Actualités of Tuesday, 21 February 2023

Source: www.bbc.com

Tremblement de terre en Turquie et en Syrie : Le Syrien qui sort le corps de sa fiancée des décombres

Le Syrien qui sort le corps de sa fiancée des décombres Le Syrien qui sort le corps de sa fiancée des décombres

Aysha Moarri, 45 ans, sanglote en caressant un sac mortuaire blanc matelassé à l'arrière d'un camion.

"Comment peux-tu me laisser derrière toi ? Tu étais la seule raison pour laquelle je suis restée en vie... Comment puis-je respirer maintenant ?"

Sa fille est à l'intérieur. À côté d'elle se trouvent les corps de cinq autres membres de sa famille.

C'est un autre après-midi froid et lumineux au poste-frontière de Bab al-Hawa, tenu par l'opposition, entre le sud de la Turquie et le nord-ouest de la Syrie.

Des familles de réfugiés syriens qui ont perdu des êtres chers dans le tremblement de terre qui a frappé le sud de la Turquie la semaine dernière sont rassemblées pour aider à rapatrier les corps.

Autour de nous, l'odeur lourde de la mort flotte dans l'air.

Aysha, son mari Nouman et leur petite-fille Elma, âgée de quatre ans, sont les seuls survivants de l'effondrement de l'immeuble de six étages dans lequel ils vivaient.

Ils ont perdu deux filles, un fils et deux petites-filles, et sont toujours à la recherche de leur gendre.

Lire aussi :

  • Crise après crise : Pourquoi il est difficile d'apporter de l'aide à la Syrie
  • Combien de temps peut-on survivre sous des décombres ?
  • Que faire en cas de tremblement de terre ?
La famille a fui la guerre en Syrie il y a huit ans dans l'espoir d'un nouveau départ et s'est réfugiée dans la ville d'Antakya, dans le sud de la Turquie. La ville est maintenant en ruines et plus de la moitié de ses bâtiments est endommagée.

Le nom de chaque victime syrienne amenée à Bab al-Hawa est écrit au stylo bleu sur les sacs, afin de s'assurer qu'ils puissent être identifiés une fois de retour chez eux.

"Prenez bien soin les uns des autres. Ma chère Shirin, prends soin de ton frère, de ta sœur et de mes petits-enfants adorés..." Aysha sanglote, embrassant le corps de sa fille à travers le tissu blanc.

Alors qu'elle commence à s'éloigner, les doigts d'Aysha s'attardent sur le camion, ne voulant visiblement pas le lâcher.

Deux grenades en verre

Son mari Nouman fond en larmes à la vue du camion qui traverse la frontière.

"Adieu mes chéris... Vous allez tous rentrer chez vous... Vous serez ensemble..." dit-il en agitant une main bandée.

Ce matin-là, cinq autres camions sont arrivés à la frontière, transportant les corps de Syriens récupérés sous les décombres. Certains sont juste enveloppés dans des couvertures et d'autres dans des sacs mortuaires noirs.

Parmi les décombres de l'appartement de la famille à Antakya, deux grenades en verre reposent parfaitement intactes sur une étagère. Un tableau est toujours accroché au-dessus de la table. Le reste de la pièce s'est effondré.

Vêtu d'un gilet de sécurité jaune fluo, Ali, qui était fiancé à Viam, la fille cadette d'Aysha, continue de fouiller les décombres dans l'espoir de retrouver d'autres corps.

Il nous montre où il a trouvé Viam. Ils étaient amoureux depuis quatre ans, mais ce n'est qu'une semaine avant le tremblement de terre qu'il avait persuadé le père de la jeune fille d'accepter leurs fiançailles.

"Cette nuit-là, nous nous envoyions encore des textos sur WhatsApp jusqu'à tard. Nous n'arrivions pas à dormir", raconte-t-il.

Vers 4 heures du matin, il a reçu un SMS de Viam : "Tu t'es réveillé ? J'ai fait un cauchemar bizarre", écrit-elle.

Ils étaient en plein appel vidéo lorsque la terre s'est mise à trembler.

