Dans une lettre ouverte à Mgr Julio Murat, le père Ludovic Lado dresse un tableau des réalités auxquelles il pourrait être confronté dans ses missions au Cameroun.
Corruption, achat des consciences, carriérisme dans le clergé sont autant de pratiques décriées par le jésuite, qui recommande de la prudence à l’agent diplomatique du Vatican.
Cher Mgr Julio Murat,
« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » (Mc 11, 9). Je me donne cette peine justement parce que j’ose croire que vous venez au Cameroun au nom du Seigneur. Je vous souhaite la bienvenue dans mon beau pays le Cameroun, ce pays béni à tout point de vue par Dieu, mais que la malice humaine a transformé en vallée de larmes.
Vous arrivez dans un pays qui traverse de sales moments et je me donne de la peine de vous écrire pour vous mettre en garde contre les pièges dans lesquels sont tombés vos deux prédécesseurs : Mgr Eliseo Antonio Ariotti (2003-2010) et Mgr Piero Pioppo (2010-2017). J’aurais pu vous envoyer secrètement la présente lettre mais puisque je me demande depuis peu à quoi servent les nonces apostoliques en Afrique, les enjeux me semblent ecclésiaux. Les pièges auxquels vous êtes exposé au Cameroun se trouvent aussi bien dans les milieux politiques que dans les cercles ecclésiaux.
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Commençons par les milieux politiques. Vous êtes nonce apostolique, c’est-à-dire diplomate du Vatican accrédité auprès de l’Etat du Cameroun. Mais je vous préviens que le régime auquel vous avez affaire au Cameroun est atypique. Au Cameroun, nous avons l’habitude de dire, « Le Cameroun c’est le Cameroun ». Vous avez affaire à un régime corrompu jusqu’aux os, l’un des plus corrompus du monde.
Au Cameroun, dans les milieux politiques, vous avez affaire à des loups vêtus. « Et cela n’est pas étonnant, puisque Satan lui-même se déguise en ange de lumière» (2 Cor 11, 14). Ils tenteront de vous mettre à l’aise par tous les moyens. Ce n’est pas innocent. L’argent et les biens matériels sont leurs plus grands appâts. Mais c’est l’argent volé au peuple, c’est l’argent des pauvres. Certains dignitaires du régime voudront bien vous transformer en leur aumônier domestique. Mais ayez la sagesse de les renvoyer à leurs pasteurs locaux. Surtout, méfiez-vous de leurs cadeaux, car ils ont pour seul but d’acheter votre conscience.
Vous arrivez dans un pays où le régime en place a préféré la violence au dialogue et s’est engagé dans une guerre inutile dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pour réprimer la révolte anglophone. Encore une fois, méfiez-vous de ce régime. Comme on dit au Cameroun, « Il ne donne pas le lait », ce qui signifie en substance qu’il est machiavélique. Ils sont prêts à tout pour se maintenir au pouvoir.
La démocratie, pour eux, n’est qu’un vain mot. Votre baptême de feu dans l’enfumage sera le défilé du 20 mai 2018 qui tombe providentiellement le dimanche de pentecôte, mais ne vous fiez pas aux apparences. C’est une coquille éthiquement vide.
Les pièges des milieux ecclésiaux sont encore plus subtils. Vous arrivez dans un pays où les évêques ont peur depuis l’assassinat sauvage de Mgr Jean-Marie Benoît Bala et la mascarade judiciaire qui a suivi cette tragédie inédite.
Votre prédécesseur vous l’a certainement dit. Le régime que vous avez en face de vous a refusé de faire la vérité sur cette affaire, et ce n’est pas le premier cas d’assassinat d’un membre du clergé non élucidé. La liste macabre est longue et je pourrais bien être le prochain sur la liste pour avoir écrit cette lettre.
Il y a juste quelques jours, on a tiré une balle dans la chambre de l’archevêque de Douala, par ailleurs président de la Conférence épiscopale nationale. Tout cela participe des stratégies d’intimidation à l’approche des élections générales qui n’auront rien de démocratique. Je ne vous apprends rien en disant que les évêques et les prêtres savent que vous êtes les yeux et les oreilles du Vatican au Cameroun, alors méfiez-vous des ambitieux. Vos deux prédécesseurs sont tombés dans les pièges de quelques évêques qui ne doivent leur nomination qu’à l’art de la flatterie et de la flagornerie. Comme vous ne connaissez pas les réalités locales, vous êtes à la merci des flatteurs, une autre catégorie de loups vêtus, aveuglés par le carriérisme ecclésiastique.
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Méfiez-vous surtout des membres du clergé qui, comme moi, on fait de longues études, et qui, souvent, se croient destinés à la promotion ecclésiastique, comme si l’intellectualisme théologique prédisposait à la sainteté. C’est une mauvaise race pour l’Eglise! Je le répète, ne tombez pas dans le piège des prêtres diplômés ambitieux, surtout de ceux qui parlent bien. Aussi, vous arrivez dans une église locale qui a une longue histoire de clivages ethniques qui plombent la cohésion au sein de l’épiscopat.
Ne vous fiez pas aux apparences, car certains d’entre eux profitent des largesses du régime en place et ne prendront aucun risque pour les brebis menacées par les loups au pouvoir. Oui, « Le Cameroun c’est le Cameroun», même dans l’Eglise. Vous arrivez dans une église où la plus grosse tentation de l’épiscopat est l’embourgeoisement, avec un train de vie qui rime avec grosses voitures et de grands palais. Enfin, vous arrivez dans une église où le laïcat a démissionné de sa mission dans la société où il est censé être le « sel de la terre » et la « lumière du monde », au point qu’on ne sait plus faire la différence entre un chrétien et un non-chrétien dans la vie publique. C’est pour cela que le Cameroun va mal.
Vous rencontrerez un certain nombre de Catholiques qui sont riches non pas du fait de leur travail mais parce qu’ils puisent dans les caisses de l’Etat. Vous les trouverez particulièrement généreux à l’égard de l’Eglise, mais vous êtes averti, ce n’est pas leur argent, mais celui des pauvres qu’ils ont volé. Ne vous laissez pas embrigader par les milieux politiques de Yaoundé, mais sortez et allez à la découverte du Cameroun. Vous ne regretterez pas.
Bref, Mgr Julio Murat, vous arrivez dans un Cameroun malade, dans une église malade où les belles liturgies ne sont souvent qu’un cache-sexe! De vous ne dépend pas la guérison de ce pays et de cette église, mais de Dieu seul. J’ai voulu seulement attirer votre attention sur les pièges auxquels vous êtes exposés dans ce beau pays qu’est le Cameroun et que certains ont surnommé Afrique en miniature, du fait de la richesse de sa diversité géographique, humaine, artistique et culturelle. Ne ratez surtout pas ses délices culinaires !
Vous pouvez compter sur mes humbles prières pour votre mission difficile dans un pays qui traverse des moments très difficiles.