Depuis quelque temps, Olembe à l’entrée nord de Yaoundé vit au rythme des gangs et agressions. Cette insécurité au cœur de la capitale camerounaise, interroge. D’après des témoignages, il s’agit de jeunes gens qui se servent des armes blanches pour délester leurs victimes de leurs biens. Souvent réunis dans un fumoir situé non loin des rails pour prendre en guet‐apens les potentiels cibles, ils imposent leur loi. Au même moment, dans l’Extrême‐nord, au cours des dernières semaines, les terroristes de Boko Haram ont refait parler d’eux au cours de nombreuses attaques. Alors que dans le Sud‐ouest et le Nord‐ouest, où les fronts semblaient plus calmes, des civils ont été sauvagement tués suscitant la remobilisation par le haut commandement, des troupes. Pour beaucoup, cette poussée de l’insécurité et de la criminalité, tire sa source dans la vie chère et les incertitudes nées des circuits d’approvisionnement. Pour comprendre les mobiles, les enjeux, et la gestion sécuritaire des stocks, le journal Essingan a interrogé le professionnel des questions logistiques, Jean-Marie Nga Koumda.
L'occasion faisant le larron, aujourd’hui même, le secrétaire général dela présidence de la République, le ministre d’Etat Ferdinand Ngoh Ngoh inaugure le nouveau centre commercial PlaYce à Yaoundé. Devons nous déduire que le Cameroun est singulièrement attractif pour les investisseurs?
Oui, on doit le reconnaitre. Le Cameroun est attractif. Si des investisseurs comme ceux qui ont mis en place ce centre commercial viennent miser du risque dans notre pays, c’est qu’il suscite des perspectives. C’est qu’il attire. On peut donc dire que le Cameroun, dans ce contexte de morosité mondiale dans le domaine des affaires, est un pays favorable à la création des richesses. Il y est possible de développer des marchés, d’investir et commercer. En témoignent d’ailleurs, les nombreux grands projets qui font courir Occidentaux et Chinois.
On doit cependant dire aussi la vérité, qu’il n’existe pas de philanthropie là-dedans. Les Français par exemple, ont mauvaise image dans toute l’Afrique en ce moment. Ils ont donc intérêt à se blanchir par des initiatives qui peuvent concourir à rétablir la confiance avec les pays africains.
Le Cameroun faisant partie de ceux qui inspirent le plus confiance, ils ne peuvent que s’intéresser à nous. Il reste que dans leurs boutiques, il est souhaitable que l’on retrouve des produits du terroir. Et non toujours des présentoirs pleins de marchandises toutes importées. Le Cameroun produit des fruits qui ne demandent qu’à être exposés dans ces vitrines et bacs pour entrer en compétition avec d’autres. Nos produits agricoles sont de grande qualité et nécessitent une meilleure attention pour une plus grande compétitivité.
Parlant des produits agricoles camerounais notamment où les situez-vous au moment où l’on parle de plus en plus des menaces de sécurité alimentaire dans certaines parties du territoire national du fait des problèmes de production?
La sécurité est un tout qui se décline en piliers. Le premier de tous, est la sécurité alimentaire. Par le passé, j’ai eu l’occasion de le dire. Nos pays doivent clairement identifier les segments dans lesquels, ils peuvent plus facilement se développer. Si notre point fort c’est l’agriculture, il faut mettre en place une politique agricole qui fasse du Cameroun un pôle de production incontournable pour les consommateurs. En temps normal, personne ne savait que l’Ukraine joue un rôle dans l’alimentation de la planète. Avec la guerre en cours, l’on s’aperçoit à quel point deux pays parmi les plus importants dans la production et l’importation des céréales, peuvent paralyser toute l’économie mondiale. Le Cameroun doit s’en inspirer pour devenir un producteur majeur du point de vue économique. Notre industrie est en plein essor. Cette tendance évolutive de ce secteur de l’économie ne doit en aucun cas faire oublier que le Cameroun est un pays agricole. D’ailleurs, l’industrie dont il est question, peut venir en appui, à l’agriculture pour en être le soutien technologique instigateur de la valeur-ajoutée. Pour me résumer, toute sécurité repose sur la sécurité alimentaire.
