Actualités of Thursday, 30 January 2025

Source: Terre promise n°217 du 29 janvier 2025

Sérail : un gros rapport vient d'être déposé sur le bureau de Biya

Un rapport remis à Biya Un rapport remis à Biya

La restitution du rapport de la Commission mixte pluridisciplinaire sur le rôle et l'engagement de la France dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d'opposition au Cameroun de 1945 à 1971, a été, au-delà de faire la lumière sur un passé objet de controverse, l’occasion pour Yaoundé et Paris, de réitérer leur engagement pour une relation apaisée.

Après son homologue Emmanuel Macron, à qui le même document a été remis à Paris, le 21 janvier dernier, en présence du ministre directeur du Cabinet Civil de la Présidence du Cameroun, Samuel Mvondo Ayolo, qui le représentait, le Chef de l’État du Cameroun est, à son tour, entré en possession du rapport de la Commission mixte franco camerounaise présidée côté français par l’historienne Karine Ramondi et, côté camerounais par l’artiste Blick Bassi. Les quatorze membres de cette Commission, sept Français et sept Camerounais, étaient chargés de faire la lumière sur un pan d'histoire sanglant longtemps tu et méconnu. Simplement dit, il était question de faire la lumière sur les crimes commis par la France au Cameroun pendant les années de guerre et de répression.

À titre de rappel, le Cameroun, pupille des Nations, a été placé sous la tutelle de la France et de l’Angleterre après la Deuxième Guerre mondiale. Il va mener une rude lutte pour obtenir son indépendance le 1er janvier 1960.

Un travail de mémoire et de vérité

Pour remettre le rapport de la Commission au Président Paul Biya, une cérémonie solennelle a été organisée le 28 janvier 2025, au Palais de l’Unité à Yaoundé, en présence de ses auteurs et d’un parterre de personnalités. Le gouvernement français pour sa part était représenté à cette occasion par son ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux, Thani Mohamed SOIHILI. Preuve que l’affaire est prise très au sérieux par les autorités de Yaoundé, la cérémonie a été retransmise en direct à la télévision nationale (CRTV) et sur PRC TV, la chaine de la Présidence de la République.

L’engagement avait été pris à Yaoundé en juillet 2022, par Emmanuel MACRON de rendre les archives françaises entièrement accessibles aux chercheurs, afin de faire la lumière sur les événements de la période de la lutte pour l’indépendance du Cameroun. Le rapport qui a ainsi été remis au Président Paul Biya est un document de 980 pages, comprenant une partie scientifique et une partie artistique. Il est le fruit de 09 mois de collecte de témoignages et de recherches documentaires soigneusement menées au Cameroun et en France.

Une thérapie collective

Recevant le rapport, le chef de l’État camerounais a révélé qu’au moment de mettre sur pied cette Commission l’objectif était de « briser un tabou vieux de plusieurs dizaines d’années, pour que la relation entre la France et le Cameroun puisse connaitre de nouveaux développements ».

Le Président Paul Biya a dit être conscient que « c’est avec beaucoup d’émotion, de tristesse et de peur enfouies, que bon nombre de [ses] compatriotes évoquent les récits de la période 1945-1971 de l’histoire du Cameroun », avant de féliciter les membres de la Commission qui ont « accompli un travail de recherche très remarquable et de consignation mémorielle d’une grande portée symbolique, pour restituer l’authenticité des faits et des récits, afin de faire émerger la vérité ». Il a qualifié le travail fait de « thérapie collective qui amène les peuples à mieux s’accepter et à s’assumer pleinement dans leurs relations ». Pour lui, « il fallait en arriver là pour admettre ensemble cette catharsis entre la France et le Cameroun, deux pays amis, aux relations séculaires plurielles et multi formes ».

On a pu comprendre que bien qu’il évoque des épisodes douloureux, le rapport Ramondi doit permettre d’asseoir les relations entre les deux pays sur des bases plus saines et solides.

Nombreux sont les observateurs qui félicitent déjà le chef de l’État camerounais, d’avoir incité la France à ouvrir ses archives, et donc à initier ce travail de mémoire avec la participation des chercheurs camerounais, permettant ainsi à ses compatriotes de connaitre la vérité sur un passé qui a affecté l’histoire de leur pays. Il faut rappeler que dans son ouvrage Pour le libéralisme communautaire, paru en 1987, Paul Biya reconnaissait déjà que « l’indépendance de notre pays fut arrachée au colonisateur à travers des luttes acharnées, menées par les combattants qui avaient en commun l’amour de la patrie ». Avant-gardiste, il ajoutait : « il revient à nos historiens de rendre compte, sans complaisance, ni partie pris, de ce que fut la décolonisation ».

Pour conclure le Président Paul Biya a indiqué que le travail de la Commission doit se comprendre comme une première étape nécessaire qui ouvre les perspectives d’autres recherches, dont il faudra capitaliser les résultats de ces énergies fécondes en développant de processus de mise en œuvre des conclusions de ces travaux… » À présent que le rapport a été remis aux deux Chefs d’État, son contenu peut désormais être révélé. Mais, selon certaines indiscrétions, les conclusions des chercheurs sont de nature à remettre en cause certaines idées reçues sur le rôle de la France dans la lutte pour l’indépendance du Cameroun. Un épisode dans lequel Paris est souvent accusé de n’avoir pas joué le beau rôle. Il est clair que journalistes et historiens y trouveront sans aucun doute du grain à moudre dans les semaines, mois et années à venir.

Le rapport de la Commission peut-il changer la perception que les Camerounais ont de la France ? Seul l’avenir nous le dira.