Actualités of Friday, 21 January 2022

Source: www.bbc.com

Twitter : comment le Nigeria a réussi à couper les ailes du réseau social

Comment le Nigeria a réussi à couper les ailes du réseau social Comment le Nigeria a réussi à couper les ailes du réseau social

Twitter a accepté une série de conditions pour mettre fin à une interdiction de sept mois au Nigéria, dans ce qui ressemble à une grande victoire pour l'administration du président Muhammadu Buhari dans ses efforts pour réglementer l'internet, selon certains analystes.

Le Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique, rejoint ainsi des pays comme l'Inde, l'Indonésie et la Turquie, qui réglementent étroitement les entreprises de réseaux sociaux. Il est probable que d'autres gouvernements africains en prennent note, car ils tentent d'empêcher l'utilisation des réseaux sociaux pour mobiliser les groupes d'opposition.

Certaines des conditions acceptées par Twitter suscitent des inquiétudes quant à ses futures opérations au Nigéria.

"Il est tout à fait inquiétant que Twitter ait pu céder à un arrangement qui permettrait au Nigéria de faire pression sur lui pour qu'il prenne des décisions qu'il ne prendrait pas autrement", explique à la BBC David Greene, directeur de l'ONG américaine Electronic Frontier Foundation (EFF).

Selon lui, Twitter aurait dû accepter d'obéir aux lois locales uniquement si elles respectaient les droits de l'homme. M. Greene ajoute que l'accord donne au gouvernement l'avantage d'appliquer les ordres de démantèlement et les demandes de données contre l'entreprise.

Retournement de situation après le mépris du Nigéria

Les groupes de défense des droits de l'homme affirment que l'administration du président Buhari a l'habitude d'abuser de l'État de droit et de la liberté d'expression, avec un certain nombre de journalistes et d'activistes emprisonnés pour avoir critiqué le gouvernement.

Aujourd'hui, on craint une augmentation des mesures de répression à l'encontre des utilisateurs des réseaux sociaux et un accroissement du nombre de tweets signalés et retirés par Twitter.

Twitter refuse de commenter l'accord qu'il a conclu avec le Nigéria, laissant de nombreuses personnes frustrées.

La société a seulement tweeté qu'elle est "heureuse" d'être "rétablie" et "profondément engagée au Nigéria".

Toutefois, la BBC croit savoir que la société a accepté les conditions énoncées par le gouvernement avant le rétablissement de son service.

Cela ressemble à un énorme retournement de situation pour une entreprise qui a annoncé l'année dernière qu'elle ouvrait son siège africain au Ghana, se présentant comme "un champion de la démocratie, un défenseur de la liberté d'expression, de la liberté en ligne et de l'Internet ouvert".

Beaucoup considèrent cette décision comme un affront au Nigéria, la plus grande économie d'Afrique.

Aujourd'hui, Twitter est devenu l'une des premières entreprises numériques à être mise au pas par une nouvelle loi sur la fiscalité numérique adoptée en 2020.

Au début du mois, la ministre des finances, Zainab Ahmed, a déclaré que les entreprises non résidentes fournissant des services numériques seraient tenues de payer une taxe de 6 % sur leur chiffre d'affaires à partir de cette année, afin d'accroître les recettes publiques à un moment où des "contraintes budgétaires émergentes" sont observées.

Twitter accepte de payer des impôts au Nigéria et d'établir une entité juridique dans le pays, bien que l'on ne sache pas si cela signifie qu'il ouvrira un bureau ou se contentera d'enregistrer un intermédiaire.

"La différence pourrait être significative en ce qui concerne la pression que le Nigéria sera en mesure d'exercer sur Twitter à l'avenir, et la capacité de Twitter à résister aux futures demandes disproportionnées ou arbitraires du Nigeria", explique M. Greene.

Les jeunes Nigérians, en particulier les adeptes du numérique, adorent Twitter. C'est plus qu'une plateforme, c'est un guichet unique pour tout - des offres d'emploi au portail des personnes disparues, en passant par un espace civique pour demander des comptes aux fonctionnaires.

Twitter a eu son plus grand impact politique lors des manifestations #EndSars en 2020, lorsqu'il est devenu la plateforme de prédilection des jeunes manifestants qui ont forcé le président à abolir le Special Anti-Robbery Squad (Sars), une unité de police réputée pour sa brutalité.

Les manifestations #EndSars se sont transformées en appels à la fin de la mauvaise gouvernance au Nigéria et le président Buhari a déclaré que les manifestants voulaient le démettre de ses fonctions.

Le gouvernement accuse Twitter d'avoir attisé les protestations et tient son ancien patron, Jack Dorsey, qui a manifesté son soutien aux manifestants, responsable de la destruction qui s'est ensuivie après que les manifestations ont été détournées par des criminels.

Les partisans du gouvernement célèbrent

À bien des égards, les difficultés de Twitter au Nigéria ressemblent à une bataille personnelle entre M. Dorsey et M. Buhari, qui a culminé avec la suppression du tweet du président en juin dernier.

Ce tweet faisait référence à la guerre civile biafraise de 1967-70 et avertissait que "ceux qui se comportent mal aujourd'hui" seraient traités dans "la langue qu'ils comprendront".

Dans le sillage de la rétractation de Twitter, il est difficile de voir comment des manifestations telles que #EndSars peuvent être organisées sur la plate-forme sans être accusées de violer les lois locales telles que l'"incitation à la violence".

Mais Gbenga Sesan, du groupe nigérian de défense des droits numériques Paradigm Initiative, estime que c'est en fait le gouvernement qui a perdu pendant les sept mois d'interdiction, car il n'a pas pu faire passer son message.

"Les vrais gagnants sont Twitter et le peuple nigérian, le gouvernement étant le grand perdant", affirme-t-il.

Son organisation fait partie d'un consortium qui conteste l'interdiction et M. Sesan pense que le gouvernement s'est empressé d'annoncer la levée de l'interdiction de Twitter pour sauver la face, car une décision est attendue cette semaine par un tribunal de l'organisme régional, la CEDEAO.

"Honte à lui [le président Buhari] car il s'agit d'un héritage, de la première fermeture au Nigéria", dit-il.

Mais les partisans du gouvernement célèbrent sa victoire et affirment que les autorités ont forcé Twitter à se plier.

  • "Le nom de notre peuple n'est pas à vendre"
Nombre d'entre eux estimaient que la suppression du tweet du président était le comble de l'ingérence politique par une entreprise privée et ils soutenaient pleinement l'interdiction.

L'entreprise fait maintenant l'objet de moqueries pour avoir accepté les conditions du gouvernement et être revenue à temps pour les élections générales de l'année prochaine.

Les campagnes électorales au Nigéria sont parmi les plus coûteuses au monde. Les candidats à la présidence peuvent dépenser jusqu'à 15 milliards de naira (plus de 20 milliards FCFA) pour leurs campagnes et les publicités sur les réseaux sociaux représentent une part de plus en plus importante du budget.

C'est le genre d'aubaine que Twitter, une entreprise qui veut accroître ses revenus en Afrique, ne voudrait pas manquer, selon les partisans du gouvernement.

Bien que le retour de Twitter à temps pour les élections convienne également aux politiciens nigérians de tous les partis.

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