Actualités of Friday, 24 March 2017

Source: Quotidien de l'Economie

Voici comment le RDPC a verrouillé le pouvoir pendant 32 ans

Des militantes du RDPC, Archives Des militantes du RDPC, Archives

Biya a assurément raison d’invoquer la longévité de son pouvoir devant le patronat italien. Rome est une ville antique, « la ville éternelle », disent les plus lyriques, qui a une histoire de joutes politiciennes et tribuniciennes et de luttes de pouvoir. C’est à Rome que la trahison politique a été romancée et sublimée. Machiavel, dont on dit qu’il inspire le prince d’Etoudi, est bien l’Italien de la Renaissance qui a théorisé l’ambition politique et le cynisme de la conservation du pouvoir.

C’était donc le lieu, au milieu de cette ville sainte qui alterne l’inamovibilité papale et l’instabilité du conseil italien, de vanter les mérites de la longévité. L’effet était garanti : rires et applaudissements ont fusé dans la salle. Paul Biya n’aurait sans doute pas suscité pareille réaction bienveillante ailleurs en Occident. En effet, les 32 ans de pouvoir du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) sont présentés comme une preuve de succès durable et certainement de performance politique et électorale.

C’est une domination outrageuse qui a traversé les époques et les crises pour présenter le RDPC en seule alternative de lui-même, au milieu d’une classe politique qui semble avoir renoncé. Certes, le parti au pouvoir a moulé l’environnement politique en sa faveur, refait les lois pour lui et éliminé toutes les velléités de contestation de son ascendant. Pour ce faire, il s’est accommodé du suffrage universel qu’il a apprivoisé au fil du temps à la recherche de quelque légitimité, mais il a aussi beaucoup rusé ses contempteurs et abusé de sa position dominante.

Le règne du papy boomers

Aujourd’hui, même si le RDPC n’a que 32 ans, ceux qui tiennent le pouvoir sont au moins deux fois plus vieux. Là où la relève aurait dû se préparer avec la montée des jeunes loups, on assiste à une consolidation du pouvoir des caciques, en direction d’une gérontocratie assumée et revendiquée. C’est aujourd’hui une génération sans partage qui règne, celle des papy boomers, c’est-à-dire ceux qui ont fait l’école gratuite, ont eu des bourses d’études à l’université et à l’étranger, ont été recrutés dans la Fonction publique dès leur retour au Cameroun et ont reçu très tôt des postes de pouvoir avant d’hériter du pouvoir suprême.

C’est une génération qui ne sait pas payer ses factures d’eau ou d’électricité, n’a jamais loué de maison, ne paie le salaire ni de ses chauffeurs, ni des cuisiniers, ni de sa sécurité. A la fin de leur cycle, les papy boomers s’accrochent et s’activent à construire ses derniers moments de gloire et de protéger leur héritage. C’est bien ce qui est ressorti de la réunion des groupes parlementaires du RDPC au Sénat et à l’Assemblée nationale. Les héritiers d’Ahidjo, qui ont déjà peur du fantôme de leur mentor, redoutent, à leur propre image, ce que leur préparent leurs héritiers putatifs. Car à la vérité, ils n’ont pas de dauphins, pas de successeurs préparés.

Leur boulimie du pouvoir et leur désir d’éternité a fini par se nourrir de leurs propres enfants politiques, jetés à la vindicte populaire comme victimes sacrificielles et exutoires d’une espérance populaire insatisfaite.


Un maillage du pouvoir


Le système est si bien huilé qu’il peut fonctionner sans le pilote, Paul Biya, en visite d’Etat en Italie. Jean Nkuete garde bien la maison, lui qui pense que le règne, la puissance et la gloire n’appartiennent qu’à son président national. Marcel Niat et Cavaye Yeguie Djibril sont reconduits au perchoir, quand la chronique médiatique annonçait quelques chamboulements pour répondre au contexte. Avec ces deux-là, le RDPC, qui les a investis, tient ferme la barre du pouvoir législatif.

