des textes relatifs au fonctionnement des Régions et à l'adaptation du MINADT.

« Alors qu'il avait visiblement toutes les cartes en main grâce au travail de déblayage de son prédécesseur, René Sadi n'est pas non plus parvenu à mettre en place les Régions qui constituent la seconde catégorie des collectivités territoriales décentralisées », note une fois de plus le spécialiste des questions de décentralisation.

Un vaste défi que devra relever, avec célérité, René Emmanuel Sadi. Les instructions présidentielles de ce 31 décembre 2017 s'apparentent donc à plusieurs épées de Damoclès suspendues sur la tête du MINADT.