Une plongée dans les mémoires d’un ancien secrétaire général de la présidence de la République permet de comprendre davantage la délégation de signature. Dans « Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités», l’ex Sgpr Jean Marie Atangana Mebara, explique qu’en tant qu’«assistant», «il reçoit, du président de la République, une délégation permanente de signature de certains actes administratifs, qui n’est pas une délégation de pouvoirs. Pour une délégation de pouvoirs, il faut un acte spécial, ‘expressément pris’.»
Il faut dire d’emblée que le décret du 5 février 2019 qui fait tant parler de lui, s’adosse sur une disposition de la loi fondamentale : l’article 10 de la Constitution. Celui-ci stipule en son alinéa 2 que «le président de la République peut déléguer certains de ses pouvoirs au Premier ministre, aux autres membres du gouvernement et à certains hauts responsables de l’administration de l’Etat, dans le cadre de leurs attributions respectives».
«C’est comme cela que l’administration fonctionne lorsqu’on forme un nouveau gouvernement, excipe Emeran Atangana Eteme ; ceci encore plus quand le ministre en question bénéficie d’une nouvelle appellation. Il est devenu ministre d’Etat». Pour ce constitutionnaliste et enseignant de droit administratif, la disposition objet de débats « n’entraine pas dessaisissement du président de la République, parce que la délégation de signature investit le délégataire mais n’entraîne pas dessaisissement du délégant». «Ce n’est pas une délégation de pouvoirs, c’est une délégation de signature», insiste-t-il.
Il continue : «c’est pour que le délégant n’est pas beaucoup de travail. Le ministre d’Etat rend compte, il discrimine ce qu’il peut signer de ce qu’il peut laisser à la compétence du délégant. Il sait par exemple qu’il ne peut pas nommer des ambassadeurs, des préfets, des gouverneurs ou des ministres. Parce que si tout remonte les parapheurs vont pleuvoir». Pour mémoire, le poste de Secrétariat général de la présidence de la République (SG/PR) du Cameroun, a été créé par décret No 60-5 du 21 juin 1960. Suite à la Réunification en 1961, ce poste a été supprimé et ses attributions dévolues au Cabinet civil.
Il a été remis sur pied en 1965 et 18 Camerounais se sont succédés à sa tête depuis lors. Les prérogatives sont bien contenues dans le décret n°2011/408 du 09 décembre 2011 portant organisation du gouvernement. Le secrétariat général de la présidence de la République est dirigé par un secrétaire général (Sg) assisté par 02 secrétaires généraux adjoints. Le Sg assiste le président de la République dans l’accomplissement de sa mission. À ce titre, il reçoit du président toutes directives relatives à la définition de la politique de la Nation; suit l’exécution des décisions prises par le président ; coordonne l’action des Administrations rattachées à la Présidence ainsi que précisées aux articles 5 et 37 du décret suscité ; instruit les dossiers que lui confie le président de la République et suit l’exécution des instructions données ; ... assure la mise en forme, en liaison avec le Sg des Services du Premier ministre (PM) ou des ministres concernés, des projets de loi à soumettre à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Il veille à la réalisation des programmes d’action approuvés par le président et impartis aux chefs de départements ministériels et aux services relevant de la Présidence ; prépare les conseils ministériels, en liaison avec le secrétaire général des Services du Pm, les conseils restreints, les conseils et commissions présidés par le président de la République ; assure l’enregistrement des actes réglementaires signés et des lois promulguées par le président, ainsi que leur publication au Journal Officiel ; assure la tenue et la conservation des archives législatives et réglementaires ; exerce le rôle de conseil juridique de la Présidence de la République et des Administrations rattachées.
Mais pourquoi à peine Paul Biya a délégué sa signature à Ngoh Ngoh que sur la toile, le texte est rapidement devenu viral ? Pour l’opinion qui s’émeut de cette disposition, c’est la confirmation de ce qui se chuchote dans les chaumières et sous les lambris dorés de la République, à savoir l’exercice de fait du pouvoir suprême par le ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la République (Sgpr). Au moment où la chronique mondaine prête à Ferdinand Ngoh Ngoh de rêver du fauteuil présidentiel tous les matins en se rasant, avouons qu’il n’y a rien qui interdit a Ferdinand Ngoh Ngoh, comme ce fut le cas de ses prédécesseurs, d’agir en lieu et place de Paul Biya, grâce à une délégation permanente de signature. Dans un extrait du livre publié en 2016 par Jean- Marie Atangana Mebara, l’ex-secrétaire général de la présidence de la République, de 2002 à 2006, affirme que Ngoh Ngoh est dans les prérogatives dudit poste de transmettre les instructions du chef de l’Etat aux membres du gouvernement.
« La plupart des ministres recevaient les instructions présidentielles que je leur transmettais, sans manifester d’humeur particulière. La formule était généralement : «le Chef de l’Etat me charge de vous demander de bien vouloir...» . soulignons que le président de la République peut déléguer certains de ses pouvoirs au Premier Ministre, aux autres membres du gouvernement et à certains hauts responsables de l’administration de l’Etat, dans le cadre de leurs attributions respectives. En cas d’empêchement temporaire, le président de la République charge le Premier ministre ou, en cas d’empêchement de celui-ci un autre membre du Gouvernement, d’assurer certaines de ses fonctions, dans le cadre d’une délégation expresse.”