Actualités of Saturday, 22 April 2023

Source: www.camerounweb.com

Tribalisme: la Commission des Droits de l’Homme condamne les propos de Claude Abe

La CDHC a fait une déclaration à propos des paroles incendiaires tribalistes de Claude Abe La CDHC a fait une déclaration à propos des paroles incendiaires tribalistes de Claude Abe

La Commission des Droits de l’Homme a condamné fermement les propos de Claude Abe sur Vision 4. Elle a invité par ailleurs les professionnels des médias à plus de responsabilité dans la conduite des débats télés.

Voici la déclaration de la CDHC.

La Commission des Droits de l'Homme du Cameroun (CDHC) ci-après « la Commission », a pris connaissance, avec consternation, des propos haineux empreints de tribalisme, tenus par Monsieur Claude ABE, l'un des invités de l'émission « Club d'élites » diffusée en direct sur la chaine de télévision Vision 4 le dimanche 16 avril 2023.

Au cours de l'émission télévisée susmentionnée, Monsieur Claude ABE a notamment fait les déclarations ci-après.

« Comment pouvez-vous comprendre qu'aujourd'hui un certain nombre d'individus se réunissent dans des réunions le dimanche ou le samedi [...] et disent: "désormais on va acheter tel ou tel côté du Cameroun' et ils le font, au nom de la vulnérabilité des uns et des autres ».

« Le Cameroun devra affronter [...] à un moment donné la réforme foncière. On passera par là. Il faut que chacun retourne chez soi et il faut que les gens prennent les avis républicains dans ce sens-là. Pas d'essayer d'utiliser la République en disant 'nous sommes républicains [alors que] derrière, on a un projet pour envahir les uns et les autres et les remplacer dans leur village ».

« On va encore me traiter de tribaliste, mais il faut dire que certains ont fait de la terre un élément de conquête du pouvoir. Et ce sont pratiquement toujours les mêmes gens. Certains utilisent d'ailleurs l'État pour arriver à leurs fins ».

En soutien aux propos querelles de Monsieur Claude ABE, Monsieur Dieudonné ESSOMBA, dans une publication qui fait le tour des réseaux sociaux sous l'intitulé « Du discours tribal », a tenu des propos d'incitation à la haine et à la violence tribale ou ethnique, notamment quand il affirme que « l'ethnopolisation d'un segment économique, autrement dit son contrôle par une seule communauté, peut susciter une hostilité violente des autres, surtout lorsque ce contrôle prend le caractère d'un ghetto où la communauté bénéficiaire empêche, par des moyens divers, l'entrée d'autres communautés » ou alors, lorsqu'il soutient qu'« [e]n ce qui concerne les terres, la création des colonies tribales au sein d'autres communautés, avec pour finalité l'ethnocide de la communauté hote au nom du développement et de l'unité nationale, entraîne toujours des conflits meurtriers ». Il est allé plus loin dans l'apologie du discours de haine et d'incitation à la violence en concluant qu'«il n'existe [...] aucun moyen d'empêcher le discours tribal ».

En réplique à ces déclarations, d'autres concitoyens ont tenu, dans les réseaux sociaux, propos qui s'inscrivent dans le même registre des discours de haine, notamment ceux attribués à Monsieur Benjamin ZEBAZE qui, dans une publication devenue virale sous le titre «Qui sont les envahisseurs ? », a déclaré que « des gens ont passé leur temps avec pour principal modèle économique la vente des terrains et l'utilisation de l'État comme 'mamelle nourricière': maintenant qu'ils n'ont plus de terrain à vendre et risquent de perdre le contrôle de l'État, ils tiennent des propos d'une rare violence qui ferait passer ceux d'Adolf Hitler pour des rêveries d'un Evêque 'puritain' ».

Dans une autre publication largement partagée sur les réseaux sociaux avec pour titre « Que chacun rentre chez lui », Monsieur Benjamin ZEBAZE a tenu des propos tout aussi dangereux que ceux de Monsieur Claude ABE à l'endroit de ceux qu'il qualifie de « soutiens du clan tribal qui nous gouverne depuis qu'ils constatent qu'il sera très difficile à l'un des leurs de remplacer Paul BIYA au sommet de l'Etat ». Dans cette sortie, il a notamment déclaré que <«<[c]e sont des gens qui sont toujours dans l'immédiateté, l'avenir ne les concerne pas », avant de monter en puissance dans la surenchère et la stigmatisation au préjudice d'une des multiples communautés du Cameroun en ces termes : « si les ressortissants de l'Ouest et du Grand Nord quittaient les villes de Douala et Yaoundé que deviendraient-elles? Seraient-elles différentes de simples antennes administratives? [...] Il ne serait pas inintéressant de savoir quelle est la communauté qui contribue le plus aux recettes de l'État, recettes qui permettent à un clan tribal de vivre dans une opulence au-delà de tout bon sens ».

