À 77 ans, le professeur de médecine Lazare Kaptué dirige toujours l’Université des montagnes (UDM), située à Bangangté. Un établissement privé créé en 2000 pour remédier au manque de formations médicales au Cameroun. Il accueille cette année quelque 2?200 étudiants. Et revendique déjà plus de 1?600 diplômés.
Jeune Afrique?: Dans quelles circonstances l’Université des montagnes est-elle née??
Lazare Kaptué?: Jusqu’en 2000, seul le Centre universitaire des sciences de la santé de Yaoundé était habilité à former des médecins. Et, pour devenir pharmacien ou chirurgien-dentiste, il fallait s’expatrier. Des membres de la société civile issus de différents milieux professionnels et réunis au sein de l’Association pour l’éducation et le développement ont voulu pallier ce manque de cursus médicaux en permettant aux étudiants les plus modestes, incapables d’aller à l’étranger, de bénéficier de cours sur place, dans les hauts plateaux de l’Ouest camerounais.
Dix-sept ans plus tard, nous avons formé pas moins de 1?600 médecins et autres personnels médico-sanitaires, ainsi que des ingénieurs. Nul ne peut nier que nous ayons contribué à enrichir l’offre et à améliorer la couverture sanitaire, dans un pays qui compte un médecin pour 10?000 à 15?000 personnes. Si l’UDM n’existait pas, il faudrait la créer.
Il n’y avait donc aucune motivation politique??
Nous sommes partis d’un constat?: l’insuffisance de l’offre de formations médicales. D’autres ont laissé entendre que nous étions guidés par des arrière-pensées tribalistes. Nos étudiants viennent des dix régions du Cameroun et de tout le continent, du Gabon au Niger, en passant par le Rwanda et la Guinée équatoriale.
Et nous sommes ravis que les enfants d’agriculteurs et de vendeuses de beignets puissent devenir chirurgiens-dentistes ou médecins vétérinaires. La pénurie de cursus médicaux était porteuse d’inégalités, que nous tentons de corriger. Si on cherche une motivation politique à cette aventure, elle est peut-être là.
Une filière médicale à 1,4 million de F CFA [2?134 euros] par an, cela reste élevé…
Cette somme peut sembler importante, mais elle reste très en deçà du coût d’un cursus à l’étranger. Quelques établissements en Afrique pratiquent des tarifs plus élevés. Notre diaspora nous procure une aide en ressources humaines et matérielles, nous permettant ainsi de maintenir un niveau de prix raisonnable. Des partenaires délivrent aussi des cours à titre gracieux, seuls leurs frais de déplacement étant parfois pris en charge.
Les étudiants formés chez nous n’ont aucun complexe à avoir par rapport à leurs compatriotes qui ont suivi leurs études à l’étranger. Les concours sont très sélectifs et nous délivrons une formation suivant des standards internationaux.
Avez-vous songé à recourir à des philanthropes??
Nous l’envisageons très sérieusement. Certains de nos étudiants les plus brillants sont contraints à l’abandon au bout de deux ans, leurs parents ne pouvant assumer les frais de scolarité dans la durée. C’est un véritable drame. Des mécènes ou fondations capables de leur venir en aide au travers de bourses d’études ou de parrainages sont les bienvenus.
Et en matière d’insertion professionnelle des étudiants??
Nous sommes dans des domaines où l’offre de formations est limitée, l’employabilité très élevée. Le déficit en main-d’œuvre est si criant que les vingt prochaines années ne permettront pas de le combler. Alors, toutes filières confondues, au bout d’un an et demi, parce qu’ils sont immédiatement opérationnels, 100 % de nos diplômés décrochent un poste ou intègrent une spécialisation. L’État est notre premier employeur.
Quels sont les prochains axes de développement de votre université??
Nous espérons, au terme des travaux d’extension de notre établissement réalisés grâce au concours de l’Agence française de développement [AFD], obtenir l’homologation pour l’ouverture d’un programme de troisième cycle. Notre objectif le plus immédiat est de former nos propres spécialistes, lesquels sont potentiellement aptes à assurer la relève en tant qu’enseignants.