Actualités of Wednesday, 9 February 2022

Source: www.camerounweb.com

Sans CV, avec des jumeaux sous le bras, comment Biya a imposé Chantal Vigouroux à ses parents

Elle était appelé la fille du bas peuple Elle était appelé la fille du bas peuple

• Les parents de Paul Biya n’aimaient pas Pulchérie Vigourouxaux

• Elle n’avait aucune formation et était sans CV

• Dans le sérail, elle n’était pas appréciée




Chantal Biya est incontestablement la femme la plus respectée du Cameroun. La première dame s’est forgée une personnalité et est devenue au fil des ans, un maillon indispensable du système Biya. Avec son puissant réseau parallèle, elle fait et défait des ministres, directeurs de cabinet et secrétaires généraux de la présidence de la République. Tout n’a pas été poirtant facile pour cette métisse inconnue du sérail qui débarque au palais présidentiel étant déjà mère de jumeaux. Dans la famille de Biya, elle n’est pas particulièrement appréciée car elle n’était pas celle que les aînés avaient choisie pour leur fils. Dans le sérail, le manque d’éducation de Chantal Biya et son CV presque vide dérangent.

CamerounWeb vous propose quelques extrait du document « Chantal Biya « fille du peuple » et égérie internationale » de Fred Eboko qui raconte le parcours atypique de Chantal Biya


À la suite du décès, en 1992, de Mme Jeanne Irène Biya, sa première épouse, le président Paul Biya est sollicité avec insistance par ses proches des palais d’Etoudi et de Mvomeka’a, son village natal (au sud du pays), pour redonner au pays une nouvelle Première dame. Des femmes issues de la progéniture des élites politico-administratives qui structurent l’État au Cameroun lui auraient été proposées 7. Mais ce dernier déjoua tous les pronostics, en élisant une jeune femme métisse âgée d’une vingtaine d’années à l’époque et déjà mère de jumeaux nés d’une précédente union. Le président Biya épouse donc Chantal Vigouroux en 1994, alors que son régime sort éprouvé de la polémique née de sa propre reconduction.

Cependant, le choix de Paul Biya divise l’opinion entre ceux qui pensent qu’il n’y a pas lieu de le discuter, car relevant du domaine du privé, et ceux, plus nombreux, qui voient dans ce second mariage un acte politique qui dépasse la sphère de l’intime. Cette controverse révèle des enjeux de la stratification sociale camerounaise que la nouvelle Première dame, à son corps défendant, illustre au propre comme au figuré. En effet, issue d’une famille modeste, Chantal Biya représente à elle seule un clivage implicite entre ce que l’on peut qualifier, grosso modo, ici, les classes populaires d’un côté et les élites de l’autre. Les deux pôles de cette hiérarchie sociale sont loin d’être étanches ou homogènes, et leur relation est, à bien des égards, incarnée par la personnalité de Mme Biya. Cette dernière, en effet, reflète un faisceau de contradictions et de logiques concernant les pratiques et les représentations de l’émancipation féminine.

Dans un pays où les statuts féminins sont en pleine mutation, les dires, les rumeurs, les écrits, les fantasmes, les réalités inhérentes à la Première dame informent des changements des formes de mobilité sociale depuis deux décennies. Sans diplôme, sans « nom », sous-entendu sans carte de visite dans le sérail de Yaoundé, donc sans l’éducation et l’instruction valorisées par la « bourgeoisie » camerounaise, la jeune Chantal Vigouroux partait avec de lourds handicaps au regard de cette « élite ». Après leur mariage, les a priori de « ceux d’en haut » restent les mêmes. Si, entre bourdes et maladresses en public, Chantal Biya réjouit les classes populaires, qui la trouvent naturelle, « ordinaire» – non sans contradiction puisque certains pensent aussi qu’elle n’est pas forcément à sa place – et spontanée, dans le même temps, sa « naissance » et accessoirement son passé agacent la nomenklatura. En d’autres termes, on lui reproche autant ce qu’elle « fait » que ce qu’elle « est ».


La relative sympathie populaire dont elle bénéficie est symbolisée par un surnom mêlant tout à la fois tendresse, humour, ironie et raillerie vis-à-vis du pouvoir : « Chantou ». Les chansons populaires, véritables rituels du griotisme comme de la dérision politique au Cameroun, témoignent du fossé qui s’est creusé entre les détenteurs des codes élitaires et la majorité de la population plongée dans une précarité prolongée. Et c’est une artiste populaire, K-Tino, en délicatesse avec la pudibonderie propre à la « bourgeoisie » locale, qui va le plus loin dans le soutien des « sans-voix » à la Première dame : « Honneur à la Première dame du Cameroun, Madame Chantal Biya / Je défends Chantal Biya ma maman, / Si quelqu’un la touche, je vais me fâcher 8 » (refrain).

En contradiction avec le discours qui fait des cadets sociaux des enfants, la « petite fille » Chantou accède ici au rang de « maman9 » ; la chanteuse féminise ainsi les discours sur les « pères de la nation », qui ont eu cours pendant les années des partis uniques. Ce clivage que Chantal Biya illustre exprime d’abord les attentes d’une société camerounaise disloquée par la crise économique vis-à-vis des quelques symboles qui lui permettraient encore de croire en une certaine respectabilité des institutions pourtant sapées par un « ordre moral » en pleine mutation. La décennie 1990 a vu en effet s’effondrer « la respectabilité de l’État 10 » et naître une société où tout semble à vendre et à acheter, des documents administratifs individuels aux services publics déliquescents puis privatisés 11, en passant par les personnes confrontées à toutes sortes de compromissions et de violences quotidiennes.

Le choix d’épouser cette jeune métisse manifeste aussi l’ouverture d’esprit du président et, surtout, sa liberté d’agir dans un contexte politique où les analyses profanes ou savantes de sa dépendance à l’égard de son entourage vont 95 Politique africaine Chantal Biya : « fille du peuple » et égérie internationale bon train.