Actualités of Monday, 14 December 2015

Source: carmer.be

Tranches de vie : Ils rêvent de foot et de blouse blanche

Dans les campements Kwo et Mayos Dans les campements Kwo et Mayos

Dans les campements Kwo et Mayos, à l’Est du Cameroun, les enfants pygmées veulent faire de longues études, devenir des médecins, militaires ou footballeurs, afin d’aider leur communauté.

Les pygmées sont des hommes de petite taille qui vivent de la pêche, de la chasse et de la cueillette. C’est une phrase qu’elle récite par coeur, les yeux fermés. A l’école, son enseignant le lui a appris. « On parle de nous, des pygmées comme moi, assure la petite Antoinette Mbiendou, en touchant son coeur. Nous sommes un peuple de la forêt ». Lorsqu’elle est allée pour la première fois à l’école, elle a demandé à son papa pourquoi on les appelait pygmées. « Il ne m’a rien dit, se moque encore la fillette. Mais, mon maître m’a donné la réponse ». Une « réponse » qui n’a pas satisfait Antoinette qui ne veut devenir ni « chasseur », « ni pêcheur » et encore moins « cueilleur ». Comme la centaine d’enfants des campements Mayos et Kwo à l’Est du Cameroun, elle a « son » rêve : devenir « quelqu’un pour aider son village ».

« Je veux fréquenter. Je ne veux pas me marier »

Antoinette a longuement réfléchi, de sa petite tête d’enfant. Au départ, séduite par les « connaissances de son maître », elle voulait devenir enseignante. Mais, elle s’est vite découragée car, cela ne pouvait « aider Mayos », son campement. Ensuite, un jour, elle a vu une image d’une femme en train de conduire un camion « dans un papier flottant dans la cour ». Elle a encore été séduite. Seulement, elle ne sait pas vraiment comment conduire un camion pourra « aider » une fois de plus Mayos. Alors, elle a trouvé: elle veut devenir militaire. Son maître lui a bien expliqué ce que font les militaires. « Je veux combattre tous ceux qui font du mal aux pauvres et aux faibles », lâche la fillette âgée de 10 ans et inscrite en classe de Cours élémentaire première année (Ce1), se référant aux pygmées de Mayos qui souffrent.

Au Cameroun, plus de la moitié de la population estimée à plus de 22 millions d’habitants est jeune. « L’avenir des pygmées sera assuré par nos enfants », ponctue justement Andé, la doyenne des pygmées de Mayos, à la fin de chacune de ses phrases. Près d’elle, son arrière-arrière petite fille, Moukoudib Amesse 11 ans, construit déjà son avenir à elle. « Je veux devenir quelqu’un d’important pour aider mon village. Je ne veux pas me marier, glisse-t-elle, avec tout le sérieux du monde. Je veux devenir médecin ». En fait, le coeur de cette élève inscrite en classe de Cours moyen première année (Cm1) balançait entre deux rêves : la médecine ou la police. Elle a finalement choisi de devenir « docteur », face aux maladies qui rongent et tuent parfois les « enfants et grands » de son village.

Pour y accéder, Moukoudib Amesse a déjà un plan tout tracé. Après l’obtention de son Certificat d’études primaires (Cep), elle compte aller « en ville poursuivre ses études ». Chez qui et avec quels moyens ? A ces questions, un voile de tristesse assombrit son visage juvénile. Elle hausse les épaules, baisse son regard sur le sol et serre davantage dans ses bras, son petit frère âgé de quelques mois. Elle n’en sait rien en fait. Elle veut réellement « faire de longues études ». « Je vais au champ avec ma mère. Je plante du macabo et du manioc. Quand je vais récolter, je vais les vendre et économiser de l’argent », détaille-t-elle. Elle croit fermement que cet argent lui permettra de poursuivre ses rêves. D’ailleurs, ses parents aussi ont décidé de lui donner beaucoup d’argent pour aller en ville poursuivre ses études, nous confie-t-elle.

