Lettre ouverte au Comité d’audit À propos des résultats du concours de la Beac
Monsieur le président du Comité d’Audit de la Beac, La BEAC, Institut d’Emission des six pays de la CEMAC, dont le gouvernail a été confié à Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI en 2017 par les Chefs d’Etat, est une Maison d’excellence qui, durant 50 ans, a patiemment construit son image de marque sur des valeurs cardinales telles que la compétence, la rigueur et la probité. Fort de ces exigences qui s’imposaient à eux, et malgré les contingences spécifiques à notre sous-région, les précédents Gouverneurs ont essayé de maintenir l’image de prestige de cette institution devenue le fleuron de la CEMAC. Aussi, en dépit de la réserve que leur inspiraient les carences du profil de Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI au regard des exigences requises par l’article 51.2 des Statuts de la BEAC pour accéder à la fonction de Gouverneur, le personnel avait fait le pari qu’il parviendrait à maintenir le cap fixé par ses prédécesseurs, notamment en ce qui concerne la préservation de la qualité du personnel de la Banque. Hélas, après d’autres dérives constatées auparavant, la gestion du concours de recrutement d’agents d’encadrement supérieur (AES) de la BEAC en cours confirme qu’il n’est pas vraiment à la hauteur de la mission qui lui a été confiée. En effet, il a choisi de répondre aux nombreuses critiques sur ce concours par voie de presse, en mobilisant notamment une chaine d’information française basée à Paris et en mettant à contribution un prestataire rémunéré pour ripoliner l’image de la BEAC, au lieu de s’expliquer devant les organes de décision et de contrôle de la BEAC comme le Président du Conseil d’Administration (PCA) l’y avait invité par sa lettre du 1er août 2022, ou même devant son personnel comme le voudraient les principes de bonne gouvernance. L’orientation que le Gouverneur ABBAS MAHAMAT TOLLI a donné à ce processus de recrutement et surtout son refus d’adopter les mesures de correction a suscité colère, émoi et incompréhension. Dans l’indifférence apparente des organes de décision et de contrôle de la BEAC, le personnel de la BEAC dont l’image et le statut étaient en train d’être écornés n’a pas eu d’autres choix que d’adresser une lettre ouverte à Monsieur ABBAS TOLLI pour épingler son management en général et mettre en cause le processus de recrutement en cours. Mais ces alertes ne suffisent visiblement pas car dans une défiance totale à l’égard des organes de gouvernance de la BEAC, le Gouverneur est en train de mener à son terme ce processus très contesté, particulièrement par la Direction Générale du Contrôle Général dont le principal rôle est le contrôle interne de l’Institut d’émission. Dans ces conditions, la mission que le PCA a confiée au Comité d’Audit par lettre datée du 17 août 2022 est une occasion précieuse pour rattraper ces errements de gouvernance et c’est pour contribuer à sa réussite que le Collectif des Cadres indignés a jugé important de vous saisir. Afin de vous accompagner dans vos investigations, nous allons mettre en relief quelques constats et interrogations pour lesquels vous pourriez demander des éclaircissements à Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI en tant que premier responsable de cette institution communautaire.
1. Il a choisi de confier la mission d’organiser le concours à un cabinet non-résident dans la CEMAC et dont les références pour ce type de prestation, où plus de 4 mille candidats étaient en compétition, n’étaient pas établies. A titre de rappel, la qualité des prestations de ce cabinet avait déjà été décriée à l’issue de la première procédure de sélection de Directeurs Centraux organisée au cours de l’année 2019. Pourquoi avoir choisi de confier une nouvelle prestation à un cabinet n’ayant pas donné satisfaction par le passé, alors même que pour des raisons similaires, il avait retiré le marché de construction de l’agence de la BEAC à Ebolowa au soumissionnaire arrivé en tête à l’issue du processus d’évaluation pour le confier à une société tchadienne portée (comme par hasard !) par son oncle maternel ?
2. L’organisation matérielle du concours a été émaillée de gros incidents et de ratés inacceptables au regard du sérieux que la Banque met habituellement dans l’organisation de ses activités. En plus des nombreuses images honteuses pour la BEAC ayant inondé les réseaux sociaux sur les conditions d’organisation déplorables du concours à Yaoundé, un rapport alarmant de la Direction Générale du Contrôle Général (DGCG) y relatif a été porté à sa connaissance trois jours après le concours. De manière curieuse, il a décidé unilatéralement d’en ignorer les conclusions alors que la DGCG proposait la tenue d’une réunion du Gouvernement de la Banque pour statuer sur la problématique. En outre, le Directeur National de la BEAC pour le Cameroun lui a adressé un rapport circonstancié dans lequel était dénoncé l’amateurisme du cabinet chargé de l’organisation du concours. Au vu de tout ce qui précède, une question nous taraude l’esprit : à moins qu’une situation de conflit d’intérêts ne lui ait imposé une telle posture, pourquoi le Gouverneur a-t-il choisi de poursuivre le processus de recrutement sans réunir au préalable le Gouvernement de la BEAC, puisque la réputation de la BEAC était en jeu et que la DGCG lui recommandait d’interrompre ledit processus ?
