Un rapport explosif vient mettre en lumière les irrégularités persistantes à la tête du Fonds National de l'Emploi. Depuis 35 ans, Camille Moute A Bidias occupe un poste de directeur général, défiant systématiquement les textes juridiques qui régissent la fonction publique camerounaise. Cette situation, qui perdure depuis plus de 14 ans après l'expiration légale de son mandat, soulève des questions cruciales sur la gouvernance institutionnelle, le respect de l'État de droit et les mécanismes de contrôle au plus haut niveau de l'État camerounais.
Tribune ANALYSE DE LA SITUATION JURIDIQUE DE MONSIEUR CAMILLE MOUTE A BIDIAS A LA DIRECTION GENERALE DU FONDS NATIONAL DE L'EMPLOI (FNE) DEPUIS 35 ANS…Par Eithel Aurélien EYE'E, Consultant en droit social, gestion des ressources humaines et management
I. CONTEXTE JURIDIQUE
Le Fonds National de l'Emploi (FNE) est un établissement public administratif créé par le Décret n°90/805 du 27 avril 1990, récemment réorganisé par le Décret n°2023/368 du 28 août 2023. Monsieur Camille MOUTE A BIDIAS a été nommé Directeur Général par Décret n°91/311 du 5 juillet 1991.
II. ANALYSE DU CADRE LEGAL APPLICABLE ET CALCUL DE LA FIN DU MANDAT
A. Calcul de la durée légale maximale
• Date de nomination initiale : 5 juillet 1991.
• Application de la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic :
o Délai de mise en conformité : jusqu'au 22 décembre 2000 (article 112) ;
o Premier mandat de 3 ans : 2000-2003 ;
o Second mandat de 3 ans : 2003-2006 ;
o Troisième et dernier mandat de 3 ans : 2006-2009.
• Date de fin du dernier mandat légal : 22 décembre 2009.
B. Évolution du cadre juridique violé
1. Violations de la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic
• Article 68 : limitation du mandat à "trois (3) ans renouvelable deux (2) fois" ;
• Article 112 (1) : non-respect du délai d'un an pour se conformer aux dispositions.
2. Violations de la loi n°2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements publics
• Article 36 (1) et (3) : dépassement de la limite de "neuf (09) ans" de mandats cumulés.
III. RESPONSABILITES ET VIOLATIONS PAR PARTIE PRENANTE
A. Le Directeur Général
Violations :
• Article 17 du décret n°2019/320 précisant les modalités d'application de certaines dispositions des lois n° 2017/010 et 2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements publics et des entreprises publiques : non-information des autorités sur la situation de son mandat ;
• Article 36 de la loi n°2017/010 portant statut général des établissements publics : exercice de fonctions au-delà de la durée légale maximale.
B. Le Ministre de tutelle technique (le Ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle)
Violations :
• Article 3 du décret n°2019/320 : défaut de veille "au suivi des mandats des dirigeants" ;
• Article 44 du décret n°2019/320 : non-application des dispositions réglementaires.
C. Le Conseil d'Administration
Violations :
• Article 3 du décret n°2019/320 : non-respect de son rôle de contrôle de conformité.
• Article 23 du décret n°2019/320 : non-prise des "mesures conservatoires nécessaires" en cas de vacance.
IV. CONSEQUENCES JURIDIQUES SPECIFIQUES
A. Sur les actes de gestion
1. Nullité des actes
• Nullité potentielle des actes pris après le 22 décembre 2009.
2. Responsabilité civile
En vertu de l'article 1382 du code civil, Monsieur MOUTE A BIDIAS peut voir sa responsabilité civile personnelle engagée pour :
• Les dommages causés aux tiers du fait des actes posés sans mandat valide depuis le 22 décembre 2009 ;
• L'obligation de réparer l'intégralité des préjudices causés par son maintien illégal en fonction.
3. Responsabilité pénale
3.1 Qualification pénale des faits
En sa qualité de fonctionnaire au sens de l'article 131 du Code pénal, Monsieur MOUTE A BIDIAS est passible de poursuites pour :
• usurpation de fonctions (article 216 du Code pénal) ;
• continuation illégale d'exercice des fonctions après la fin du mandat légal.
3.2 Sanctions pénales encourues
• Peines principales
o Emprisonnement de trois (03) mois à deux (02) ans conformément à l'article 216 (2) du Code pénal ;
o Application possible de la circonstance aggravante de l'article 89 du Code pénal, doublant le maximum de la peine, soit quatre (04) ans d'emprisonnement.
• Peines accessoires
• Possibilité de déchéances prévues à l'article 30 du Code pénal, conformément à l'article 216 (3) ;
• En cas d'infractions additionnelles commises pendant cette période d'usurpation, application des peines prévues pour les fonctionnaires selon l'article 216 (4).
B. Sur la responsabilité des organes de contrôle
1. Le Ministère de tutelle (le Ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle)
• Manquement à l'obligation de contrôle (article 3 du décret n°2019/320) ;
• Non-application des mesures correctives prévues par l'article 112 de la loi n°99/016.
2. Le Conseil d'Administration
• Défaut de contrôle de conformité statutaire ;
• Non-respect des obligations de l'article 23 du décret n°2019/320.
V. RECOMMANDATIONS DETAILLEES
A. Mesures immédiates
1. Constatation officielle de la vacance du poste depuis le 22 décembre 2009
2. Application de l'article 23 du décret n°2019/320
• Mise en place de mesures conservatoires par le Conseil d'Administration ;
• Organisation de la continuité du service.
B. Mesures de régularisation
1. Nomination d'un nouveau Directeur Général conformément à :
• Article 36 de la loi n°2017/010 ;
• Article 23 du décret n°2023/368.
C. Mesures préventives
1. Mise en place d'un système de suivi des mandats
2. Renforcement du contrôle par :
• Le Ministre de tutelle technique (le Ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle) ;
• Le Conseil d'Administration.
3. Établissement d'une procédure claire de transition à l'approche de la fin des mandats.
CONCLUSION
Cette situation d'irrégularité perdurant depuis le 22 décembre 2009 nécessite une intervention urgente des autorités compétentes pour rétablir la légalité dans la gouvernance du Fonds National de l'Emploi.
Dans ce contexte, trois questions cruciales se posent au Président de la République du Cameroun :
1. Question de l'État de droit : Le maintien de Monsieur MOUTE A BIDIAS à ce poste pendant plus de 14 ans après l'expiration légale de son mandat soulève une question fondamentale : comment justifier cette situation qui contrevient manifestement aux lois n°99/016 et n°2017/010, que le Président a lui-même promulguées ?
2. Question de la gouvernance publique : Comment expliquer que le pouvoir exécutif, dont le Président est le chef, n'ait pas assuré la rotation normale des dirigeants d'établissements publics comme prévu par les textes ? Cela interroge sur l'effectivité des mécanismes de contrôle et de gouvernance au plus haut niveau de l'État.
3. Question de responsabilité institutionnelle : Étant donné que seul le Président a le pouvoir de nomination des directeurs généraux des établissements publics (par décret présidentiel), pourquoi n'a-t-il pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin à cette situation manifestement illégale, malgré les différentes lois et réformes intervenues depuis 2009 ?
Cette analyse révèle une situation où le Président de la République du Cameroun, garant constitutionnel du respect des lois, se trouve dans une position paradoxale : celle d'avoir laissé perdurer une situation en contradiction avec les textes qu'il a lui-même promulgués. Cela soulève des questions importantes sur l'exercice effectif du pouvoir et le respect de la hiérarchie des normes au Cameroun.