La petite bourgade de Soukounga 1, située à 75km de Ngaoundéré sur l’axe Ngaoundéré-Méiganga, connait depuis 2006, un litige foncier particulier en son genre. Les plus de 2500 âmes qui y vivent, pratiquent leur élevage en paix. Ce village est aussi un véritable bassin de production du miel de très bonne qualité. Tout allait bien à Soukounga 1, jusqu’à ce qu’un certain Jean Aminou, ingénieur des télécommunications en service dans une compagnie de la téléphonie mobile, se rende dans ce village. «Il est arrivé ici et a rencontré le défunt chef du village. Il a demandé au chef de lui trouver un espace pour implanter une antenne qui sera utilisée par une société de téléphonie mobile. Il a choisi l’espace le plus élevé du village. Il a tellement vanté les bienfaits de cette antenne et a promis au chef que, cette entreprise viendra également construire une école et un dispensaire», relate la matriarche Damouna d’environ 90 ans.
C’était en 2004. Quelque temps après, la population constate seulement l’arrivée sur le site, des engins pour le terrassement. Le nommé Jean Aminou n’est pas présent. L’espace en question représente un peu plus d’un hectare. Une fois les travaux achevés, le pilonne a été implanté. «Je suis arrivé dans ce village en 2005 et j’ai vu la construction de ce chantier. Mais je peux vous rassurer que, je n’ai jamais vu ce Monsieur Aminou Jean en question de mes yeux», confie le pasteur du coin, Alpha André. Pourtant, en venant demander ce terrain au nom d’une société de téléphonie mobile, Jean Aminou avait un plan bien ficelé : faire titrer cet espace à son nom pour faire louer le terrain à cette entreprise de téléphonie mobile et, bénéficier des dividendes. Rien ne laisse d’ailleurs croire que le village Soukounga 1 reste le seul cas dans cette situation. Aussi, en 2008, un second opérateur de téléphonie mobile viendra s’installer sur le pilonne de son concurrent après entente et, occupera un espace supplémentaire d’environ 150m² augmentant ainsi le loyer.
TITRE FONCIER
Toutes nos tentatives à vouloir joindre le nommé Jean Aminou sont restées vaines. Mais la procédure d’immatriculation d’un terrain que le reporter a consultée, prévoit dans les préalables, un procès-verbal de constat d’occupation ou d’exploitation d’une dépendance du domaine national. La demande a été adressée au sous-préfet de Ngaoundéré le 27 février 2004 et la descente sur le terrain a eu lieu le 08 juin 2008. Il y apparaît une anomalie claire. Sur l’entête du document en question, on peut bien lire «province de l’Adamaoua», mais sur le cachet qui certifie ledit document, il est mentionné «province du Littoral».
D’aucuns parleraient déjà à ce niveau de «faux en écriture». D’ailleurs, pour la population, il s’agit tout simplement d’un faux document. «C’est en 2005 que cette antenne a été fixée. Il n’y a jamais eu une quelconque descente sur le terrain pour l’élaboration d’un titre foncier, encore moins, une concertation avec la population. Le défunt chef a offert gracieusement cet espace. C’est après son décès que son successeur a constaté la supercherie», renseigne Hamza Yaya, Imam de la grande mosquée de Soukounga 1. De toutes les façons, Sieur Jean Aminou obtiendra bien son titre foncier N°4754/Vina. Par la suite, le village Soukounga 1 va demander l’annulation de ce titre foncier et avoir gain de cause.
REBONDISSEMENT
Le 14 mars 2022, une équipe du tribunal administratif de Ngaoundéré fait une descente sur le terrain dans ce qui est désormais appelée «affaire Aminou Jean contre Etat du Cameroun (Mindcaf) et la collectivité du village Soukounga 1», pour annulation de l’arrêté N°000610/Y.7/Mindcaf/SG/D6/S200 /EMB du 07/12/2020 portant retrait du titre foncier N°4754/Vina. Comme quoi, le titre foncier N°4754/Vina qui avait été retiré à monsieur Aminou Jean au profit de la collectivité de Soukounga 1, lui revient à nouveau. Ayant apporté des éléments nouveaux dans le dossier, la collectivité de Soukounga 1 va bénéficier à nouveau d’un rebondissement dans l’affaire. Le 04 août 2023, le Mindcaf sort un arrêté de rétractation en leur faveur.
«Acte est pris des éléments nouveaux, pertinents et déterminants permettant de constater : la caducité et l’inexactitude des moyens de faits et de droit ayant justifié l’arrêté N°1279/Y.7/Mindcaf/SG/DG/S100/M oav du 12 mai 2023 notamment l’ordonnance de non-lieu de la Cour d’Appel de l’Adamaoua, en ce que le litige liant les parties a fait l’objet du jugement N°23/TA/Fond/NG rendu le 23 mai 2023 par le Tribunal administratif de Ngaoundéré, lequel est devenu définitif et exécutoire. Le caractère définitif et exécutoire du jugement N°23/TA/Fond/NG rendu le 23 mai 2023 par le Tribunal administratif de Ngaoundéré, lequel consolide les effets de l’arrêté du 07 décembre 2020 portant retrait du titre foncier N°4754/Vina, à la suite du désistement de Sieur Aminou Jean», peut-on lire au niveau de l’article 1 de cet arrêté du Mindcaf.
Plus bas, l’arrêté du Mindcaf dans son article 3 martèle que, «le titre foncier N°4754/Vina établi au profit de Sieur Aminou Jean est retiré avec toutes les conséquences de droit». Cet acte du ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf), Henri Eyébé Ayissi est reçu par la population comme un ouf de soulagement. «Aujourd’hui la population veut tout simplement que la décision de la justice soit respectée ; que cette population récupère définitivement ses terres afin de bénéficier des retombées financières que ces entreprises de téléphonie mobile reversaient à cet individu», fait savoir Sa Majesté Garga Alim Abbo, chef du village Soukounga 2.
ARGENT
En réalité, selon nos sources, Aminou Jean aurait perçu indument une grosse somme d’argent depuis 2006. On parle alors de plus de 50 millions de Fcfa de location de cet espace à deux opérateurs de téléphonie mobile, de 2006 à nos jours ; soit environ 300 000Fcfa par mois. Ainsi, cet argent qui devait certainement servir au développement du village Soukounga 1 et à l’épanouissement de sa population, s’est retrouvé dans les poches d’un individu qui n’est même pas fils de la localité. L’on se demande alors, ce que deviendra cet argent indument perçu. Rien ne laisse donc croire que cette affaire s’arrêtera à ce niveau.
Aussi, même les signataires de la fausse descente sur le terrain de constatation de l’occupation de cet espace, pourraient être inquiétés. En attendant, le chef du village Soukounga 1 Sa Majesté Bia Hamza, a déjà été notifié depuis le 04 août dernier par le Mindcaf de ce que l’espace querellé revient définitivement à sa collectivité. «…Il en résulte par conséquent que, le titre foncier N°4754/Vina établi au profit de Sieur Aminou Jean est retiré avec toutes les conséquences de droit. Vous voudrez bien vous rapprocher de Monsieur le Délégué départemental des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières de la Vina à toutes fins utiles», peut-on lire dans cette correspondance du ministre Henri Eyébé Ayissi adressée à Sa Majesté Bia Hamza, chef du village Soukounga 1. Ce dernier a même déjà obtenu du ministre Henri Eyébé Ayissi, l’autorisation d’immatriculer cet espace.