Les destinataires légaux de ce montant, qui ne sont autres que des commerçants camerounais, courent après leur compatriote Léon Emmanuel Messi Messi, mandaté pour recouvrer auprès de la compagnie aérienne éthiopienne leur argent qu’il n’a pas restitué. Soupçonnant les autorités judiciaires et sécuritaires du Littoral de complaisance vis-à-vis du mis en cause, les victimes saisissent le ministre de la Justice pour arbitrage.
Le jeudi 21 septembre dernier, une chasse à l’homme a failli virer au drame au quartier Bonanjo, dans le centre administratif de Douala. Alors que des commerçants et des gendarmes étaient mobilisés devant le portail de cette institution judiciaire, munis de deux mandats d’arrêt émis contre le nommé Léon Emmanuel Messi Messi, ce dernier, réalisant qu’il était pris en filature, en est sorti en trombes à bord de sa propre voiture, un Prado 2022 de couleur rouge, et s’est engagé dans un rallye, froissant des véhicules à son passage et manquant même de percuter des personnes, à en croire des témoins. Il s’en est suivi une course poursuite, mieux une chasse à l’homme à travers des artères de ce quartier administratif.
Le reporter du Jour a vu les images du Prado froissé et garé dans l’enceinte de l’Emi-émigration, où le fugitif avait finalement trouvé refuge sous la protection d’agents de police en service à la délégation régionale de la Sûreté du Littoral. Les policiers s’opposent d’abord à l’arrestation de sieur Messi Messi avant de le mettre par la suite à la disposition des éléments de la brigade de recherches de Bonanjo, après que son « passe-droit » a été mis à nu et que des doutes ont été émis sur ses activités pour le moins suspectes. Le délégué régional de la police apprend alors que celui qui jusque-là avait bénéficié de ses faveurs et de sa protection en se faisant passer auprès de certaines autorités de la ville (y compris des magistrats !), tantôt pour un « haut commis de l’Etat », tantôt pour un « ingénieur informaticien », et en déliant sans doute aussi les cordons de la bourse, n’est en réalité qu’un imposteur. D’ailleurs la veille, mercredi 20, le commandant de la brigade de recherches de Bonanjo l’avait également réalisé à ses dépens. Lui qui avait mobilisé une escouade de gendarmes pour assurer la protection du « haut commis de l’Etat » contre des commerçants que le mis en cause qualifiait de « terroristes », alors que ces derniers s’attelaient tout simplement à le localiser dans le cadre des plaintes déposées contre leur « escroc ».
Affaire Ethiopian Airlines et Etat d’Ethiopie
Ce même jeudi, après quelques heures d’audition par la gendarmerie, Léon Emmanuel Messi Messi a été libéré le même vendredi aux environs de 2h du matin, apprend-on à bonne source, pour des raisons qui étonnent plus d’un de ses contradicteurs, étant donné que deux plaintes ont été initiées contre lui dans une affaire pendante aux relents d’escroquerie. Enquêtes et recoupements faits, il apparaît que Léon Emmanuel Messi Messi n’est autre qu’un « habitué des services éthiopiens », autrement dit un Camerounais qui, au cours de son séjour en Ethiopie, ces dernières années, a fréquenté assidument les services diplomatiques du Cameroun à Addis-Abeba, dans la capitale éthiopienne. C’est pendant ce séjour qu’il fait la connaissance d’un de ses compatriotes du nom de Edouard Tégakou. Ce dernier est alors en détresse, un contentieux l’opposant à la justice éthiopienne.
En effet, en mars 1997, Edouard Tégakou est interpellé à l’aéroport international BOLE d’Addis Abeba, alors qu’il s’apprête à embarquer pour la Chine, après une courte escale dans la capitale éthiopienne. Au moment de son arrestation, il est en possession d’une somme d’1. 478. 366.000F CFA appartenant à des commerçants domiciliés à Douala. La somme a été collectionnée par plusieurs commerçants et remise à leur compatriote afin qu’il effectue des achats de marchandises en Chine. Edouard Tégakou, qui n’entend pas retourner au bercail sans les sommes confisquées, bénéficiera du soutien financier et logistique de ses collègues du marché Anatole tout au long de la procédure judiciaire.