« Premier Samuel Eto’o Baka du monde »

Le petit Jean Djossi, inscrit en classe de Cours préparatoire (Cp), a le même rêve : devenir médecin. Mais, pas n’importe lequel : il veut être le médecin du village qui « soigne les enfants ». Il nous avoue de sa petite voix fluette qu’il fera de « Kwo, le village où tous les enfants sont en santé ». Le futur pédiatre a bien évidemment un plan tout tracé dans sa tête. Les yeux perdus dans les vagues, il nous détaille, dans son français approximatif, son secret, sous le regard approbateur de sa soeur aînée : « je vais d’abord obtenir mon grand examen pour aller au collège ». Il s’interrompt, réfléchit et regarde, penaud, sa soeur : « comment ça s’appelle le diplôme ? ». « Cep », lâche la soeur. Après son Certificat d’études primaires donc, il ira à Bertoua, « la grande ville », pour étudier la médecine.

« Papa m’a di qu’il allait m’aider », jure-t-il, dans un sourire édenté. Mais, pour ces enfants, l’un des plus grands défis reste la possession d’un acte de naissance car, il faut en avoir pour présenter le Cep. D’après l’Organisation non gouvernementale (Ong) Plan international, près de 98% des parents n’enregistrent pas leurs enfants à la naissance. Moukoudib Amesse tout comme Jean Djossi par exemple, ne savent pas l’année exacte de leur naissance. Ont-ils des actes de naissance ? Les deux enfants haussent négativement la tête. « On nous menace trop lorsque nous allons à Dimako pour nous faire enregistrer et établir l’acte de nos enfants, justifie un habitant. On nous dit de repasser demain. Lorsque nous revenons on nous donne un autre rendez-vous et ainsi de suite.

Parfois, même lorsque nous nous enregistrons, il n’y a pas notre nom sur la liste ». Avec ou sans acte, Moukoundi Amesse et Jean Djossi sont « sûrs » de réaliser leur rêve : porter la blouse blanche. Si certains enfants rêvent ainsi de devenir militaire ou de porter la blouse blanche, d’autres par contre, veulent devenir « le premier Samuel Eto’o Baka du monde ». La première fois que Gaston Soniga a entendu parler de football, il était en voyage à Bertoua. « J’étais allé pour vendre mes plantains, se souvient le jeune homme qui avait 15 ans à l’époque. J’ai vu à la télévision un match de football et j’ai vraiment aimé. J’ai trop aimé ». A chacun de ses déplacements à Bertoua, il ne manquait plus de s’arrêter devant un bar pour voir un match de football. « Je quittais souvent Mayos pour aller voir un match de football à Dimako ou Bertoua quand Samuel Eto’o jouait, raconte-t-il. J’ai commencé à organiser des matches ici au village, entre amis. Je joue actuellement dans une équipe à Dimako ».

A 21 ans, Gaston continue de rêver d’intégrer un jour le celèbre club espagnol Fc Barcelone. A huit ans, le petit Chris parle français avec beaucoup de peine. Mais, le langage du football, il semble le maîtriser avec ardeur. Il n’y a qu’à voir la manière donc il en parle en langue Baka. Et nous entendons à chaque bout de phrase le nom « Samuel Eto’o ». C’est son idole, tout comme celui des dizaines d’autres. « Je veux devenir le premier Samuel Eto’o Baka du monde », rêve à 21 ans et avec trois enfants à la charge, Gaston Soniga. Et plus tard, nous confie-t-il, il construira un « immense stade dans son village ». Dans une communauté délogée par des sociétés forestières, le pari semble risqué. Qu’importe ! A Mayos tout comme à Kwo, les rêves des enfants sont résolument tournés vers l’avenir. Ils comptent sur l’aide de Dieu, de leurs ancêtres et de « papa Paul Biya » (qui semble les avoir oubliés selon eux), pour les réaliser : jouer au foot ou porter la blouse blanche, à tous les prix !