L’ancien ministre de la Santé Publique qui purge déjà 35 ans de prison, dans le cadre de deux dossiers différents, a encore récemment été inculpé d’un détournement présumé de 7 milliards de francs cfa en rapport avec l’achat des médicaments.
Ce qui arrive à Urbain Olanguena Awono est comparable à ce qui était arrivé au rat de campagne, dans le tumulte de la ville dans la fable de La Fontaine, le rat de ville et le rat des champs. L’histoire commence par l’arrivée chez le rat des champs de son parent le rat des villes, qui se moque de la médiocrité de la vie à la campagne et l’invite à savourer chez lui les délices de la ville. Pendant qu’ils étaient en train de festoyer, le maitre des lieux entra, mettant en déroute le rat rustique, qui dit à son frère qu’il préférait de loin, la tranquille solitude de la campagne et la vie retirée sur ses terres de province, au bonheur de la ville, du « monde », et de la Cour. « C’est assez, dit le Rustique. Demain vous viendrez chez moi. Ce n’est pas que je me pique de tous vos festins de roi. Mais rien ne vient m’interrompre. Je mange tout à loisir ».
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Urbain Olanguena Awono est un homme dévasté. La machine judiciaire qui le broie depuis bientôt dix années vient d’être remise en selle. Le Tribunal criminel spécial vient en effet d’exhumer une affaire vieille de plus d’une décennie impliquant l’ex membre du Gouvernement. Avec, à la clé, une notification d’inculpation à lui servie, dans le cadre d’un détournement présumé de 7,295 milliards Fcfa en rapport avec l’achat des médicaments. A la manette pour mener les investigations dans le cadre de ce nouveau dossier dont le bouclage est annoncé imminent, rien de moins qu’un juge d’instruction à la réputation établie et dont l’intégrité se passe de commentaires : Jérôme Kouabou. D’ores et déjà, l’ancien ministre et ses avocats fourbissent les armes et se disent plus que jamais déterminés à confondre une accusation qui ne fait pas mystère de ses prétentions camer.be. Les faits de la nouvelle cause remontent en effet à la période 2002 à 2006. C’est à cette époque qu’Olanguena Awono occupait les fonctions de ministre de la Santé publique. Pour l’accusation, les fonds objet de ce détournement présumé sont bel et bien les fonds PPTE (Pays pauvres très endettés), destinés à l’achat des médicaments au profit d’une structure interne du Minsanté. Il s’agit du fameux Centre National d’ Approvisionnement en Médicaments et Consommables Essentiels (CENAME).
Mission de contrôle et de vérification
Le Procureur général près le Tribunal criminel spécial, initiateur des poursuites pointe un doigt accusateur sur la personne d’Urbain Olanguena Awono, du haut de sa stature d’ordonnateur de la dépense. Autre mis en cause pour répondre du même chef d’inculpation, un ancien collaborateur et non moins ancien coordonnateur du Comité national de lutte contre le sida (Cnls), Maurice Feuzeu. Docteur en médecine de profession, Maurice Feuzeu avait été interpellé et mis sous mandat de dépôt à la prison centrale de Kondengui en 2008 dans la mouvance de la vague d’arrestations dont le ministère de la Santé Publique avait été le théâtre, à la suite de l’interpellation de l’ancien Minsanté.
Reconnu non coupable dans le cadre du premier procès contre Olanguena, Feuzeu fut libéré en juin 2013 en même temps que quatre de ses coaccusés, au terme de cinq années de détention préventive. Pour porter l’estocade des poursuites contre l’ancien ministre, le Tribunal criminel s’appuie sur le rapport d’une mission d’enquête et de vérification du contrôle supérieur de l’Etat (Consupe) dépêchée en 2007 au ministère. Dans le collimateur des vérificateurs, la gestion des Programmes paludisme, tuberculose, ainsi que le Comité national de lutte contre le Sida.
Dans ce rapport, les auditeurs du Consupe avaient relevé et mis à nue plusieurs irrégularités et autres malversations supposées dans la gestion des trois programmes. Plusieurs collaborateurs de l’ancien ministre avaient alors été nommément épinglés, de meme que certains hommes d’affaires et prestataires. Les conclusions du rapport de la mission de contrôle et de vérification étaient accablantes. Le préjudice subi par l’Etat était évalué à un montant global de 15 milliards Fcfa. Urbain Olanguena Awono, se serait tallé la part du lion, des montants imputés au titre des irrégularités de gestion : 8,2 milliards Fcfa.