Le 23 juin de la même année, tout juste trois mois après, le Tpi fédéral de Lideda rend une décision donnant gain de cause au Camerounais Edouard Tégakou et ordonnant la restitution de ses avoirs confisqués par la Douane éthiopienne. Celle-ci se trouve ainsi déboutée de ses prétentions, de même que la compagnie étatique Ethiopian Airlines, elle aussi constituée partie civile. C’est dans le contexte de recouvrement difficile de ces sommes plus les dommages et intérêts que Edouard Tégakou fait la connaissance, dans les couloirs de l’ambassade camerounaise à Addis-Abeba, de Léon Emmanuel Messi Messi. Lequel propose de lui venir en aide dans la procédure de recouvrement. Pour ce faire, Messi Messi exige et obtient de sieur Tégakou un mandat de représentation. Entretemps, Edouard Tégakou est victime d’une agression suspecte qui lui coûtera la vie en territoire éthiopien, dans des circonstances non élucidées.
2 milliards recouvrés et non reversés aux commerçants
Retourné au Cameroun après les obsèques de son partenaire d’affaires, Messi Messi obtient auprès du nommé Victorien Kuetche, désigné administrateur du défunt, un second mandat, « spécial » celui-là, « à l’effet, dans le cadre de l’affaire de feu Tégakou Edouard contre l’Etat éthiopien, d’engager en mon nom ès qualité d’administrateur des biens de la succession de feu Tégakou Edouard et pour toutes transactions ou démarches administratives et judiciaires devant permettre la résolution de ce litige avec l’Etat éthiopien ; signer en mon nom ès qualité d’administrateur des biens de la succession de feu Tégakou Edouard et tous documents, Pv, actes portant transaction ou tous protocoles d’accord relatifs à ce dossier ; percevoir pour mon compte (…) toute somme d’argent payée par l’Etat éthiopien au titre de la transaction intervenue ».
Du reste, c’est sur la base de ces documents, y compris le mandat du 10 août 2022 délivré à Messi Messi par le collectif des commerçants, que « l’ingénieur informatique » obtient du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo, en mai 2023, l’exéquatur pour exécuter la décision de la justice éthiopienne. La somme de 2 milliards 164 millions 902 mille 249 FCFA est saisie dans les caisses d’Ethiopian Airlines en procédure de recouvrement forcé, avec la diligence de maître Guy Efon, huissier de justice à Douala.
Une fois en possession dudit montant, Léon Emmanuel Messi Messi ne restituera l’argent ni à l’administrateur des biens de la succession Edouard Tégakou comme convenu, ni même aux commerçants à qui cet argent revient de droit. Ces derniers apprennent alors que le mandataire se serait rapproché plutôt de l’ex-femme de feu Tégakou, pourtant en procédure de divorce et en séparation de corps avec son mari depuis seize ans, d’après des sources proches de cette affaire. Messi Messi aurait remis à la dame une somme d’environ 400 millions de francs CFA et aurait désintéressé également deux enfants de cette dernière. Ces faits et bien d’autres sont exposés dans la « requête aux fins d’intervention valant plainte», datée du 25 septembre, que le collectif des commerçants a rédigée à l’attention du ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Laurent Esso.
Sidérés par l’attitude complaisante et pour le moins suspecte des autorités judiciaires et sécuritaires de la région du Littoral à l’égard du principal accusé dans cette affaire, les commerçants n’ont eu d’autre choix que de se référer à la haute hiérarchie judiciaire pour intervention. Surtout qu’à ce jour aucune enquête n’a été ouverte pour faire la lumière sur le décès d’Edouard Tégakou, ni au Cameroun, ni en Ethiopie. Cette affaire pourrait par ailleurs ouvrir un nouveau contentieux diplomatique entre Yaoundé et Addis-Abeba.