L'on se souvient en outre qu'au cours du mois de mars 2023, la page Facebook dénommée «< Nzui Manto Officiel » a publié un texte intitulé « Les propriétaires du Cameroun >> texte dans lequel des propos incitant à la haine ont été tenus, notamment cette déclaration incendiaire attribuée à une certaine Marcelle NGON ANTON, présentée comme employée de l'ambassade du Cameroun en France : « [t]ous les bamis sont contents que AB soit incarcéré Rien ne sera plus comme avant et c'est vos sœurs et frères qui vont lire l'heure en France. Je vois un dossier de bami, je bloque ». Or, il est apparu que ce personnage fictif n'est aucunement en service ni à l'ambassade du Cameroun à Paris, ni dans les services techniques rattachés et encore moins au consulat général du Cameroun à Paris ou au consulat du Cameroun à Marseille. Les propos dénoncés ont été fermement condamnés dans le Communiqué n° 006 C/ACF/CCC/CAB du 20 mars 2023 publié par l'ambassade du Cameroun, qui appelait par ailleurs à une prise de conscience générale sur les effets pervers de la désinformation et des propos haineux diffusés dans les médias sociaux, qui sont absolument condamnables et dont les auteurs sont susceptibles d'être poursuivis, non sans avoir fustigé l'insinuation d'une administration clienteliste et tribaliste que laissait croire la publication décriée.

Dans une autre publication parue sur la même page Facebook dénommée «< Nzui Manto Officiel >> sous le titre « Qui sont les propriétaires du Cameroun ? », l'auteur accuse une des communautés du pays de tous les maux, notamment lorsqu'il insinue que « les propriétaires du Cameroun peuvent quitter leurs villages et aller exploiter le pétrole dans un village à Limbe. imposant leur présence dans ce village par la notion du un et indivisible avant de déclarer la guerre aux habitants du village pétrolier lorsque ceux-ci se rebellent » ou encore quand il déclare que << l'argent de vos impôts va dans leurs villages qu'ils appellent la capitale du Cameroun ou le socle granitique de Paul BIYA».

Le préambule de la Constitution du 18 janvier 1996, notamment en son 1er article dispose que « [tous les hommes sont égaux en Droits et en devoirs [et que] l'État assure à tous les citoyens sans discrimination les conditions nécessaires à leur développement », en son 4° tiret qui énonce que « [tout homme a le droit de se fixer en tout lieu [...] sous réserve des prescriptions légales relatives à l'ordre, à la sécurité et à la tranquillité publics », en son 13° tiret aux termes duquel « [n]ul ne peut être inquiété en raison de ses origines, ses opinions ou croyances [...] sous réserve du respect de l'ordre public et des bonnes mœurs » et en son 25 tiret qui prévoit que «< l'État garantit à tous les citoyens de l'un ou de l'autre sexe, les droits et libertés énumérés au[dit] préambule »,

Prenant en compte l'article 28 de la Charte africaine des Droits de l'homme et des peuples qui énonce que « [c]haque individu a le devoir de respecter et de considérer ses semblables sans discrimination aucune et d'entretenir avec eux des relations qui permettent de promouvoir, de sauvegarder et de renforcer le respect et la tolérance réciproques >>.

Reconnaissant qu'en dépit de l'importance de la liberté d'expression, tous les discours ne sont pas protégés par le Droit international, et que certaines formes de discours sont proscrites par les États, conformément à l'article 20 (2) du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques qui énonce que «< [t]out appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi »,

Reconnaissant en outre que l'article 4 (a) de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale exige que la diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, l'incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous les actes de violence ou l'incitation à de tels actes dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d'une autre couleur ou origine ethnique, soient déclarés délits punissables par la loi,

Rappelant que les auteurs des discours haineux à caractère tribal ou ethnique encourent des sanctions pénales, conformément à l'article 1er de la loi n° 2019/020 du 19 décembre 2019 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal dont l'article 241-1 se lit désormais comme suit:

Article 241-1.- (nouveau) Outrage à la tribu ou à l'ethnie

(1) Est puni d'un emprisonnement d'un (01) à deux (02) ans et d'une amende de trois cent mille (300 000) à trois millions (3 000 000) de francs, celui qui, par quelque moyen que ce soit, tient des discours de haine ou procède aux incitations à la violence contre des personnes en raison de leur appartenance tribale ou ethnique.

(2) En cas d'admission des circonstances atténuantes, la peine d'emprisonnement prévue à l'alinéa I ci-dessus ne peut être inférieure à trois (03) mois et la peine d'amende à deux cent mille (200 000) francs.

