En 1990, Célestin Monga était un jeune banquier inconnu du public. Il fut révélé le 27 décembre par une lettre ouverte virulente qu’il a adressée au président de la République Paul Biya. La lettre critique la gestion du Cameroun par Paul Biya et dénonce l’arrogance du président de la République qui prétendait avoir apporter la démocratie au peuple du Cameroun.
Le siège du journal Le Messager qui avait diffusé la note fut prise d’assaut par les forces de l’ordre. Son directeur de publication ainsi que Célestin Monga, l’auteur de la lettre sont poursuivis pour plusieurs infractions dont l’outrage au chef de l’Etat Paul Biya. Plusieurs Camerounais se sont mobilisés pour exiger l’arrêt des poursuites contre les deux infortunés. Dos au mur la justice camerounaise a finalement déclaré non coupables d’outrage au chef de l’Etat, Célestin Monga et Pius Njawé. Ce fut la première défaite judiciaire infligée par un Camerounais à Paul Biya. CamerounWeb vous propose quelques extraits de l’ouvrage "Au Cameroun de Paul Biya" qui retrace le courage et l’audace de Célestin Monga et Pius Njawé face au régime de Paul Biya.
Le 27 décembre, le journal privé Le Messager, installé à Douala, a publié une lettre ouverte, adressée à Biya et écrite par un jeune banquier, Célestin Monga, qui a mis le feu aux poudres :
« Monsieur le Président, comme beaucoup de Camerounais, j’ai été choqué par le ton outrageusement condescendant, paternaliste et prétentieux que vous avez employé à l’Assemblée nationale le 3 décembre pour vous adresser au peuple. Comment pouvez-vous vous permettre de dire à 11 millions de Camerounais : “Je vous ai amenés à la démocratie...” dans ce pays où tous les jours les droits les plus élémentaires de l’homme sont bafoués, où la majorité des gens n’ont pas de quoi vivre alors qu’une petite poignée d’arrivistes se partage impunément les richesses du pays ?
De quelle démocratie parlez-vous avec tant d’emphase ? (...) Quel est cet “État de droit” où n’importe quel obscur policier peut se permettre d’enlever qui il veut, sans avoir de comptes à rendre à personne ? Êtes¬ vous réellement fier de ce Cameroun où le pouvoir judiciaire est à la botte du pouvoir exécutif ? Êtes¬ vous fier en tant que Premier magistrat du pays, de la justice camerounaise actuelle qui condamne en priorité ceux qui n’ont pas su corrompre le tribunal ? (...) »
Moins de deux heures après la sortie en kiosque du journal, la police a saisi les stocks mis en vente. « Dans les rues, les crieurs sont séquestrés tandis que les lecteurs se voient arrachés des mains leurs exemplaires, sans la moindre explication. Dans la même nuit à Douala, les locaux du journal sont investis par la police qui y reste jusqu’au lendemain; tous les employés sont interpellés »,a raconté plus tard Pius Njawé, le fondateur et directeur du Messager. Monga a été arrêté au petit matin du 1 er janvier. Quelques heures plus tôt, Biya avait pourtant, dans son discours de fin d’année, de nouveau affirmé qu’il était possible au Cameroun d’exprimer son opinion sans crainte d’être inquiété.
Un comité demandant la libération de Monga s’est formé aussitôt. Sous pression, le gouvernement a fait libérer Monga après l’avoir gardé à vue pendant 48 heures. Tout comme Njawé, il a tout de même été inculpé par citation directe « d’outrage au président de la République, aux cours et tribunaux et aux membres de l’Assemblée nationale ». Avant le procès des deux hommes, prévu le 10 janvier, nombreux sont ceux qui se sont mobilisés pour demander leur relaxe : parmi eux, des jour nalistes, des artistes, un collectif d’une centaine d’avocats constitué pour assurer leur défense et des organisations internationales de défense des droits de l’homme et de la liberté de la presse.
Le chanteur Lapiro, alors extrêmement populaire, distri buait lui-même des tracts appelant les Camerounais à se rassembler devant le palais de justice de Douala où devait se dérouler le procès. Des marches pacifiques ont été organisées, avec des slogans de plus en plus politiques: certains demandaient une « Conférence nationale souveraine » comme celle qui se tenait alors au Bénin. Comme lors de « l’affaire Yondo Black », le camp présidentiel a mobilisé lui aussi ses troupes: le RDPC a multiplié réunions et meetings pour soutenir les autorités. Les effectifs des forces de sécurité ont été renforcés à Douala. Leurs éléments sillonnaient « les quartiers tous les soirs à partir de 18 heures, interpellant les passants, fouillant les véhicules et procédant même à des arrestations. Des hélicoptères des forces aériennes survol(ai)ent à très basse altitude et à fréquences régulières le palais de justice et les quartiers populaires de la ville, lançant des bombes lacrymogènes pour disperser tout attroupe ment »,a témoigné Njawé .
Lors des trois audiences du procès, les ambassades des États-Unis, de France, de Grande-Bretagne et d’Allemagne ont envoyé des représentants pour assister aux débats, tandis que des milliers de personnes se sont rassemblées autour du tribunal, côtoyant un important dispositif policier.
La pression a payé : Njawé et Monga ont été condamnés le 18 janvier à six mois d’emprisonnement avec sursis et à 300 000 FCFA d’amende chacun, et le tribunal les a déclarés non coupables d’outrage au président.