Les journalistes camerounais Baba Wamé, Félix Cyriaque Ebolé Bola et Rodrigue Tongue ont été notifiés, 4 décembre 2015, d’une ordonnance de non lieu partiel à eux décernée par le juge d’instruction du Tribunal militaire de Yaoundé (TMY), Bernard Tsuite. Le magistrat, ayant estimé «suffisamment établies» à notre encontre «les charges pour non dénonciation», a en conséquence ordonné notre renvoi devant le TMY statuant en matière criminelle pour y être jugés conformément à la loi. En clair, notre cas nécessite, selon lui, la comparution et possiblement une condamnation.
Nous venions de passer près de 5 heures debout, dans un couloir, attendant l’arrivée de M. le juge qui nous avait pourtant convoqués pour 8h. Le capitaine Tsuite s’est ensuite lancé dans un long baratin de près d’une heure, question de nous préparer à la «grande» annonce de notre mise en jugement. En filigrane, il tentait de nous faire admettre que face à la «gravité» de la situation, il vaudrait mieux une comparution qui pourrait ainsi nous éviter la justice populaire !
Nous avons été inculpés le 28 octobre 2014 pour «non dénonciation». Il nous est reproché, «courant juillet-août 14, en tout cas dans le temps légal des poursuites, en temps de paix, [de] n’avoir pas averti les autorités militaires, administratives ou judiciaires de toute activité de nature à nuire à la défense nationale. Faits prévus et réprimés par les articles 74 et 107 du Code pénal». Une ordonnance de main levée d’office d’une surveillance judiciaire nous a ensuite été décernée en mi-janvier 2015 par la juge Aline Mbia épouse Happy, au terme de 3 mois de restriction des libertés. Dans ses attendus, cette magistrate courageuse confirmait notre «sens de civisme avancé», saluait «un zèle de citoyenneté très poussé, respectueux [que nous sommes] des institutions de la République du Cameroun et partant des autorités judiciaires». L’intéressée a aussitôt été affectée comme commissaire du gouvernement près le tribunal militaire d’Ebolowa (Sud)… Passons.
Toujours est-il que son successeur, Bernard Tsuite, qui semble agir sous la commande, a repris à zéro l’instruction close par Mme Mbia. Un coup, il nous convoque pour s’«assurer» que nous n’avions pas quitté le Cameroun. Une autre fois, nous sommes soumis à un interrogatoire de près de 6 heures au cours duquel non seulement il s’oppose à ce que nos avocats recadrent les débats, mais en plus reformule la même question en boucle comme dans une procédure par embuscades. Il est par ailleurs loisible de constater que le gouvernement camerounais, contrairement à ses habitudes, ne s’est jamais clairement prononcé sur notre dossier alors qu’il eût suffi du moindre indice de suspicion pour nous jeter à la vindicte populaire.
En décidant ainsi du non lieu partiel et de renvoi, le juge a balayé d’un revers de la main tous les arguments développés par les inculpés pendant la phase d’instruction, à savoir :
- Le journaliste est tenu par la protection des sources ;
- Nous ne saurions être des supplétifs des services de renseignement ;
- Nous n’avons jamais eu vent de quelque «activité de nature à nuire à la défense nationale» ;
- Bien plus, ayant appris qu’un rebelle centrafricain négociait avec le régime de Yaoundé, en vue d’obtenir une exfiltration vers l’Afrique du Sud en contrepartie du désarment de sa bande armée qui aurait commis des exactions contre des civils à l’Est du Cameroun, nous avons adressé une demande d’information en bonne et due forme au patron de la police qui n’y a jamais donné suite.
Nous avions conclu l’interrogatoire en affirmant ceci : «Nous croyons avoir été professionnels et patriotes.»
Nous attendons, sereinement, soit que la stratégie manifestement planifiée s’accomplisse ou alors, dans un sursaut de lucidité, que la justice nous blanchisse dans cette affaire kafkaïenne.