(3) Le sursis ne peut être accordé, sauf en cas d'excuse atténuante de minorité. (4) Lorsque l'auteur du discours de haine est un fonctionnaire au sens de l'article 131 du présent Code, un responsable de formation politique, de média, d'une organisation non gouvernementale ou d'une institution religieuse, les peines prévues à l'alinéa 1 ci-dessus sont doublées et les circonstances atténuantes ne sont pas admises. Constatant que ces dispositions législatives sont en consonance avec la Résolution 2399 (2018) du Conseil de sécurité du 30 janvier 2018 qui précise que les auteurs d'incitation

discours de haine sont passibles de sanctions que les États sont encourages

Considérant que la modification de l'article 241 du Code pénal, dans sa version du 24 décembre 2019, vise la prise en compte des réseaux sociaux ou de tout autre moyen susceptible d'atteindre le public, en plus des médias traditionnels (presse écrite, radio, télévision), comme moyens probables de diffusion de la haine ou d'incitations à la violence,

Consciente que tout discours de haine est dangereux et porte atteinte à la tolérance, à l'inclusion, à la cohésion et à la stabilité sociales, ainsi qu'à l'essence même de l'Unité nationale, de la paix, des valeurs constitutionnelles et des normes en matière de Droits de l'homme et de démocratie,

Conscient en outre que les médias sociaux ainsi que d'autres moyens de communication servent de tribunes au fanatisme et que les débats publics rendent souvent compte de l'utilisation d'une rhétorique incendiaire à des fins politiques ou autres pour stigmatiser des personnes ou des groupes de personnes qu'on dit «< autres >>

Se référant à la Stratégie et au Plan d'action des Nations Unies pour la lutte contre les discours de haine lancés le 18 juin 2019 par le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio GUTERRES, qui souligne que « [1]e silence peut, en effet, n'être que l'autre nom de l'indifférence au fanatisme et à l'intolérance »>,

Considérant que, dans sa Stratégie et son Plan d'action sus-évoqués, l'ONU définit les discours de haine comme tout type de communication, qu'il s'agisse d'expression orale ou écrite ou de comportement, constituant une atteinte ou utilisant un langage pejoratif ou discriminatoire à l'égard d'une personne ou d'un groupe en raison de leur identité, en d'autres termes, de l'appartenance religieuse, de l'origine ethnique, de la nationalité, de la race, de la couleur de peau, de l'ascendance, du genre ou d'autres facteurs constitutifs de l'identité; souvent, ces discours sont à la fois le résultat et la cause de l'intolérance et de la haine et peuvent être, dans certains cas, dénigrants et source de divisions,

Ayant à l'esprit que, dans son Rapport de 2019 à l'Assemblée générale, le Rapporteur spécial sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression a recommandé aux États et aux entreprises d'adopter des politiques de contenu assorties de règles relatives aux discours haineux qui tirent leur fondement du Droit international des Droits de l'homme dont les textes dans lesquels figurent l'interprétation qu'en ont donnée les organes conventionnels, les titulaires de mandats au titre de procedures spéciales et d'autres experts, tels que le Plan d'action de Rabat sur l'interdiction de l'appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence, adopté le 5 octobre 2012,

Ayant en outre à l'esprit les drames de l'histoire de l'humanité dont le point de départ fut un discours de haine et qui ont conduit à de violations massives des Droits de l'homme, à l'instar des génocides,

Considérant que la lutte contre les discours de haine fait partie intégrante du mandat de promotion de la démocratie et de l'État de droit dont elle est investie par sa loi habilitante,

La Commission est alarmée par l'accroissement des dérives langagières qui portent frontalement atteinte aux Droits de l'homme et menacent le vivre-ensemble harmonieux au Cameroun:

La Commission condamne fermement et sans réserve de tels discours qui constituent des violences psychologiques contre des citoyens, des tribus et des ethnies ainsi stigmatisés, autant qu'ils contribuent à la détérioration de l'Unité nationale ainsi qu'à la déconstruction des valeurs sociales et républicaines d'une société démocratique ;

La Commission souligne que la lutte contre les discours de haine est l'affaire de tous (autorités publiques, autorités religieuses, société civile, secteur privé, autorités traditionnelles, professionnels de médias, etc.) et, en premier lieu, de chacun et chacune des citoyen(ne)s camerounais;

La Commission invite tous les professionnels des médias, à plus de responsabilité dans la conduite des débats télévisés et/ou radiodiffusés à l'attention du public, dont certains propos pourraient porter atteinte à la cohésion et à la paix sociales:

La Commission invite particulièrement les leaders d'opinion, les journalistes et les médias qui les emploient à ne pas perdre de vue leur rôle de formateurs de l'opinion publique :

La Commission recommande à l'État, particulièrement au Conseil national de la communication, de veiller au respect de la déontologie et de toutes les règles qui régissent l'activité médiatique au Cameroun, de diligenter des enquêtes sur de tels actes et d'en punir les auteurs, la punition ayant une fonction non seulement réparatrice pour les victimes, mais aussi dissuasive à l'égard des auteurs de ces actes répréhensibles qui dessinent symboliquement de nouvelles frontières à la liberté d'expression dans l'espace public

Enfin, la Commission est convaincue que l'éducation aux Droits de l'homme est la stratégie la plus efficace pour prévenir et contrer le discours de haine, ses causes et ses manifestations, car; en développant des connaissances qui permettent aux enfants, aux jeunes et à l'ensemble des populations d'identifier et de revendiquer les Droits de l'homme, ceux-ci peuvent reconnaître leurs propres préjugés et ceux des autres, devenant ainsi des agents du changement.