Il existe à Yaoundé des centres de santé de fortune, au grand mal des patients qui veulent se soigner à tout prix. Le combat engagé par l’Ordre national des chirurgiens dentistes en vue de l’assainissement de la profession peine à porter ses fruits.
Le mal de dent. Plusieurs personnes parlent de la douleur, et beaucoup d’entre eux évoquent aussi l’infortune d’avoir été se soigner au mauvais endroit : dans un de ces cabinets de fortune qui se confondent aux habitations dans les quartiers de Yaoundé. La douloureuse expérience a été vécue en 2014 par Nicanor Kamgué, étudiant en cycle de doctorat à l’université de Yaoundé I. Après quoi, il a déposé une plainte à l’Ordre national des chirurgiens dentaires du Cameroun.
Nicanor Kamgué dénonce l’existence de cabinets dentaires clandestins aux alentours de l’hôpital protestant de Djoungolo, situé au quartier Etoa-Meki. « J’avais très mal à la dent. Je me suis rendu à l’hôpital protestant de Djoungolo pour rencontrer un dentiste. Les visites médicales ne se faisaient pas ce jour-là. Le vigile de l’hôpital m’a orienté vers un meilleur dentiste, selon lui, qui n’habite pas loin de là. Il m’a communiqué le numéro de téléphone du dentiste en question », raconte Nicanor Kamgué. Le présumé professionnel a un nom : Dr Mfoulou. « Dès que je l’ai appelé, il m’a demandé de l’attendre sur la montée de l’hôpital. Quelques minutes plus tard, le dentiste se présente et me demande de le suivre.
Lorsque nous arrivons à destination, je constate que ce n’est pas un cabinet dentaire ordinaire, mais une maison d’habitation. Lorsque j’entre dans le salon, je trouve un jeune homme assis, qui vient de se faire arranger une dent. A côté de lui, se trouve un seau dans lequel il crache du sang. Le récipient contient déjà une importante quantité d’un liquide rouge. Je commence à me poser des questions. Mais ma dent me fait souffrir atrocement et je me laisse consulter », poursuit le patient de l’époque. La consultation se déroule dans une chambre aménagée à cet effet et pour les opérations de chirurgie dentaire. « Tout était vieux. Il y avait une vieille chaise tournante au centre, des morceaux de dents et de plâtres disposés de part et d’autre. L’une des choses qui m’ont surpris, c’est que le prétendu docteur ne m’a pas demandé mon carnet médical.
Il est directement passé à la consultation. Il a d’abord pris un morceau de bois. Lorsque je l’ai regardé bizarrement, il a pris un morceau de fer et s’est mis à cogner sur ma dent », se souvient Nicanor. Il est définitivement convaincu d’être en face d’un charlatan lorsque celui-ci étale son ignorance des numéros des dents. « Lorsqu’il a fini de me consulter, il m’a fait savoir qu’il y avait trois dents à arracher, et qu’il n’y avait pas d’autre solution. Pour me débarrasser de lui, je lui ai dit que je reviendrai plus tard. Je lui ai donné 2000 F.Cfa pour la consultation. »
Guide
Lorsqu’on a mal à la dent, on est prêt à tout pour être soulagé de cette douleur, même dans ces cabinets dentaires de fortune qui existent dans les quartiers. Nicanor Kamgué n’est qu’une des victimes. Il a dû se faire passer pour un patient pour vivre l’expérience de l’intérieur. Toujours à Etoa-Meki, il y a cette plaque indiquant l’existence d’un autre cabinet. Il y a toujours quelqu’un pour renseigner sur le lieu. Et voilà le reporter qui se faufile entre des maisons, guidé par un jeune homme. Au bout d’une dizaine de minutes de marche, une bâtisse se laisse découvrir au fin fond du quartier. Le guide semble bien connaître les riverains. Une fois dans la salle de séjour, on est introduit auprès du « docteur » dont le nom n’est pas donné. Celui-ci est en train de prendre son petit déjeuner. Il demande alors à la jeune femme qui l’accompagne de s’occuper du « malade ». « Elle est aussi docteur. Elle va vous arracher la dent. Pour ce faire, vous devez payer 5.000 F.Cfa. Pour détartrer ou plomber la dent c’est 10.000 F.Cfa. Pour dévitaliser, c’est 25.000 F.Cfa. Mais la machine pour plomber est en panne », prévient le « docteur ».
