Actualités of Tuesday, 23 August 2022

Source: Kalara du 22-8-2022

TCS : que risque Ferdinand Ngoh Ngoh

Les enquêtes se poursuivent Les enquêtes se poursuivent

Le président de la République a brisé le signe indien en autorisant l’audition de son proche collaborateur par les officiers de police judiciaire de la juridiction d’exception. Une première pour un secrétaire général de la présidence de la République, qui réjouit certains dans le sérail. L’enquête policière ouverte depuis mai 2021, avec notamment l’audition du ministre de la Santé publique, peut enfin être bouclée.

C’est un fait quasiment inédit : l’audition d’un secrétaire général de la présidence de la République en fonction par la police judiciaire au Cameroun depuis l’arrivée du président Biya au sommet de l’Etat. Depuis la semaine surpassée pourtant, l’actuel titulaire du poste a brisé le signe indien. Le ministre d’Etat Ferdinand Ngog Ngoh a été entendu par le responsable du corps spécialisé des officiers de police judiciaire rattaché au Tribunal criminel spécial (TCS). Distillée sous forme de rumeur rampante depuis le début de la semaine écoulée, cette information a été confirmée à Kalara par plusieurs concordantes. «Le président a enfin autorisé que la police auditionne le M. le Sgpr pour boucler l’enquête ouverte au sujet de la gestion controversée des fonds Covid au cours de l’exercice 2021. C’est en rapport avec cette autorisation que le patron et le chef de division Ayem ont été entendus», a confié à Kalara sous anonymat un cadre en service à la présidence de la République.

L’enquête ici évoquée avait démarré à la fin du premier semestre 2021. Le 18 mai de cette année-là précisément, M. Manaouda Malachie, le ministre de la Santé publique (Minsanté), était le premier à répondre à une première convocation du Corps spécialisé des officiers de police judiciaire (OPJ) du Tribunal criminel spécial (TCS). Et le lendemain, 19 mai, Mme Madeleine Tchuenté, l’actuel ministre de la Recherche Scientifique et de l’Innovation (Minresi) prenait le relai. C’est d’ailleurs suite à l’audition de cette dernière que l’opinion publique avait enfin été édifiée sur le fait que l’enquête policière concernant la gestion qualifiée d’illicite des ressources allouées par l’Etat en 2020 à la lutte contre la pandémie à Covid 19 était effectivement lancée. Mais le ballet des membres du gouvernement au Palais de justice avait finalement été interrompu.

Jugeant que l’autorité du gouvernement en avait beaucoup pâti, le Premier ministre avait obtenu du président de la République, selon des sources dignes de foi, que scenario des auditions des ministres change pour les soustraire du spectacle désolant de leur apparition au Palais de justice. L’option d’aller questionner les hauts responsables concernés par l’enquête dans leurs bureaux respectifs étaient alors prise. Depuis lors, les auditions des responsables gouvernementaux n’alimentaient plus la toile comme au début. De ce fait, le public n’a plus jamais su ce qu’il était advenu de l’enquête. Certains observateurs avaient conclu qu’elle avait été secrètement annulée. En réalité, elle n’était pas achevée du fait d’une pratique administrative qui confère une immunité de fait à certains responsables publics, dont le secrétaire général de la présidence de la République. C’est ce verrou que le président Biya a (enfin) fait sauter concernant M. Ngoh Ngoh.

Rapport d’étape

Quels sont donc les soupçons qui pèseraient précisément sur le proche collaborateur du chef de l’Etat au sujet de la gestion des fonds Covid 19 en 2000 pour justifier son audition par la police judiciaire ? La réponse n’est pas connue du public pour l’instant. Mais l’on sait que l’audit de la gestion de ces fonds par la chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun avait plus ou moins indiqué les administrations et responsables publics qui devaient être la cible d’une procédure pénale compte tenu des faits constatées par les magistrats chargés de l’audit. C’est ce qui ressortait d’un tract désigné comme la synthèse du «premier rapport d’audit de la chambre des comptes sur l’utilisation des ressources du fond spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus» en 2020, en réalité une fuite de l’audit qui s’était retrouvée sur la table du chef de l’Etat avant que le rapport de la chambre des comptes soit adopté.

Ce document, présenté par certains comme un «rapport d’étape» selon les explications données à Kalara à l’époque, avait effectivement recommandé «l’ouverture de 10 (dix) procédures concernant des faits susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale». Mais le secrétariat général de la présidence de la République ou le secrétaire général lui-même n’avait pas été ciblé par la chambre des comptes dans son rapport, y compris la version finale du document adopté dont la note de synthèse, exploitée dans l’édition N°389 de Kalara, faisait état d’une transmission au ministre de la Justice des faits susceptibles de provoquer 12 procédures pénales suite à la mauvaise gestion des fonds Covid (lire ci-contre). Par ailleurs, en dehors des Services du PM, du ministère de la Santé publique (Minsanté) et du ministère de la Recherche scientifique et de l’innovation (Minresi), aucun autre ministère n’avait été la cible des 30 recommandations faites par la chambre des comptes.