Un montant colossal et des malversations supposées, liées à la passation, jugée frauduleuse d’un marché de livraison des moustiquaires imprégnées, du financement d’un ouvrage sur le sida et, surtout, de l’achat des médicaments au profit du Cename d’un montant de 7,295 milliards Fcfa. Remis en selle et exhumé par le Tribunal criminel spécial, c’est ce troisième volet des irrégularités de gestion présumées mis en exergue par le rapport du Consupe qui fait l’objet de la troisième procédure judiciaire ouverte contre Olanguena Awono.
PROCÈS À TIROIRS
10 années de bagne, 02 condamnations, 35 ans de prison…
L’ancien ministre de la Santé Publique s’est vu infliger 15 et 20 ans de prison en l’espace de 02 mois en 2013, à la cinquième année d’une détention et d’un engrenage judiciaire émaillé de verdicts à couper le souffle.
C’est le 14 juin 2013 que tombe un premier verdict de condamnation contre Olanguena Awono. Le Tribunal criminel spécial le déclare coupable de détournement par assimilation de la somme de 200 millions FCFA à travers le protocole d’accord signé avec l’Association camerounaise de marketing social (Acms), en violation du code des marchés publics et de la tentative de détournement ; coupable aussi du détournement de 122 millions toujours en violation du Code des marchés publics, constitutive d’atteinte à la fortune publique. De plus, pour avoir signé un marché de 260 millions FCFA et attribué plutôt 200 millions, le tribunal déclare en outre Olanguena coupable de la tentative de détournement de 60 millions de ressources pays pauvres très endettés (Ppte).
Sur la base de ces trois chefs d’inculpation, l’ex-ministre de la Santé publique écope ainsi de 15 ans de prison ferme dans ce premier dossier. De retour devant la barre de ce même tribunal, et devant la même collégialité présidée par le juge Mokoury, l’ex-ministre est, le 12 août 2013, condamné à 20 ans de prison ferme. Le tribunal le déclare cette fois coupable du détournement en coaction de 80,8 millions FCFA dans le cadre du marché Vision Sarl, du nom des Ets chargés de la livraison des moustiquaires imprégnées. Une prestation finalement non exécutée, mais payée par le Minsanté.
Je suis devant l’injustice aujourd’hui
Il convient de rappeler que pour être condamné à 15 et 20 ans de prison en l’espace de deux mois en juin et août 2013, le dossier objet de cette double condamnation, unique au départ, avait été transmis par le Tgi du Mfoundi au Tcs, quelques mois plus tôt, avant d’éclater en deux procédures distinctes devant la nouvelle juridiction. Un dossier qui, faut-il le rappeler, avait connu moult péripéties devant le Tgi dont l’un des épisodes les plus emblématiques aura été cette attitude scandaleuse du ministère public.
Ses deux représentants avaient, ni plus ni moins, et sur très hautes instructions de la hiérarchie, décidé de quitter la salle des audiences le jour J et le jour suivant réservés au prononcé du verdict. Il ne fallait pas donner sa caution et son ponction à l’acquittement d’Olanguena. La suite de la procédure devant le Tcs est connue. « Je suis devant l’injustice aujourd’hui ».
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C’est ainsi que réagira Olanguena Awono suite au verdict de culpabilité prononcé contre lui par le Tribunal criminel spécial. C’était à l’ultime phase de la clôture du bal des interventions, quelques minutes avant que le tribunal ne se retire pour délibérer sur les peines à infliger à l’accusé. Intervenant en bout de chaîne à la suite des trois déclarations sibyllines de ses avocats, C’est sans émotion que la voix grave de l’ex-Minsanté déchira le lourd silence de cathédrale qui s’était emparé de la petite enceinte du Tcs lorsque le président Mokouri déclara l’accusé coupable.
« Je voudrais dire au peuple camerounais, clamera Olanguena, que je ne lui ai rien pris, ni tenté de prendre quoi que ce soit. La devise de l’Inde qui est un peuple millénaire stipule que la vérité triomphe toujours. Je croyais, poursuivra-t-il, être devant la justice. Je me suis expliqué et j’ai apporté toutes les preuves de mon innocence au service du Cameroun à qui je n’ai rien pris. Vous me déclarez coupable. Je n’ai aucun commentaire à faire sur la motivation de votre décision. Je croyais être devant la justice, je suis devant l’injustice aujourd’hui. Je demande aux miens de rester calmes. Vous m’avez jugé, et à votre tour, c’est Dieu qui vous jugera ». Rappelons qu’Olanguena Awono avait été interpelé le 31 mars 2008, inculpé et écroué quelques jours plus tard à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé dans la cadre d’un mandat de détention provisoire.