Alors que la mort de Mgr Jean-Marie Bala, évêque émérite de Bafia, continue de nourrir les tensions entre l’Église et l’État au Cameroun, certains de ses collaborateurs ont entrepris d’éditer ses écrits. Ainsi, le père Jean-Aimé Mballa, curé de la cathédrale de Bafia, a décidé de publier une homélie de Mgr Bala pour le Vendredi saint 2011 qu’il considère comme un plaidoyer pour la non-violence. Dans cette homélie, Mgr Bala rappelle que malgré la violence qu’il a subie, Jésus n’a jamais été violent. Il est plutôt resté profondément humain et a mis en pratique ce qu’il enseignait?: l’amour du prochain, le pardon, la prière. Ces moyens que le Christ met en œuvre, sont « la meilleure voie par laquelle (ses) disciples pourraient contribuer à la promotion d’une vraie culture de douceur et de paix », commentait-il. C’est par « l’esprit d’amour et de sacrifice » que prône la parole de Dieu qu’il a vaincu la violence, a-t-il continué. Citant l’encyclique Verbum Domini du pape Benoît XVI, il a invité les fidèles s’appuyer sur la force prophétique de la parole de Dieu quand les paroles ou les gestes humains sont empreints de violence. Pour le père Mballa, cette homélie est un testament que Mgr Bala leur a laissé.
Cathédrale de Bafia (*)
Ce matin, j’étais en visite pastorale à la prison de Bafia. Celle-ci est bondée d’enfants et de jeunes. En nous y rendant, nous avons vu, en cours de la route, un attroupement de personnes, des spectateurs d’une bagarre opposant deux petits enfants d’environ dix ans. Avec beaucoup de peine, une maman s’évertuait à les séparer, peut-être à la déception du groupe de spectateurs qui, sans doute, souhaitaient voir durer le spectacle.
À la prison, il m’a été présenté le cas d’un petit enfant qui, il y a quelques semaines, a donné la mort à un de ses camarades, à Bokito, à la suite d’une dispute au sujet d’une clé USB. Le petit assassin,… pour faire entendre raison à l’autre, avait couru chez lui chercher un tournevis qu’il était revenu planter dans la tempe de son camarade qui en est mort. Notre société bouillonne de violence. Partout, elle brise les relations, disloque les familles et les communautés humaines, étouffe le bonheur, détruit la vie, anéantit l’homme. Ne proviendrait-elle pas quelquefois aussi de nous, au moins en tant que complices??
Cette violence n’est pas que physique, elle est également verbale et se manifeste dans la parole, la parole qui porte des accusations mensongères et propage de faux témoignages, la parole qui condamne injustement et cause du tort à l’innocent, la parole qui humilie l’autre par l’insulte ou la diatribe?; la parole qui calomnie, dénigre et détruit l’honneur de l’autre?; la parole de Kongossa (1)?! Cette parole-là est bel et bien de la violence, la violence dont nous sommes les auteurs, les complices, ou les victimes. Le monde et nos divers milieux de vie en sont finalement beaucoup trop marqués.
Le récit de la Passion… montre que le Christ, bien que Fils de Dieu, a subi les affres terribles de cette violence, dans son corps et dans son cœur. Dans son cœur?: rappelons-nous ses paroles à Gethsémani avant son arrestation?: « Mon âme est triste à en mourir » (Mt 26, 38)?; et dans son corps?: rappelons-nous aussi son invitation à Thomas après la Résurrection?: « regarde mes mains…, mets ton doigt dans mon côté » (Jn 20, 27). Jésus s’était laissé humilier et défigurer par la violence. Mais, pourquoi s’est-il ainsi laissé faire volontairement?: « Ma vie, nul ne me la prend, c’est moi-même qui la donne » (Jn 10, 18)?? Pourquoi a-t-il refusé le combat que les apôtres ont voulu engager pour le défendre?? Pourquoi a-t-il ordonné à Pierre de ranger son épée?? Pourquoi a-t-il refusé le combat que ses apôtres ont voulu engager pour le défendre?? Pourquoi a-t-il ordonné à Pierre de ranger son épée?? Pourquoi a-t-il guéri son adversaire à qui Pierre avait tranché l’oreille?? Pourquoi a-t-il pardonné ses bourreaux?? Pourquoi est-il resté profondément humain, aussi bien envers ses disciples qu’envers ses adversaires?? Pourquoi a-t-il passé sa vie à faire le bien au bénéfice des justes et des pécheurs, des bons et des méchants??
La réponse à ces questions se trouve dans les paroles de Jésus, à la fin de l’Évangile du lavement des pieds?: « Comprenez-vous ce que je viens de faire?? (…) C’est un exemple, que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13, 12.15). Comment comprendre ce témoignage d’amour de Jésus surtout face à la violence, à l’injustice et à l’adversité qu’il a rencontrées durant sa vie, et tout au long de sa passion qui l’a conduit à la mort sur la croix??
