Beaucoup d'éléments semblent ne pas aider les camerounais à comprendre le scandale du stade d'Olembé. Dans un premier temps, l'entreprise canadienne MAGIL a indiqué avoir abandonné les travaux et quitté le pays. Le ministère des sports a annoncé que le fautif de ce scandale n'est autre que MAGIL lui-même.
Ensuite l'entreprise a rejeté la faute sur le gouvernement camerounais qui était maitre des ouvrages par l'entremise du ministère des sports. Une descente sur le chantier a eu lieu conjointement avec MAGIL et le ministère des sports.
Les deux parties sans aucune explication soutenable indiquent par la suite vouloir reprendre les travaux.
Que s'est-il réellement passé ?
Dans une analyse de Ben OWAY publiée par le confrère Camer.be, les dessous de cette sombre affaire qui aura secoué le secteur sportif et financier camerounais, sont révélés en détail.
« Le feuilleton du complexe sportif d’Olembe se poursuit au Cameroun et tourne à la guerre ouverte entre le groupe canadien Magil et le ministre des Sports et de l’Éducation physique (MINSEP), Narcisse Mouelle Kombi, maître d’ouvrage du chantier. Depuis la reprise du chantier en janvier 2020, Magil a souffert de nombreuses difficultés et de retards de paiement et peine à achever les travaux.
Un projet emblématique qui tarde à s’achever
Retour aux sources. C’est à l’origine l’entreprise italienne Gruppo Piccini qui avait été mandatée en décembre 2015 pour mettre en œuvre les travaux du complexe sportif d’Olembe. En tout et pour tout, le cahier des charges prévoit un stade couvert de 60 000 places, un complexe de trois salles de cinéma, un hôtel de luxe, un centre commercial, un musée, un palais des sports de 1 000 places assises pour accueillir des rencontres de basketball, de handball et de volleyball, une piscine olympique, mais aussi de nombreuses infrastructures sportives annexes, allant des terrains de football d’entraînement, aux courts de tennis, en passant par des playgrounds extérieurs de basketball. Un projet hors-norme, aligné sur les meilleurs standards internationaux, dont l’ambition avouée est de devenir la vitrine du sport camerounais. En 2019, changement de programme. Gruppo Piccini est finalement évincé du projet avec, dans l’air, un parfum de scandale.
Place alors au groupe canadien Magil qui conclut, le 22 novembre 2019, ses négociations avec l’État du Cameroun pour les travaux d’achèvement du complexe. L’entreprise est implantée de très longue date en Afrique, connaît les spécificités locales des grands travaux et peut, en plus, se targuer de quelques réalisations iconiques au Cameroun, comme la réhabilitation du stade de Douala. Magil sera, dans le cadre d’un contrat EPCM, en charge de l’ingénierie, des achats et de la gestion de la construction. Les travaux reprennent donc le 3 janvier 2020 sur un site laissé à l’abandon depuis un an. Le stade d’Olembe accueille même triomphalement la cérémonie de lancement de la CAN 2022 le 9 janvier 2022.
Mais l’enthousiasme initial retombe bien vite. Dès l’entame du projet, Magil déplore plusieurs difficultés et cumule les tuiles. Le groupe canadien considère surévalué le chiffre de pourcentage d’avancement du chantier fourni par le groupe Piccini au MINSEP, estimé à 79 % par le précédent constructeur, contre 57,31 % par Magil et un cabinet indépendant. Magil se plaint aussi de ne pas avoir reçu les plans d’exécution, que le MINSEP s’était engagé à fournir à l’entreprise canadienne à la fin 2019. Les stocks de matériel laissés par Piccini pour achever le chantier sont jugés aussi incomplets, retardant encore la reprise du chantier.
Les retards de paiement, catalyseur de la colère de Magil contre le MINSEP
Mais Magil n’est pas au bout de ses peines. Depuis le mois de juillet 2021, le constructeur n’aurait reçu aucun paiement de la part du MINSEP. Une situation qui placerait Magil et l’ensemble de ses sous-traitants dans une « situation d’asphyxie financière ». En tout et pour tout, Magil a ainsi annoncé avoir perçu 42 milliards de FCFA, dont 85 % auraient été utilisés pour payer ses sous-traitants, sa main-d’œuvre locale et acquérir du matériel. Le groupe canadien réclame encore 13 milliards de FCFA au MINSEP, dont 9 milliards à reverser directement aux sous-traitants.
