Actualités of Monday, 23 May 2022

Source: INTÉGRATION N°508

Scandale sur l’exploitation du fer de Lobé : un spécialiste révèle la face cahée de la convention

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Le 6 mai dernier, le gouvernement du Cameroun et la société chinoise Sinosteel Cam S.A ont signé une Convention d’exploitation minière relative à l’exploitation industrielle du gisement de fer de la Lobé à Kribi. Sur une superficie de 138,5 km², une capacité de 632 millions de tonnes et une teneur de 33% pouvant être enrichi à 60%. La société chinoise reversera 22,9 milliards de francs CFA à l’État du Cameroun par an à raison de l’exploitation de 10 millions de tonnes par an, d’après une communication du ministre camerounais en charge des Mines, Gabriel Dodo Ndoke. Suite à cette annonce, une série de réactions pour le moins virales et virulentes ont dénoncé ce que certains ont qualifié de «braderie criminelle» et d’autres de «casse du siècle», tandis que le ministre des Mines, de l’Industrie et Développement technologique par voie de communiqué radiopresse indique qu’il s’agit de «pures élucubrations empreintes de mauvaise foi ou d’ignorance pure et simple des pratiques et de la réglementation minière».

Qu’en est-il réellement?


Mon objectif ici n’est pas de prendre un quelconque parti, et je ne suis mandaté par absolument personne. Mon souci est, au regard du caractère passionné des débats, et face aux multiples questionnements, d’apporter ce qui me paraît être une contribution à l’éclairage des lanternes des Camerounais, suite à mes investigations personnelles. Au bout de quelques re- cherches documentaires, grâce à des sources telles que, entre autres, la convention minière entre la République du Cameroun et la société Sinosteel Cam S.A, relative à l’exploitation industrielle du gisement de fer de Lobé à Kribi, du Code minier camerounais de 2016 et du Commodity Market Outlook d’avril 2022 qui est le catalogue de la Banque mondiale qui retrace les cours des matières premières, en plus de quelques règles comptables et financières, je peux partager avec vous ce qui suit, sur cette affaire qui défraie la chronique depuis quelques jours. D’entrée de jeu, la base des calculs, telle que présentée par les différents dénonciateurs n’est pas juste. En finance, les revenus ne correspondent pas aux bénéfices. La simple multiplication du volume de fer exploité annuellement (10 millions de tonnes) par le prix ou cours du marché (140 dollars) pour indiquer ce que gagne l’entreprise n’est donc pas fondée. Les bénéfices réels d’une entreprise prennent en compte les charges qui viennent en diminution de ses revenus (chiffre d’affaires), et seuls les bénéfices et non les revenus indiquent la rentabilité. Dans le cadre de la convention concernée, il s’agit entre autres des impôts et taxes de droit commun prévus par la législation fiscale en vigueur, des frais d’études et de recherches non remboursables, des droits fixes, des redevances superficiaires et des redevances proportionnelles (article 15 de la convention, alinéa 1). Parallèlement, le montant de 22,9 milliards annuels repris dans les dénonciations pour dévoiler le total des revenus annuels de l’État camerounais sur la période de la convention n’est pas exact, puisqu’il ne prend en compte quasiment que la taxe ad valorem appliquée au volume des produits extraits annuellement et omet la perception due au reversement des taxes par Sinosteel Cam S.A, la contribution aux fonds de mise en œuvre de la politique minière prévue à l’article 14 de la convention, mais aussi les dividendes correspondants aux 10% des actions de l’Etat camerounais dans le capital de Sinosteel Cam S.A, à titre gratuit et libres de toutes charges. Autre approximation comptable, ces sorties médiatiques considèrent un prix de vente de la tonne de fer à 2.300 francs CFA, par rapport au prix sur le marché international qu’elles annoncent à 95.000 FCFA.
On se rend compte que le prix de vente qu’ils prêtent à la transaction correspond à une division arithmétique des revenus annuels annoncés de 23 milliards par les 10 millions de tonnes exploitables annuellement. Ce raisonnement ne correspond à aucune réalité comptable, puisqu’il exclut divers postes de charges intermédiaires. Le même manque de rigueur comptable apparaît dans l’évaluation de ce qui est annoncé comme revenus pour Sinosteel Cam S.A, lorsque le calcul se porte sur les 4 millions de tonnes de concentré de haute teneur en fer à 60%, étant donné que la convention signée ne donne aucune précision sur la période d’exploitation du fer enrichi, ce qui en constitue par ailleurs une faiblesse juridique. Malgré mes recherches, je n’ai pas trouvé de sources qui indiquent comme on nous l’a présenté, que le prix sur le marché est de 1,5 million de franc CFA pour un fer enrichi à 60%. Mieux, le prix avancé de 95.000 FCFA est plutôt de 140 dollars, soit 87.850 francs CFA la tonne, pour le minerai de fer importé de Chine (la référence mondiale du marché), à teneur minimale de 62%, ce qui invalide le prix indiqué pour une tonne de fer à teneur de 33%.

Aussi, la durée d’exploitation sur laquelle nos lanceurs d’alerte insistent et basent leurs calculs est de 50 ans, alors que la convention signée indique en son article 4, une durée initiale de 20 ans, et le Code minier camerounais en son article 56 alinéa 1, que le permis d’exploitation de la mine industrielle est «renouvelable pour une ou plusieurs périodes n’excédant pas 10 ans chacune», ce qui ne garantit guère à l’entreprise chinoise l’exploitation sur une période de 50 ans. Enfin, et sans être exhaustif, certains interpellateurs sur cette question qui suscite tant de passion ont suggéré que le chef de l’État annule la convention et la confie à la Société camerounaise Sonamines. Cette suggestion ne peut non plus prospérer, car d’après l’article 46 alinéa 1 du Code minier camerounais, «le permis d’exploitation minière est attribué de droit à tout titulaire d’un permis de recherche qui a fourni la preuve de l’existence d’un gisement à l’intérieur de son périmètre». Or, Sinosteel Cam S.A est bien titulaire du permis de recherche N°00175/MINIMIDT/DMG/SDA M du 22 mars 2008, successivement renouvelé le 8 septembre 2009 et le 19 novembre 2013, relatif au minerai de fer objet de la convention signée.


Que conclure?

Fort de ce qui précède, les différentes sorties dénonçant la braderie de notre fer et l’annulation du contrat y afférent entre l’État du Cameroun et la Société chinoise Sinosteel Cam S.A relatif à l’exploitation du fer de Lobé ne sont pas fondées sur des arguments fiables, et donc ne sauraient porter du fruit pour les raisons évoquées. Par contre, ces alertes sur des questions d’importance nationale ont le mérite d’attirer l’attention des Camerounais, trop souvent distraits par les matchs de Champion’s League et les séries Novélas, quand la fortune publique qui n’est autre que le fruit de leurs contributions sacrificielles sous forme d’impôts et taxes, est gérée dans l’art de la nébuleuse. De fait, les membres du gouvernement camerounais nous ont habitués à l’opacité et à l’omerta sur des opérations économiques qui engagent le devenir de notre pays, alors qu’ils devraient agir dans la transparence la plus totale, pour le compte de ceux qu’ils sont supposés représenter. Ce débat sur la convention d’exploitation de fer de Lobé est une interpellation aux Camerounais à s’intéresser davantage aux décisions engageant notre pays, et à l’impérieuse nécessité de développer une culture d’investigation personnelle, avant de prêter le flanc à diverses interprétations. Faisons recours à notre sens critique, ainsi qu’à notre esprit d’analyse. À bon entendeur…

Paul ELLA, analyste financier, directeur du Centre africain de recherche en géostratégie