Actualités of Thursday, 20 July 2017
Source: lepoint.fr
Ce 16 septembre 2014, le colonel Mboutou flâne dans les magasins de luxe de l'avenue de Montaigne, lorsqu'il est soudain contacté par Elizabeth C., responsable des ventes de la société MagForce, spécialisée dans l'équipement militaire.
« Merci de me dire si je peux passer avant 18 heures », lui écrit-elle. Quelques minutes plus tard, le voilà sous le porche du très chic hôtel de la Tremoille, accueillant la commerciale de ses bras grands ouverts, sous l'objectif des policiers de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), en planque un peu plus loin.
Une enveloppe à la main, Elizabeth C. disparait dans l'hôtel, bientôt suivi du dignitaire africain. Une scène parmi d'autres observées depuis des semaines par les enquêteurs. Car le Colonel Mboutou est une de leur cible privilégiée dans une enquête ouverte par le parquet de Paris pour « corruption d'agent public étrangers ». Jusqu'en février 2016, l'homme était en effet chef du secrétariat adjoint auprès du ministère de la défense du Cameroun, Alain Mebe Ngo'o. Il était à ce titre en charge de la coordination militaire et des marchés d'habillement de l'armée. Pour obtenir un contrat, c'est donc lui qu'il faut flatter.
Depuis des années, le Colonel Mboutou est choyé. Robert Franchitti, officiellement à la tête de MagForce, truste en effet 80% du marché de la fête nationale du Cameroun.
Chaque année, le ministère passe pour 8 à 10 millions d'euros de commande d'uniformes et de vêtement de tout genre. Ne reste plus à Franchitti qu’à arroser les intermédiaires pour s'assurer de leur fidélité. Pour ne pas trop attirer l'attention et pour « simuler des mises en concurrence », selon un policier, les marchés sont parfois conclus aux noms de sociétés domiciliées à l'étranger comme Join China, T2M ou Vanko, tous pilotés en sous-main par le patron de Mag Force.
En 2014, la justice siffle la fin de la récré. Plusieurs dirigeants de MagForce sont arrêtés et mis en examen pour corruption d'agents publics étrangers. Le colonel Mboutou, lui, ne sera interpellé qu'en avril 2016 lors d'un séjour à Paris. Interrogé par les policiers, il reconnait avoir reçu quelques enveloppes de cash mais jure qu'il s'agissait de son "propre argent" laissé en dépôt à Franchitti. Lors de ses périples dans la capitale, ce dernier a pris l'habitude de lui envoyer son homme à tout faire, "un certain Roger", chargé de lui redistribuer quelques billets pour rendre ses séjours agréables...
Une version mise à mal par les aveux dudit Roger qui, avant de se rétracter, avait confié aux enquêteurs; "Joel Mboutou s'est vu remettre la somme de 704 000 euros dont 400 000 euros en espèces. Cela concerne l'année 2014. Ces espèces lui ont été remises tout au long de l'année écoulée par des enveloppes d'argent données à l'occasion de ses voyages en France (...). Les montants étaient environ 20.000 à 30.000 euros. Je me rappelle d'ailleurs que la dernière fois ou je me suis rendu à la Trémoile, Joel Mbioutou était en train de prendre son petit-déjeuner. J'ai été surpris car il n'a pas pris la peine de m’offrir un café ».
1,3 million d'euros virés vers une société écran
Loin de s'arrêter à ces quelques-éboulements, le Col Mboutou sait aussi se faire plaisir. Tracfin, le gendarme de Bercy a ainsi remonté la trace de flux financiers suspects émanant d'une société dénommée Cogital, dirigée par un chauffeur de bus, embauché par la ville de Levaliois-Perret! Entre janvier et septembre 2015, Cogital a ainsi perçu deux virements provenant de la Direction du trésor du Cameroun et de la société nationale des hydrocarbures à hauteur de 1,3 millions d'euros, correspondant à des achats de 5000 "tenues camouflées" et des vêtements pour l'état major des sapeurs-pompiers.
Les recettes de la vente ont ensuite été ventilées vers les sociétés qui fournissaient le matériel, dont MoagForce Belgique, une filiale du groupe français, dirigée par l'homme d'affaire François Gontier. Cogitel a gardé une commission d'intermédiaire de plus de 34 000 euros, qu'elle a instantanément virée sur un compte bancaire au Cameroun.
Le chauffeur de Levallois-Perret quant à lui n'a touché que quelques milliers d'euros.. Joel Mboutou a-t-il imposé ces partenaires commerciaux Cogital comme intermédiaire, afin de toucher une commission de plusieurs centaines de milliers d'euros au Cameroun? "Jamais", a-t-il juré en garde à vue, assurant n'avoir agi que par amitié pour le chauffeur de bus de Levallois, vieille connaissance de famille.
Meubles Roméo et costumes de luxe
Toujours est-il que le fameux chauffeur de bus a payé de nombreux cadeaux de luxe à son ami le colonel Mboutou: "il est vrai que lorsque je venais en France, je bénéficiais de quelques largesses de la part du Monsieur, notamment l'achat d'effets vestimentaires chez Vuitton, et dans la boutique Pape, pour me remercier. Mais, il n'y avait rien d’établi, pas de conditions" a reconnu le Colonel devant la police.
Le dignitaire africain s'est également fait livrer quelques caisses de champagne par François Gontier et ne résisterait jamais à la galerie Roméo, où il a acheté pour plus de 40.000 euros de meubles de salon pour faire plaisir à une amie. Là encore, le colonel n'avait pas réglé la douloureuse facture: c'est une société hongkongaise, faux nez de MagForce à l'étranger qui s'en était chargée...
Contacté par le Point.fr, le colonel n'avait pas répondu à nos sollicitations à l'heure de publication de cet article. Sur les 57.621 euros dépensés, en son nom chez Louis Vuitton en 2013, le dirigeant africain avait peiné à trouver des explications crédibles aux yeux de la police: « Oui, je fais beaucoup d'achats, principalement chez Louis Vuitton. Les cas à mains de mes épouses [en] représentent la grande partie ».