Et ce n’est — toujours — pas tout. Magil dénonce aussi le non-renouvellement des exonérations fiscales et douanières liées au projet, la découverte de nombreuses malfaçons structurelles sur le stade et des demandes imprévues de travaux additionnels du maître d’ouvrage qui, mécaniquement, font grimper la facture. Des plaintes similaires, venues notamment du groupe français Razel, un sous-traitant, viennent se joindre au mécontentement global des entreprises en charge du complexe d’Olembe.
La thèse de la « rupture unilatérale » de contrat fragilisée par de nouvelles révélations
Depuis plusieurs mois, la guerre ouverte entre le MINSEP et Magil a changé d’échelle et prend une tournure politique, l’opposition réclamant à grands cris des têtes et une judiciarisation de l’affaire. Dernier scandale en date, une « révélation », prenant la forme d’une lettre adressée par Narcisse Mouelle Kombi à Séraphin Magloire Fouda, directeur général des services du Premier ministre, et datée du 3 janvier dernier. Ce document, qui a largement fuité sur les réseaux sociaux, dénonce une « rupture unilatérale » du contrat par le groupe Magil. De quoi faire craindre un nouvel échec après l’épisode Puccini.
Faux, rétorque-t-on du côté du groupe canadien, où l’on préfère évoquer une mise en demeure du MINSEP de « régulariser ses obligations sous 30 jours pour éviter la résiliation du contrat principal et sa mise en arbitrage ». La nuance, aussi ténue soit-elle, est pourtant capitale et transforme la « rupture unilatérale » en — sérieux — avertissement. Des documents, publiés le mercredi 11 et le jeudi 12 janvier sur la page Facebook du média Mutations Online, viennent accorder un sérieux crédit aux affirmations de Magil et jeter un doute réel sur la thèse de la « rupture unilatérale » du contrat, avancée par le ministre des Sports. Selon les documents publiés sur Mutations Online, le lundi 5 décembre dernier, l’entreprise Magil a en effet transmis au ministère des Sports et de l’Éducation physique un « avis de résiliation du contrat EPCM sous 30 jours ». Une nouvelle lettre est ensuite envoyée au MINSEP le mercredi 21 décembre. Elle déplore « l’absence de réponse (du MINSEP) à notre correspondance (…) en date du 5 décembre 2022 portant sur l’avis de résiliation du contrat EPCM ». En bref, le MINSEP semble avoir été prévenu et relancé à plusieurs reprises d’une possible rupture du contrat, sans avoir pour autant pris la peine de répondre au groupe canadien. Le groupe précise aussi avoir initié plusieurs recours auprès du MINSEP pour relancer le projet avec plusieurs correspondances laissées sans réponse, une tentative de règlement amiable le 12 avril 2022, un comité de conciliation le 19 août et la menace d’une procédure d’arbitrage international, jamais initiée.
Le 12 janvier, une nouvelle lettre rendue publique par Mutations Online, datée du 9 janvier 2023 et adressée au Secrétaire général des services du Premier ministre par Magil, a elle aussi fuité. Elle réaffirme surtout la volonté du groupe de « poursuivre les travaux sur le COSO afin de livrer un complexe finalisé répondant aux attentes du Cameroun » et « (sa) fierté d’avoir apporté (son) expertise et (sa) contribution à ce projet emblématique ».
D’autres accusations plombent les équipes du MINSEP
Mais des accusations encore plus graves sont récemment venues plomber l’actuel ministre des Sports. Dans un courrier adressé au Secrétaire général des services du Premier ministre, Magil dénonce des tentatives répétées de Narcisse Mouelle Kombi « pour imposer certains entrepreneurs alors même que les offres proposées par ces derniers étaient d’un coût bien supérieur (voire prohibitif) à celles des autres sous-traitants ». La lettre évoque aussi un refus des équipes du MINSEP de participer aux réunions techniques, sur fond de refus par Magil « d’allouer (…) des indemnités de présence ou tout autre avantage, au rang desquels nous pouvons évoquer les demandes d’acquisition de véhicules ». Des accusations graves, dont le MINSEP se serait sans doute volontiers passé. Encore une fois compromis, l’avenir du stade d’Olembe est aussi plus que jamais assombri.
Une sortie de crise prévue ?
Une première réunion de conciliation a eu lieu vendredi dernier, ainsi qu’une conférence de presse conjointe entre la direction de Magil et le MINSEP. Côté MINSEP, des engagements auraient été pris pour résoudre et apurer dans les meilleurs délais le passif technique et financier, ainsi que pour renouveler les facilités sur l’année 2023. De son côté, Magil s’engage à mobiliser des effectifs techniques, lever les réserves du stade principal et accompagner la commission de réception. De même, des réunions sont prévues chaque jour, dès cette semaine, afin de répondre aux questions engageant les deux parties. »