Sur ces derniers mots, le reporter trouve une échappatoire, et fait savoir qu’il veut plutôt se faire détartrer les dents. « C’est vrai que je ne peux pas résoudre votre problème, mais je connais un collègue qui peut vous aider. Son cabinet est situé dans les environs de la nouvelle route Etoa- Meki, non loin de la boulangerie Selecte », rétorque le « docteur ». En plus, le guide est toujours là, disposé à rendre service. Une fois en chemin, il tient à nous rassurer : « Soyez tranquille, vous n’auriez rien à me donner. C’est plutôt au docteur de me remercier de lui avoir apporté un client. »
Après quelques minutes de marche, nous arrivons à destination, derrière un bâtiment de deux étages. Cet autre cabinet dentaire se résume à une petite salle aménagée. Aucune plaque n’indique la présence d’un centre médical. Placé à la porte, un jeune homme en blouse verte reçoit et les invite à entrer. Une fois à l’intérieur, on découvre une pièce scindée en deux par un contreplaqué. Où l’on a mis une espèce de porte. D’un côté, une salle comprenant une table, quelques chaises et un téléviseur. De l’autre côté, il y a la salle des chirurgies. Une dame y est allongée sur un siège. Elle vient de se faire arracher une dent. Avec un mouchoir posé sur la bouche, elle écoute avec attention les prescriptions d’un homme en blouse blanche. Autour d’eux, l’on peut apercevoir des équipements hospitaliers dispersés ici et là. Leur délabrement pousse à douter de la qualité des soins administrés dans cette pièce.
Le combat
Les cabinets dentaires clandestins sont considérés comme le véritable mal de la dent à l’Ordre national des chirurgiens dentistes du Cameroun. Sa présidente, le Dr Chantal Tankoua-Sunou, affirme que le combat est engagé et qu’une vaste campagne d’assainissement du secteur sera lancée dans les prochains jours, en collaboration avec le ministère de la Santé publique. « On a de plus en plus de plaques indiquant des centres dentaires qui fleurissent dans nos villes, que ce soit à Yaoundé et ses périphériques ou à Douala. Ces centres ne sont pas connus par les chirurgiens dentistes diplômés et compétents. L’Ordre national des chirurgiens dentistes s’en est rendu compte et, en collaboration avec la tutelle, compte engager une vaste campagne d’assainissement dans ce domaine.
Cette campagne va consister à descendre sur le terrain, et travailler avec les médecins chef de district, pour assainir tous ces centres de santé, domiciles et cabinets dentaires. » La lutte contre les clandestins ne date pas d’aujourd’hui, précise le Dr Tankoua-Sunou. Elle a son idée sur le profil de ces « pseudo professionnels ». « Lorsqu’on va dans ces cabinets dentaires, l’on constate qu’ils sont tenus par des personnes qui ne sont ni chirurgien dentaire, ni médecin dentiste. Quelques uns sont tenus pas des techniciens dentaires de santé qui, pourtant, doivent travailler sous la tutelle des chirurgiens dentaires ou des médecins dentistes conformément à la législation », déclare la présidente de l’Ordre. La porte n’est pas complètement fermée à ces soignants, à condition de respecter les exigences en matière de soins dentaires, dit le Dr Tankoua-Sunou.
« D’habitude, lorsque nous identifions un cabinet dentaire illicite, nous commençons d’abord par informer son propriétaire qu’il est en train d’exercer dans l’illégalité. Ensuite, nous lui demandons de fermer sa structure, lorsqu’elle est totalement inadéquate pour pouvoir administrer des soins dentaires. Enfin, nous lui demandons de se mettre en règle. C’est à dire d’obtenir une autorisation ministérielle d’ouverture de son cabinet et de recruter un chirurgien dentiste pour y effectuer des soins. En général, ils vous disent oui, mais après, ils ne font rien de tout cela. Lorsqu’ils ne suivent pas la procédure et qu’on voit qu’il y a récidive ou mauvaise volonté, on est obligé de faire fermer la structure. » Face à la résistance des clandestins, la prudence et la vigilance sont dès lors conseillées aux patients.
Le Dr Chantal Tankoua-Sunou demande aux uns et aux autres de se rendre au siège de l’Ordre des chirurgiens dentistes situé au carrefour de la Total Elig-Essono. Ici, il existe un tableau de tous les chirurgiens dentistes autorisés à exercer. « Lorsque vous vous rendez dans un cabinet dentaire, rassurez-vous que sur le tampon de celui qui vous consulte, il est bien mentionné chirurgien dentiste avec son numéro d’ordre. Tous les chirurgiens dentistes ont un numéro d’ordre. C’est une obligation. Nous ne sommes pas là pour empêcher les gens d’ouvrir leur cabinet dentaire, mais il faudrait que celui-ci respecte les normes.»