Bien que le Sgpr n’ait pas été formellement indexé par la chambre des comptes, on sait que la mise en circulation de la note de synthèse du rapport d’audit avait ouvert la voie à de nombreuses récriminations à l’égard des auditeurs. Par exemple le ministre de la Santé publique, dont la gestion avait été particulièrement critiquée, s’était laissé à des explications publiques qui mettaient en lumière soit les instructions du Premier ministre, soit celles du secrétaire général de la présidence de la République dans la prise de certaines décisions touchant notamment à l’attribution de certains marchés. Il est fort probable que ces explications aient été faites à l’attention des limiers du corps spécialisé des OPJ du TCS, rendant nécessaires des recoupements auprès d’autres acteurs comme M. le ministre d’Etat Ngoh Ngoh.

Pour l’heure, il reste donc difficile de savoir sur quoi précisément le Sgpr et le Conseiller technique chargé des questions économiques de la présidence de la République ont été auditionnés par la police il y a une dizaine de jours. Le fait que M. Ngoh Ngoh ait été désigné plus tard comme le président de la task force mise sur pied par le chef de l’Etat pour un meilleur encadrement des dépenses liées à la lutte contre la pandémie à Covid 19, nourrit des commentaires auprès de ceux qui en font un homme à abattre. Ces derniers espèrent aussi que soit venu enfin le temps des poursuites judiciaires au sujet du «scandale» concernant le coût exorbitant des infrastructures de la CAN. A noter qu’il avait aussi été désigné comme président de la task force par rapport aux chantiers de cet événement sportif.

Fuites orchestrées

En fait, le rendez-vous de M. le Sgpr avec la police, qui a été entouré de la plus grosse discrétion au départ, semble avoir enchanté de nombreux responsables publics, y compris à la présidence de la République. C’est ce qui justifie les «petites fuites» orchestrées ici et là par ceux qui voient en l’événement la preuve que M. Ferdinand Ngoh Ngoh a désormais un genou au sol. De par la spécificité de la fonction qui en fait le plus proche collaborateur du chef de l’Etat dans la gestion des dossiers touchant au fonctionnement de l’Administration, le secrétaire général de la présidence de la République a toujours été sous le président Biya la cible de nombreuses récriminations notamment des autres membres du gouvernement, accusé à tort ou à raison d’orienter les décisions du chef de l’Etat en fonction de ses propres intérêts.

Mais, avec la forme physique de plus en plus incertaine du président de la République, que plusieurs disent suffisamment amorti par le poids de l’âge donc de moins en moins enclin à avaler les dossiers, ces récriminations ont sans doute atteint des sommets inégalés avec M. Ngoh Ngoh. Surtout qu’il cumule plus de 10 ans à ce poste convoité. Et qu’il apparaît comme l’artisan d’une centralisation à outrance de la gestion de l’Etat qui lui permet d’intervenir partout et parfois de façon très controversée.

Notons que c’est sur la base d’une note du secrétaire général de la présidence de la République, M. Ngoh Ngoh lui-même, adressée courant mars 2021 au chef de l’Etat sur l’audit des fonds Covid 19 réalisé par la chambre des comptes de la Cour suprême qu’avaient été déclenchés les développements judiciaires dont le dernier rebondissement est l’audition du ministre d’Etat. Rendant compte d’un document qu’il disait s’être approprié de façon «informelle» et qu’il savait ne pas être le rapport d’audit attendu de la Chambre des comptes, M. Ngoh Ngoh Ferdinand en faisait une synthèse de deux pages qui conclut à la nécessité de l’ouverture des procédures judiciaires contre les responsables indexés comme ayant effectué une utilisation illicite des fonds destinés à la lutte contre la Covid 19. Le président Biya avait marqué son accord par un «oui» sur le paragraphe de la note du Sgpr qui recommande l’entrée en scène de la justice après avoir souligné, comme à son habitude, à la marge du document.

Rappelons encore que sur une enveloppe de 180 milliards de francs en principe mobilisés en 2020 pour le Fonds spécial de Solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales créé par l’ordonnance du président de la République du 3 juin 2020, le périmètre de l’audit effectué par la chambre des comptes avait porté sur la mise en œuvre de 22 activités par les 3 ministères déjà cités. «Si la dépense correspondant à ces 22 activités a été budgétée dans le Fonds spécial à hauteur de 99,59 milliards francs, les montants engagés à hauteur de 157,9 milliards francs ont largement dépassé ces prévisions. Le total des dépenses du Fonds spécial en 2020 s’est élevé à 1 67,7 milliards francs», lit-on dans la synthèse du rapport d’audit.