L’irruption de nouveaux visages dans la course au palais d’Etoudi pourrait donner un coup de fouet au débat démocratique. Et remettre l’alternance au goût du jour.
Il attendait cette consécration depuis plusieurs années. Le 24 février, Joshua Osih est devenu le candidat du Social Democratic Front (SDF) à la présidentielle. Quelques mois plus tôt, plusieurs cadres du parti proches de son fondateur, John Fru Ndi, lui avaient pourtant fait comprendre qu’il lui faudrait mettre une sourdine à ses ambitions, éviter d’être trop présent dans les médias et polir quelque peu son image de jeune loup aux dents longues. Car d’aucuns commençaient à douter de lui.
Premier député anglophone élu dans le Wouri (en 2013), vice-président de la Commission du budget et des finances de l’Assemblée, le quadragénaire n’avait-il pas atteint le plafond de verre générationnel de la politique camerounaise? John Fru Ndi, le père et leader du SDF (qui a eu 77 ans le 7 juillet), allait-il lui laisser sa place dans la course au palais d’Etoudi, qu’il avait disputée pour son parti en 1992, 2004 et 2011?
La réponse, positive, est finalement tombée, et, à 49 ans, le parlementaire du Littoral entend jouer à fond la carte de la jeunesse et du renouveau, dans une classe politique camerounaise dominée par des septuagénaires qu’il estime déconnectés des électeurs.
Actif sur les réseaux sociaux, très présent dans les médias, le candidat du SDF souhaite incarner la rupture avec John Fru Ndi.Mais il ne pourra le faire sans assumer une certaine continuité. Fru Ndi conserve ainsi son poste de président national du parti, tandis que Jean Tsomelou, l’un de ses lieutenants, reste secrétaire général, et que Benjamin Achu Fru, fils du patriarche, est chargé de mobiliser les jeunes.
Ce renouvellement de candidat suffira-t-il à donner l’image d’un SDF nouvelle génération ? Rien n’est moins sûr. Le parti a vu s’effriter sa base électorale dans la dernière décennie et peine à être présent sur l’ensemble du territoire. Surtout, d’autres personnalités lui contestent la primauté dans l’opposition.
Maurice Kamto, facteur X
Autre nouveau prétendant à la magistrature suprême : Akere Muna. Fils de Salomon Tandeng Muna, artisan de l’unité nationale et frère du magistrat Bernard Muna, qui fut candidat à la présidentielle en 2011, Me Akere Muna, 65 ans, a tenté de prendre de vitesse le SDF en entrant officiellement en campagne avant lui, dès la mi-janvier. Peu attendaient l’ancien bâtonnier du barreau camerounais sur ce terrain, y compris du côté du palais présidentiel, et sa campagne populaire, fondée sur la Plateforme pour la nouvelle république – l’alliance de partis lancée à l’initiative de son mouvement, Now! –, en agace plus d’un.
L’irruption de ce néophyte en politique, anglophone du Nord-Ouest et bien implanté à l’international, pourrait brouiller la donne d’une présidentielle traditionnellement réduite à un duel, déséquilibré, entre RDPC et SDF (le 9 octobre 2011, Paul Biya remportait le scrutin avec 77,99 % des suffrages exprimés, contre 10,71 % pour John Fru Ndi).
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D’autant qu’un troisième homme, nouveau venu lui aussi, entend tirer son épingle du jeu. Président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC, lire p. 94), Maurice Kamto, 64 ans, n’a jamais brigué la magistrature suprême, et son parti, fondé en août 2012, engage pour la première fois un candidat dans cette arène, souvent violente, qu’est la campagne présidentielle. Depuis des semaines, Maurice Kamto ne cesse d’ailleurs d’essuyer des insultes à caractère ethnique, mais, comme Akere Muna, il continue de sillonner le pays.
Ambitions personnelles
Font-ils le poids face à l’éternel sortant, dont la candidature ne fait plus guère de doute? Tiendront-ils la distance? « Il y a une vraie mobilisation des jeunes et de la société civile pour pousser Paul Biya vers la sortie, argumente une militante du MRC. Et c’est plus fort qu’en 2011. » On sait cependant que, dans une élection à un seul tour, l’arithmétique ne joue pas en faveur de l’alternance. Le SDF a fait comprendre à Akere Muna et à Maurice Kamto qu’il n’accepterait pas de s’effacer derrière l’un d’eux, le fleuve n’allant pas à la rivière.
Quant aux deux juristes eux-mêmes, ils ne semblent guère enclins à former une coalition. Comme par le passé, chacun appelle de ses vœux un rassemblement, sans vraiment envisager de passer à l’acte. « S’ils ne se montrent pas capables de mettre le Cameroun et l’alternance au-dessus de leurs ambitions personnelles, pourquoi leur ferions-nous confiance ? » lance une de leurs connaissances communes. Si les hommes ont été renouvelés, la cuisine électorale camerounaise semble condamnée aux mêmes vieilles recettes qu’hier.