Niat Njifenji est l’un des leurs depuis toujours, et sa période d’éclipse entre 2001 et 2013 n’en a pas fait un homme différent. Vice-premier ministre, ministre, directeur général, député ou maire, il est le profil-type d’un homme du système. A 82 ans, il sait que servir Paul Biya, c’est se servir lui-même. Sous lui, la navette parlementaire restera une navette. A ses côtés, pour compléter cette mainmise législative, Cavaye Yeguié Djibril qui doit son parcours à une cooptation.

Mais depuis 1992, il est un pilier du système RDPC et ses 25 dernières années de vie lui ont permis de démontrer fidélité et loyauté. A 77 ans, il est davantage travaillé par ce que Paul Biya pense de lui que de l’image qu’il laissera à la postérité. Le pouvoir judiciaire est sous le contrôle de celui qui n’aimait pas la politique, mais développe une vocation tardive et explosive : Laurent Esso. Catapulté chef de la délégation permanente du RDPC dans la Région du Littoral, celui qui n’a jamais été élu veille sur les sections des quatre départements de son regard de prédateur à sang froid.

Mais il est plus utile quand il maîtrise la justice, ce pouvoir si puissant qu’il peut faire tomber un exécutif. Laurent Esso a aidé à mettre les trublions hors d’état de nuire. C’est ainsi qu’il « assainira » la cour suprême en décembre 2014 avec le départ du premier président, Alexis Dipanda Mouelle et la mise au placard de quelques magistrats soupçonnés « d’indépendance ». Notamment, Laurent Esso a neutralisé le fameux vrai faux G11, dont il a orchestré et mis en musique la sortie des couloirs du pouvoir. A 75 ans, ce monstre froid a des dossiers sur tout le monde, même sur ceux qui se croient à l’abri. C’est une arme pour le groupe des gérontocrates, logée au cœur du système judiciaire.


Le RDPC, socle de la confiscation du pouvoir


La tirelire de cette génération de papy boomers n’est pas logée au Trésor public, qui fait trop de bruits et l’objet de trop de contrôle. Elle est placée sous le regard d’Adolphe Moudiki, administrateur directeur général de la SNH, société dont les avoirs sont mouvementés depuis Etoudi, comme en témoigne l’affaire de l’achat manqué d’un avion présidentiel. Adolphe Moudiki est lui-même magistrat, ancien ministre aujourd’hui âgé de 79 ans. Son prédécesseur disait n’en référer qu’à Paul Biya, lui ne le dit mais n’en pense pas moins.

La défense et la sécurité sont aussi entre les mains des « frères d’âge ». Martin Mbarga Nguele (85 ans) et le chef d’Etat-major des armées, le général de division René Claude Meka, sont de faction. L’un ouvre grand ses oreilles et ses yeux pour tout voir et entendre, l’autre marche la baïonnette bien en évidence. Cette architecture de conservation et de la distribution des privilèges s’est affinée au fil des ans, le parti ayant servi à consolider des positions au sein de la génération attrape-tout.

En effet, le RDPC c’est leur machine, leur machin. Paul Biya, son fondateur, en use à souhait. Il le taxe de « parti de gouvernement proche du pouvoir » ou de « parti d’états-majors », mais c’est son cheval qui le transporte depuis 32 ans de conquêtes en victoires. Il est de plus en plus évident qu’il y a un agenda, qui ne veut souffrir d’aucune contingence quelle qu’elle soit. La génération des caciques analyse les soubresauts actuels dans les Régions anglophones comme une tentative de coup de force et n’entend n’y apporter aucune réponse qui compromette son équilibre actuel.

Niat Njifenji et Cavaye Yeguie resteront au perchoir du Sénat et de l’Assemblée nationale. Les anglophones sont priés d’attendre. En fin de parcours, nos papys cherchent l’assurance tous risques, celle qui préservera leurs intérêts et gardera leur honneur. Tant qu’ils n’auront pas une réponse sûre, ils résisteront à quitter la scène.