Le Français a passé dix-sept ans dans une geôle de 7 m2 de Yaoundé. Sa situation juridique n’est pas réglée malgré sa libération en 2014.Michel Thierry Atangana ne va pas bien. Hospitalisé depuis quelques jours à l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, il souffre de graves problèmes articulaires. « La machine lâche un peu », dit-il pudiquement. Les dix-sept ans passés dans une cellule de 7 m2 ainsi que les tortures qu’il a subies ont à jamais affaibli l’organisme et l’esprit de cet homme de 52 ans. Son état de santé ne lui aura pas permis de se rendre à Genève, lundi 28 novembre, comme il l’avait décidé, pour fêter le 25e anniversaire du Groupe de travail des Nations unies contre la détention arbitraire, à qui il doit sa libération.
L’histoire du Français d’origine camerounaise Michel Thierry Atangana est digne d’un roman de Franz Kafka. Le 12 mai 1997, alors qu’il vivait au Cameroun, son pays d’origine, depuis plusieurs années, il est arrêté par les autorités et placé en garde à vue. On l’accuse de détourner des fonds au bénéfice d’un opposant au pouvoir en place. Quelques semaines plus tard, il est condamné sans preuves. Il passera dix-sept ans dans un sous-sol du Secrétariat à la défense, une pièce minuscule, sans fenêtre, sans aération, sans droit de visite et avec de très courtes sorties.
Emprisonné à tort
En 2008, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu, mais son statut ne change pas. En 2012, un autre tribunal confirme sa peine, et la rallonge. Cette deuxième condamnation pousse le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, créé en 1991, à réagir. Depuis Genève, ces experts jugent que Michel Thierry Atangana est emprisonné à tort et réclament sa libération immédiate ainsi qu’une réparation pour les torts subis. Quelques semaines après la publication de cet avis, le président du Cameroun, Paul Biya, lui octroie par décret une remise de peine. C’est la fin de son calvaire.
Michel Thierry Atangana : "La France m'a... by lemondefr
Le 28 février 2014, il rentre enfin en France. Mais sa situation n’est pas réglée pour autant : la justice camerounaise ne l’a pas blanchi des charges qui pèsent contre lui. Et tant que c’est le cas, les fonds qu’il possédait à Yaoundé restent bloqués. Paul Biya a nommé un groupe de travail interministériel chargé d’étudier son cas, mais ses conclusions se font attendre. « Comme nous ne sommes pas soutenus par la France, nous nous retrouvons comme de simples civils, face à un Etat dont on connaît la lenteur », regrette son avocate Marie-Agnès Nicolas, dont le cabinet, Hughes Hubbard and Reed, défend pro bono Michel Thierry Atangana.
« Besoin d’une assistance concrète »
A Paris, la situation du Français n’est pas beaucoup plus claire. Une plainte contre X pour détention arbitraire a été déposée par Michel Atangana, mais, là aussi, les choses traînent. Tant que la procédure est en cours, il ne peut bénéficier des aides de la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI), ni de celles du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme. Quant aux autorités, elles font la sourde oreille. François Hollande et Laurent Fabius ont bien reçu Michel Atangana à sa libération. Depuis, il ne se passe plus rien.
« Les gens se disent que j’ai été libéré, et que c’est déjà pas mal, explique Michel Atangana. Mais les victimes de détention arbitraire ont besoin d’une assistance concrète, conformément à ce que préconise le Groupe de travail des Nations unies. Comment justifiez-vous que ma seule alternative, c’est de pointer au RSA ? La France se présente comme la terre des droits de l’homme, alors qu’elle m’a laissé tomber. Quelle hypocrisie ! » Le Quai d’Orsay a bien fourni une attestation à Michel Atangana. Mais, dans ce document, rien n’indique que son emprisonnement était arbitraire. Pas question, pour Paris, d’émettre un jugement de cet ordre tant que Yaoundé ne s’est pas prononcé sur le sujet.
Aujourd’hui, Michel Atangana réside seul à Paris. S’il parvient à joindre les deux bouts, c’est uniquement grâce à son réseau. L’association Atangana contre l’oppression et l’arbitraire se montre très active. Pour Roland Adjovi, président du Groupe de travail onusien, l’affaire Atangana représente « la contradiction profonde des Etats sur le sujet et un déni de l’être humain. La France n’est pas coupable de la détention de M. Atangana. Mais, en tant que premier défenseur du Groupe de travail aux Nations unies, elle devrait en respecter les conclusions et accompagner son ressortissant dans sa réhabilitation ».