Dans un pays comme le Cameroun, comment définissez-vous les priorités sécuritaires?
D’abord en disant que la sécurité n’est pas la seule affaire des sécuraucrates. Elle est une affaire de tous. Je vais dire que tout le monde n’ira pas au front dans le cas des crises sécuritaires. Mais la sécurité étant un ensemble de choses, il faut préparer les conditions d’une sécurité durable en amont. Cela passe par un Conseil national de sécurité véritable. Ce serait le creuset de toutes les politiques publiques en matière de sécurité.
Ici, l’on aurait des représentants de l’autorité traditionnelle, les élus, les universitaires, les représentants de la société civile, des experts dans différents domaines, des magistrats, des représentants des forces de défense et de sécurité, les pol tiques, etc. Ceci serait donc différent des va-t-en-guerre qui semblent avoir pris en otage qui poussent aux extrémismes. Pour examiner, dresser des analyses, assurer la veille, élaborer des schémas prospectifs.
Dit comme cela, vous semblez théorique dans votre démonstration…
J’en viens. Les gens pensent que dès qu’on parle sécurité, ce sont les institutions, ceux qui les incarnent et les biens à la dimension du patrimoine national. C’est une dimension de la sécurité. Elle est primordiale dans nos pays jeunes. Mais croyez-moi, ce n’est pas vraiment cela la sécurité. Vous voulez du concret, allons-y! Voilà la vie chère. Pourquoi sommes-nous secoués? On n’a pas de stocks de réserve. Nous devrions en avoir pour au moins cinq ans dans chacune des filières alimentaires et agricoles. Or, sans ces stocks de sécurité, nous sommes exposés et fragiles.
Autre exemple, si la route Douala Yaoundé est coupée aujourd’hui, avons-nous la possibilité de contourner. Je réponds par non. Parce que cela n’est pas préparer en amont. Un tel problème gé- nère des dégâts énormes dans les approvisionnements, les voies de contournement, la gestion des eaux et énergie, etc. S’il y a incendie, on prend de l’eau où? On passe par où si c’est derrière la chapelle Mokolo à Yaoundé où il n’y a pas de route? Le tout sécuritaire qui consiste à ramener les problèmes de sécurité aux seules institutions, est un mensonge. Un leurre!
Au plan géostratégique, com ment entrevoyez-vous la planète au sortir de la guerre en Ukraine?
Le monde vit un grand tournant. Il faut donc penser un système sécuritaire planétaire. L’Onu a jusqu’ici fait faillite puisque à la solde des «puissants» qui décident à sa place. Ils vont ainsi de manière unilatérale, envahir le Vietnam, l’Irak ou la Libye. Un monde voulu ainsi unipolaire est impossible. C’est la leçon de la guerre en cours. Elle nous rappelle que où que la paix soit menacée dans le monde, c’est le monde entier qui est menacé. Il faut plus d’équité y compris dans les échanges. Vous vendez cher vos technologies, acceptez que les autres vous vendent au même niveau leurs produits de base. Il n’y a ni aumône, ni philanthropie dans ces échanges.
C’est donc une nouvelle organisation sociale qu’il est question?
Absolument! Nous nous trompons souvent en disant que la charité bien ordonnée, commence pas soi-même. La charité bien ordonnée commence par autrui. Si vous vous occupez bien de l’autre, vous vous mettez en sé- curité. C’est pour cela que tous ceux qu’on nomme dans la haute administration, doivent rester des serviteurs. Par ailleurs, ils doivent comprendre qu’ils ne sont pas là, pour travailler pour les leurs. Mais pour tout le monde. C’est aussi cela, la sécurité. Ne pas briller par un égoïsme qui accapare tous les privilèges.
Les gens pensent que dès qu’on parle sécurité, ce sont les institutions, ceux qui les incarnent et les biens à la dimension du patrimoine national. C’est une dimension de la sécurité. Elle est primordiale dans nos pays jeunes.