Dans une tribune intitulée «Faut-il abandonner Vincent Bolloré ?» et parue dans Le Monde de ce mercredi 2 mai 2018, l’éditorialiste camerounaise oppose une posture cinglante au milliardaire français qui avait publié le 29 avril dans Le Journal du Dimanche une tribune dont le titre était «Faut-il abandonner l’Afrique?».
«Il aurait mieux fait de se taire», débute Marie-Roger Biloa (MRB) avec sa verve bien connue, rappelant que les ennuis judiciaires de Vincent Bolloré se répercutent dans «un thé'tre d’embrouilles franco-françaises, avec des têtes d’affiche bien françaises se déployant sur un territoire réduit au rôle de simple décor, de terrain de jeu – l’Afrique».
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Elle poursuit : «On connaissait déjà la propension de ce groupe aux innombrables ramifications à se glorifier de sa présence sur un continent qu’il viendrait «aider» et à claironner les sommes apparemment faramineuses investies pour le faire, soit 4 milliards d’euros sur plusieurs décennies. Il convient juste de rapporter ce «sacrifice» au profit (officiel) empoché par le groupe : 2,5 milliards d’euros sur une seule année (2017)».
Le péché de Camrail à Eséka
«En termes d’emplois créés, l’affichage des « 30 000 familles» qu’il ferait vivre pourrait paradoxalement laisser à désirer, puisque le groupe contrôle, seul ou en association, 37 ports maritimes dans 46 pays, sur un continent dont la quasi-totalité (92 %) de l’export-import transite par la mer. En comparaison, Orange, l’opérateur de téléphonie, qui engrange également un pactole en Afrique, y a créé 20 000 emplois, et G4S, société britannique de services de sécurité, pas moins de 124 000», fait-elle encore observer.
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Évoquant les équipements ferroviaires de la Camrail sur la sellette après le déraillement d’Eseka en octobre 2016, MRB convoque cette analyse de Jacques Dupuy-Dauby, ancien associé déçu de Bolloré : «Il n’est pas dans les habitudes de M. Bolloré de mettre du matériel neuf quand il peut mettre du matériel rafistolé». Au contraire, ajoute-t-elle, des «tarifs exorbitants, voire monstrueux, sont pratiqués notamment sur la manutention et le transit. Les transitaires de Douala s’en plaignent en vain depuis des années. En attendant, c’est le consommateur de base qui en paie le prix».
Un prix fort visiblement, puisque l’homme d’affaires français a construit de redoutables réseaux. «Depuis les temps douloureux de sa saignée démographique et minière contre de la pacotille, reprend MRB, depuis que ses ressources sont exploitées au profit de tous sauf d’elle-même, il a souvent suffi de gratifier une poignée de dirigeants de babioles dérisoires pour déshériter des nations. Lorsque, pour couronner le tout, « l’investisseur » sait invoquer « l’amitié » ou « l’amour de l’Afrique » ou apporter une simple photo agrandie de la dernière-née du puissant ministre, ce dernier peut signer des contrats disproportionnés, mettant de l’affectif là où ses interlocuteurs étrangers ne voient que leur profit».
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Trop cher bouquet Canal
Point par point, la fondatrice du Groupe média Africa International démonte le bûcher des vanités allumé par M. Bolloré, traitant cette fois de «quelques salles de cinéma remplissant la même fonction de colifichets utiles à un groupe qui a investi avec succès l’audiovisuel subsaharien à travers Canal + et s’est lancé dans la production d’images pour son nouveau public. C’est en Afrique que ce bouquet connaît une fulgurante croissance, permettant de remettre à flot sa souche française en perte de vitesse».
Puis la tribune interroge : «Vincent Bolloré songe à « abandonner l’Afrique » ? Simple question rhétorique : 80 % des bénéfices de son groupe en dépendent. Si l’Afrique sent le soufre, c’est bien parce que des Vincent Bolloré viennent s’y affranchir de toutes les règles en vigueur dans le monde « normal » et s’accommodent de pratiques pernicieuses, préjudiciables à un développement réel. Et lorsque la loi les rattrape, ils ont tôt fait de désigner la coupable : l’Afrique !»
Marie-Roger Biloa conclut sur une mise en garde dont l’écho va certainement résonner au-delà de cette passe d’armes: «Gare aux effets imprévisibles des systèmes de prédation impitoyables sur une jeunesse exaspérée, prête à toutes les rébellions. «Vincent Tout-Puissant», il ne fallait pas commencer !»