Dans ses relations avec les hommes, Jésus a montré en actes qu’il était le Prince de la paix, le Maître doux et humble de cœur, le Roi humble et pacifique?; il a accepté de subir la violence pour mieux triompher. Il n’a pas voulu combattre la violence par la violence, car, « qui tue par l’épée, périra par l’épée ». Plutôt que de verser le sang des autres, coupables ou innocents, il a choisi de ne pas résister aux méchants ni aux provocateurs, tel qu’il avait fait la recommandation à ses disciples. Avec insistance, l’Apôtre Paul conseillera cette attitude aux Romains?: « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais soit vainqueur du mal par le bien » (Rm 12, 21) C’est de cette manière que Jésus a procédé pour vaincre la violence de ses adversaires et offrir le salut aux hommes.
Par son exemple, il a montré que « Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il abandonne son mal et se convertisse ». Il faut combattre la violence, la méchanceté et l’injustice sans éliminer les auteurs. Le Royaume de Dieu, le règne de justice, ne s’établit pas au moyen de la brutalité ou de la violence, comme s’il s’agissait d’une royauté de ce monde. Et Jésus le dit bien?: « Si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux juifs » (Jn 18, 36). Il montrait ainsi que le Royaume de Dieu s’établit plutôt par l’action et la force de l’amour. Dieu est amour. Voilà pourquoi, se laissant faire face à ses bourreaux, il s’en remet uniquement à son Père, à Dieu?: « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit ». Savons-nous nous remettre à Dieu quand la violence, l’adversité, l’injustice ou l’oppression nous écrasent??
Ce que Jésus a enseigné, il le vit lui-même. Il avait ordonné à ses disciples de pardonner toujours, de pardonner soixante-dix-sept fois… Lui-même pardonne à ses bourreaux?; Il prie pour eux?: « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Il applique la consigne donnée à ses disciples?: aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent » (Mt 5, 44). C’est la solution évangélique pour arrêter les escalades de violences. C’est la meilleure voie par laquelle les disciples du Christ pourraient contribuer à la promotion d’une vraie culture de douceur et de paix.
Ce que Jésus enseigne en définitive, par sa parole et par son exemple de vie, et que nous devons retenir, c’est l’esprit d’amour et de sacrifice, comme moyens efficaces pour combattre la méchanceté, la violence et l’injustice. Sans l’esprit d’amour et de sacrifice, la méchanceté, la violence et l’injustice continueront à imposer leur diktat à travers le monde, dans nos communautés et nos familles.
Il est illusoire, même quand il s’agit de l’Onu et des grandes puissances mondiales, de penser qu’on peut imposer la paix, la concorde, le progrès, les droits de l’homme ou la démocratie par le recours à la force et à la violence. Il faut l’esprit d’amour et de sacrifice que le croyant cultive en retrouvant régulièrement le Christ dans la Parole de Dieu.
C’est la Parole de Dieu qui éduque vraiment à l’esprit d’amour et de sacrifice. C’est elle qui peut aider à réaliser de manière durable la réconciliation, la paix, le respect mutuel, la communion, l’union des cœurs. Voilà pourquoi le Saint-Père, le pape Benoît XVI, nous adresse les conseils suivants sur la Parole de Dieu et sur l’amour?: « N’oublions jamais que là où les paroles humaines deviennent impuissantes?; parce que domine le fracas tragique de la violence et des armes, la force prophétique?! de la Parole de Dieu est présente et nous répète que la paix est possible, et que nous devons être des instruments de réconciliation et de paix » (VD, n. 102) (2).
« L’engagement pour la justice, la réconciliation et la paix, continue le pape, trouve sa racine ultime et son accomplissement dans l’amour qui nous a été révélé dans le Christ. (…). Celui qui veut s’affranchir de l’amour se prépare à s’affranchir de l’homme. (…). J’encourage donc tous les fidèles, continue le pape, à méditer fréquemment l’hymne à la charité de l’Apôtre Paul?: “l’amour prend patience?; l’amour rend service?; l’amour ne jalouse pas?; il ne se vante, ne gonfle pas d’orgueil?; il ne fait rien de malhonnête?; il ne cherche pas son intérêt?; il ne s’emporte pas?; il n’entretient pas de rancune?; il ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais trouve sa joie dans ce qui est vrai?; il supporte tout, il endure tout” (Co 13, 4-8) » (VD, n. 103) (3).
Peuple de Dieu, Bien-aimés du Christ, puisse la mort du Christ nous décider tous à haïr et à combattre la violence chaque jour et partout?; que l’esprit d’amour et de sacrifice, puisé dans l’hymne de la charité, éclaire notre combat quotidien contre la violence?; et que l’exemple de sacrifice du Christ soutienne nos efforts de promotion d’une authentique culture de la douceur et la paix. Le Christ nous donnera d’avoir part à sa Résurrection.