"Je venais de lui dire qu'elle ne devait pas penser à ce mauvais rêve. Et puis nous nous sommes dit que nous nous aimions. Elle était assise sur son lit et riait tranquillement", se souvient Ali, qui s'efforce de ne pas fondre en larmes.

"Je l'ai vue essayer de courir, mais son téléphone était branché, ce qui ralentissait son mouvement. Puis l'image s'est figée. L'écran est devenu noir."

Préparateur physique ayant une expérience d'entraînement au combat avec l'opposition armée en Syrie, Ali a pu se protéger en rampant sous la table de sa chambre.

"Quand le tremblement de terre s'est terminé, je suis sorti en courant. Tout notre quartier était dévasté. Je ne me souviens plus comment j'ai marché jusqu'à la rue où elle (Viam) vivait. Cela m'a pris deux fois plus de temps, car toutes les routes étaient bloquées", raconte Ali.

  • Pourquoi les tremblements de terre en Turquie ont-ils été si meurtriers ?
Quand il est arrivé au bloc d'appartements, une opération de sauvetage de fortune organisée par les voisins était déjà en cours. Il a appelé des amis pour les rejoindre. Les heures passent et aucune aide officielle n'arrive.

Ali dit que lui et ses amis viennent de régions de Syrie qui ont été fréquemment bombardées par les forces gouvernementales syriennes pendant la guerre, et qu'ils ont donc déjà reçu une certaine formation et une certaine expérience en matière de recherche et de sauvetage.

Les Syriens doivent aider les Syriens, ajoute-t-il.

Trouver Viam

Une partie de la zone touchée par le tremblement de terre est sous le contrôle du gouvernement syrien, et les autres parties, comme Idlib - d'où est originaire la famille - sont administrées par des groupes d'opposition.

La coordination des missions d'aide et de secours est donc très complexe et implique de nombreuses négociations de fond entre les groupes armés et les pays qui les soutiennent dans le reste du monde.

Ali éprouve du ressentiment à l'égard de la communauté internationale, affirmant que les pays développés entretiennent des conflits en Syrie, et que les gens en souffrent.

"Le monde entier est venu aider la Turquie et Dieu merci, la Turquie est un pays fort, mais qu'en est-il de la Syrie ? Je ne veux pas parler de politique mais d'un point de vue humanitaire, nous n'avons pas d'électricité, ni d'eau potable ni même de maisons", s'indigne Ali.

"Nos maisons ont été dévastées par la guerre, et maintenant par le tremblement de terre. Bien sûr, nous acceptons ce qui vient de Dieu. Mais je devrais dire au monde que ça suffit. Assez."

Après huit jours de recherche, Ali a trouvé le corps de sa bien-aimée Viam. Elle étreignait son frère Mohammed quand elle est morte.

Aujourd'hui, avec un groupe de 15 compatriotes syriens, Ali s'efforce de trouver d'autres familles syriennes.

Une fine poussière de béton les recouvre. Elle est omniprésente ici - elle rend nos yeux granuleux et nos cheveux gris.

Au cours des dix premiers jours qui ont suivi le tremblement de terre, plus de 2 306 corps ont franchi la frontière syrienne, selon les autorités turques.

La police des frontières turque, qui ne peut s'exprimer que sous le couvert de l'anonymat, nous dit que cette opération a été massive et difficile à coordonner. Parfois, les secouristes sont prêts à envoyer les corps mais on n'est pas prêt à les recevoir de l'autre côté de la frontière - et inversement.

Alors que nous nous préparons à partir, nous voyons un homme câlinant le corps de son bébé de 25 jours enveloppé dans une petite couverture, demandant de l'aide pour ramener son corps chez lui, dans une partie de la province d'Idlib tenue par l'opposition.

La famille Moarri a finalement retrouvé la dernière personne qu'elle cherchait - le corps de son gendre - dix jours après le tremblement de terre.

J'ai demandé à Ali pourquoi les réfugiés syriens envoient les corps de leur famille en Syrie.

"C'est notre maison. C'est là où nous espérons et croyons encore qu'un jour nous retournerons. Nous voulons que nos proches nous y attendent".