3. Les résultats proclamant les candidats admissibles aux épreuves orales ont été publiés par une Lettre circulaire signée du Directeur des Ressources Humaines et de la Formation (DRHF), cadre ayant atteint l’âge de la retraite depuis 4 ans et qu’il maintient à ses fonctions sans explications logiques et en dépit de tout bon sens. Le rôle particulier qu’il joue dans les différents processus de recrutement décriés depuis lors pousse à penser qu’il l’a maintenu justement pour exécuter ces basses besognes. Dans la mesure où le pouvoir de recrutement incombe au Gouvernement de la BEAC en tant qu’organe collégial (article 47 alinéa 5) et non au seul Gouverneur, Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI peut-il vous dire si les résultats des admissibilités ont donné lieu à une délibération du Gouvernement de la BEAC ? Pourquoi le DRHF a-t-il endossé tout seul la responsabilité de la publication de ces résultats malgré l’existence d’une commission ad hoc d’organisation du concours ? Pourquoi n’avoir pas laissé le soin au cabinet indépendant de publier les résultats comme c’était le cas au cours des précédents concours ayant fait l’objet d’une externalisation ?
4. Les résultats des admissibilités sont entachés de lourds soupçons de manipulation frauduleuse. Des candidats dont il ne fait pas de doute qu’ils appartiennent au cercle familial du Gouverneur ainsi qu’à ceux du Vice-Gouverneur, du Secrétaire Général et du DRHF, sont statistiquement nombreux à avoir été déclarés admissibles et cela, dans un contexte pourtant très concurrentiel (plus de 4 mille candidats !) et sans que l’on ne leur connaisse des antécédents académiques et professionnels particulièrement glorieux. Par ailleurs, la communication erratique de Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI au sujet de sa proximité avec ces candidats n’est pas rassurante et semble corroborer une situation de conflit d’intérêts dans laquelle il est embourbé. Il a fait publier par le DRHF (encore lui !) et non par la Cellule de communication de la Banque, un communiqué qui non seulement contredit les propos radiophoniques que vous avez tenus, mais « omet » de donner au public l’information qu’il est en droit d’attendre d’une institution aussi sérieuse que la BEAC. En effet, le Gouverneur a consacré tout un communiqué pour informer le public que son épouse n’est pas candidate au concours. Cependant il ne dit pas quel lien de parenté il a avec la dame qui était présentée comme son épouse. Ne s’agit-il pas de la sœur de son épouse, autrement dit de sa belle-sœur ? Par ailleurs, ledit communiqué est étonnamment muet sur sa relation avec les autres candidats présentés comme ses proches, parmi lesquels ses 2 beaux-fils et plusieurs cousins, dont des jumeaux dont le père est son oncle paternel. Nous voulons bien croire que sa famille regorge de talents mais il devrait aussi avoir l’honnêteté d’admettre qu’une concentration aussi importante de candidats admissibles ressortissants d'une même famille alors que plus de 500 Tchadiens étaient en compétition, peut laisser perplexe. A défaut de reconnaître les soupçons de fraude, Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI peut-il au moins admettre qu’il est en pleine situation de conflit d’intérêts dommageable à l’image de la BEAC ? Quelles dispositions a-t-il pris pour se conformer à l’article 70.2 des Statuts de la BEAC qui recommande aux dirigeants de la Banque d’«éviter toute situation susceptible de donner lieu à des conflits d’intérêts ou à l’apparence de conflits d’intérêts » ?
5. Le Gouverneur se borne à répéter que le concours s’est déroulé dans des conditions transparentes sans pour autant apporter la moindre preuve. Or, le droit de réponse publié par le cabinet Africsearch à la suite de l’article de Jeune Afrique semble suggérer que la liste des candidats admissibles aux épreuves orales publiée par le DRHF n’a rien à voir avec les notes transmises à la BEAC par ledit cabinet. Peut-il alors vous dire qui était le destinataire des notes envoyées par Africsearch ? Peut-il rendre publique l’intégralité des notes transmises par le cabinet pour taire enfin les critiques et démontrer que la procédure était vraiment transparente sur ce point ?
6. Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI a soutenu sur RFI qu’il n’a jamais été accusé de népotisme dans sa carrière. Peut-il vous dire quelles raisons objectives l’ont conduit à promouvoir dans l’encadrement supérieur de la BEAC les épouses de deux personnalités de la CEMAC, en l’occurrence un ancien ministre tchadien et le ministre des Finances actuel de la République du Congo ? Dans le cas de l’épouse de ce dernier, elle a bénéficié de cette promotion alors qu’elle a été épinglée pour des pratiques d’usure à grande échelle au sein de la BEAC. Le Gouverneur n’a donné aucune suite au rapport de la DGCG qui avait établi les pratiques d’usure alors qu’une telle faute expose son auteur au licenciement. Monsieur le Président, vous pouvez vérifier toutes ces affirmations dans le cadre de la mission qui est assignée au Comité d’Audit. Par ailleurs, Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI a fait recruter de manière discrétionnaire en 2019 un membre de sa famille dans l’encadrement moyen aux Services Centraux de la BEAC. Il s’agit de Monsieur GALMAYE ABAKAR NASSOUR qui se trouve également sur la liste des admissibles aux épreuves orales du concours bien que ses états de service comme cadre moyen laissent à désirer. Il n’aurait même pas dû être conservé au sein des effectifs de la BEAC au regard de l’appréciation qui a été portée sur lui à l’issue de sa période d’essai. Pour documenter le soupçon sur la régularité de l’admissibilité de ce monsieur au concours des AES, il suffit de consulter la page 19/24 de la Lettre circulaire du DRHF publiant les admissibilités. Cette liste a été probablement manipulée vu l’omission faite au niveau de la date de naissance de ce candidat, la seule de la liste à figurer en gras. Heureusement, un crime n’est jamais parfait ! Monsieur le Gouverneur peut-il démentir le fait que Monsieur GALMAYE ABAKAR NASSOUR soit un de ses proches ? Ou encore peut-il démentir l’information selon laquelle les appréciations portées sur lui à l’issue de son stage comme cadre moyen, étaient négatives ? Pourquoi sa date de naissance complète ne figure pas sur la liste des admissibilités ?
7. Le Président du Conseil d’Administration de la BEAC (PCA) a interpellé Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI le 1er août 2022 en vertu des pouvoirs de contrôle conférés au Conseil d’Administration par l’article 28 des statuts de la BEAC. Le PCA est ainsi habilité à se saisir d’un dossier dès lors que le bon fonctionnement de la Banque est remis en question comme c’est le cas dans le cadre de la procédure de recrutement en cours. En réponse au PCA, le Gouverneur s’est empressé de soutenir que le concours s’est bien déroulé, alors qu’il savait qu’il n’en était rien puisqu’il avait reçu l’alerte à travers la note confidentielle de la DGCG. Nous imaginons que si le Gouverneur avait anticipé la fuite de cette note confidentielle sur les réseaux sociaux, il n’aurait pas écrit avec outrecuidance que le concours s’est bien déroulé. Monsieur le Président du Comité d’Audit, est-ce un gage de bonne gouvernance que le Gouverneur manque de transparence en cachant la réalité aux organes de décision et de contrôle ? Est-ce un gage de bonne gouvernance que de refuser d’exécuter une instruction du PCA d’organiser une réunion des organes de décision de la BEAC alors que le pouvoir de convocation de ces réunions ne relève aucunement de lui mais bien du PCA (article 30 alinéa 4) ? Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI aurait en effet pu faire valoir ses arguments au cours de cette réunion au lieu de se débattre à convaincre par voie de presse. 8. L’argumentaire d’indépendance que le Gouverneur met en avant pour refuser d’exécuter les instructions du PCA n’est pas acceptable dans le cadre des relations entre le Gouvernement de la BEAC et les organes de décision et de contrôle (Conseil d’Administration et Comité d’Audit notamment) car ceux-ci disposent d’un droit étendu de communication d’informations dans le cadre du contrôle de votre gestion. L’indépendance qu’il brandit n’est pas un blanc-seing pour violer les règles qui s’imposent aux dirigeants dans leur gestion. Si Monsieur ABBAS MAHAMAT TOLLI n’a rien à se reprocher, pourquoi n’accepte-t-il pas de soumettre la BEAC à un audit indépendant de ce processus de recrutement ? Comme vous le savez, les dirigeants d’institutions autrement plus influentes que la BEAC (BAD, FMI, Banque Mondiale) ont dû recourir à des audits indépendants pour se laver de certains soupçons de favoritisme ou de corruption. Au vu de tout ceci, le Collectif des Cadres Indignés ne peut demeurer silencieux face à cette situation qui n’honore pas l’institution de référence qu’est censée être la BEAC. Au nom du personnel et pour l’image de notre maison commune, nous vous suggérons d’exiger du Gouverneur, à titre de mesure conservatoire, un arrêt immédiat de cette procédure de recrutement. Monsieur le Président du Comité d’Audit, votre mission est en effet le cadre indiqué pour que le Gouverneur présente son argumentaire, ce qui permettrait d’éviter que les problèmes de la Banque Centrale continuent d’être exposés dans la presse et sur les réseaux sociaux. L’image de marque et la qualité des ressources humaines de l’Institut d’Emission qui a besoin de sérénité à la veille des festivités de son cinquantenaire, n’en seront que mieux préservées. Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Président du Comité d’Audit, nos salutations les plus dévouées. Fait à Yaoundé, le 23 août 2022