Dissimulé sous sa casquette et ses verres fumés, Gilles Kamgue est un homme prudent. Constamment aux aguets. Ce Camerounais parti de Bruxelles pour Paris pour la manifestation organisée le 25 février dernier par Eseka pour un Cameroun meilleur en soutient aux anglophones du Cameroun n’aurait raté pour rien au monde ce rassemblement Des Camerounais et amis du Cameroun manifestent, en mimant des actes de torture, de persécutions, d'injustice... à la Place d'Auteuil à quelques pas de l'ambassade du Cameroun à Paris. Ils accusent le gouvernement de Paul Biya au Cameroun des actes de manquements graves. Que ce soit le récent drame de l’hopital Laquitinie de Douala avec le décès de Monique Koumatekel, le drame de la catastrophe ferroviaire d’Eseka, le problème anglophone avec des assassinats divers, des emprisonnements de plusieurs leaders anglophones et la coupure d’Internet dans les régions anglophones du Cameroun, tout y passe.
Pourtant, si Gilles K. se mêle à ses compatriotes venus manifester, c’est avec la plus extrême méfiance. Accompagné de ses amis de Bruxelles, il préfère ne pas se déplacer seul car connaissant les méthodes de musellement du RDPC ( Rassemblement démocratique du peuple camerounais), parti au pouvoir au Cameroun dont il a été un éminent membre avant de démissionner dit-il. Des dizaines de Camerounais et amis du Cameroun, en provenance de toute l’Europe, ont convergé vers la Place d'Auteuil ce 25 février pour se retrouver. La plupart ont fait le déplacement par les métros parisiens. Gilles, lui, a pris sa voiture. « Deux jours plus tôt, les partisans du pouvoir de Paul Biya ont eux aussi manifesté à Paris. Il y a des risques que notre rassemblement de la Place d'Auteuil soit infiltré affirme-t-il, avant de détailler les mesures de précaution qu’il s’est imposées : « Regardez ce Monsieur qui est assis à l'arrêt du bus à hauteur de la Rue D'Auteuil qui abrite l'ambassade du Cameroun ici en France ». « Que fait-il la bas depuis plus de deux heures que nous sommes ici ? " s’interroge t-il. Paranoïa ou peur légitime ? Menace fantasmée ou bien réelle ? Difficile de répondre avec certitude.
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L'on note tout de même qu'un cas de disparition suspecte, celui du capitaine Guerandi Mbara, a été recensé ces dernières années en Europe, au sein de cette diaspora qui s’agrandit au fur et à mesure que le Cameroun se vide de sa jeunesse. Une chose, en revanche, est sûre : le pouvoir en place au Cameroun continue de terrifier ceux qui l’ont fui, où la moindre critique peut vous envoyer indéfiniment au bagne, où jeunes et vieux sont conscrits dans un « service national d'attente du bonheur » à durée indéterminée. Le général Waffo Wanto, président du Conseil des Camerounais de la Diaspora et les membres des associations telles le Code, le Mouvement de février 2008, Eseka pour un Cameroun meilleur, Camdiac, CNR-MUN, Conscience du Cameroun, etc... sont des visages d’un même tourment pour le pouvoir camerounais. Ces activistes, basées à Paris, Bruxelles, Londres, Washington, Berlin ...consacrent leur temps et leur énergie à dénoncer les agissements du président Paul Biya et le cercle des dirigeants aux commandes du pays depuis bientôt un demi de siècle Egalement rencontré à Paris, Abdelaziz Moundé, par ailleurs porte parole de l'association Eseka pour un Cameroun meilleur insiste : " C'est en nous libérant des carcans, corsets et des pesanteurs de notre société que le Camerounais sera plus libre, digne et renforcera la qualité de notre démocratie. Le chemin est long et difficile. Prenons-le !" Même son de cloche du côté de Marcel Tchangue, porte parole du Mouvement de février 2008, venu de Bruxelles pour la manifestation de Paris du 25 février, qui pense que l’initiative, lancée au moment de la crise anglophone au Cameroun, viendra appuyer les appels du Mouvement de février 2008 et du Code dont il est l'un des pères fondateurs et consistera à multiplier les appels, en vue de mobiliser la population contre le régime de Paul Biya. Une incitation à un « soulèvement populaire » ou à la « résistance », selon le côté duquel on se situe, qui lui a valu de voir son nom et son numéro de téléphone apparaître dans les documents transmis dit-il par l'ambassade du Cameroun à la police belge, le présentant comme une « casseur ».
Assertion qu’un officier de police de la Zone Ixelles et Bruxelles capitale et qui a requis l’anonymat balaie d’un revers de la main car selon cette source policière, ce prétendu « casseur » n’a jamais cassé quoi que ce soit depuis qu’il est en tête, ce depuis des années, de plusieurs manifestations devant les locaux abritant les services de l’ambassade du Cameroun à Bruxelles. Julien Ewoutou, un anthropologue qui a consacré ses recherches aux méthodes de contrôle « de cet Etat du Cameroun à l’ étranger », évoque « des procédés de surveillance subtils ». « Dans le cas des Camerounais, le terme diaspora est à mettre entre guillemets, car la communauté est extrêmement divisée sur des lignes religieuses et ethniques", explique-t-il. En fonction de ces divisions, le gouvernement utilise des techniques de contrôle qui sont différentes. Avant l’indépendance, celui-ci a canalisé les ressources destinées à la lutte. Il a surtout fait taire avec l’aval de la France les voix indépendantistes qui ne partageaient pas les mêmes opinions que lui. » Selon l’anthropologue, s’ajoute à cela « une politique d’intimidation, qui consiste à filmer les opposants, à faire circuler des rumeurs. Il exerce une pression constante qui fait que ceux qui ont vécu la violence arbitraire, subite et imprévue du régime pensent que le pouvoir peut encore se déchaîner contre eux. Cette tension, dit-il, est aussi générée par les déserteurs, car chacun d’entre eux a de la famille au sein du régime. L’élite dirigeante n’est pas totalement déconnectée de la population. Quand les Camerounais arrivent en Europe, ils réalisent souvent que les membres de leur famille qui ont payé leur passage aux trafiquants travaillent pour le gouvernement. Dans une telle situation, il est très difficile de dire qui est l’espion. Plus qu’un espionnage moderne, la surveillance est “démocratisée” selon un modèle comparable à celui de l’ex-Allemagne de l’Est. La délation devient une forme de surveillance. Et la médisance sert à ostraciser. »
L'espionnage en lui-même Ces dernières années, des informations en provenance des lésés du système ont révélé la présence en Europe de plusieurs chef des renseignements militaires en poste dans les missions diplomatiques du Cameroun à l'étranger. Il sont souvent accompagnés selon nos informations par plusieurs d'entre eux dont leur unique bureau est constitué d'un ordinateur portable et d'une connexion internet. Cette dernière catégorie de travailleur camerounais à l'étranger consiste à visiter tous les sites Internet qui parlent du Cameroun et de poster des commentaires soit pour insulter les anti Biya, soit pour polir le pouvoir en place à Yaoundé. Que l'on soit à Bruxelles, Paris, Washington, Berlin, les activités organisées par les anti Biya sont de près écumées par des agents secrets camerounais payés aux frais du contribuable camerounais pour se balader dans les rues fréquentées par les camerounais ou les restaurants voire assister de loin des manifestations hostiles au pouvoir. Ils sont facilement reconnaissables. Tous portent des casquettes, possèdent des Ipad derniers cris , idem pour des smart phones pouvant capter des images et des sons à des centaines de mètres. « Le pouvoir a le bras très long », résume l'anthropologue, Julien Ewoutou. Heureusement conclu t-il, que ces manifestants anti Biya se connaissent tous entre eux et sont capable de détecter des infiltrés dans leur groupe lors des manifestations publiques.