En Afrique, l'image de la trisomie 21 est celle de l'échec, de la douleur et d'un quotidien insupportable. Entre séquestration, abandon et stigmatisation, certains parents sont très vite découragés. Yolande Épée a souhaité lutter contre les idées reçues à travers le quotidien de son fils de 3 ans, dont elle s'occupe seule avec amour et attention. En 2021, elle crée l'association Triso&Vie, la première au Cameroun dédiée aux droits des personnes trisomiques.
La trisomie 21 n’est pas une fatalité ! Et ce n’est pas Yolande et Nathanaël qui vous diront le contraire.
Comme tous les matins, c'est la course contre la montre mais toujours dans la bonne humeur. Yolande Épée prépare son fils en 45 minutes avant l'arrivée du bus scolaire. La maman a autonomisé Nathanaël et s’est adaptée à son handicap.
« J'ai souscrit à la cantine pour qu'il se socialise. J'ai fait le deuil de l'enfant 'normal'. J'ai un petit garçon qui n'entend pas, qui ne réagit pas au son donc j'utilise des signes pour communiquer avec lui. En revanche, il sait me dire lorsqu'il veut manger » explique Yolande.
Trisomie 21, parfois appelée le syndrome de Down
À sa naissance, Nathanaël était un bébé bien portant, mais très vite, sa mère a remarqué qu’il n’interagissait pas. À 6 mois, son fils ne parvient pas à s'asseoir. Quand, à 3 ans, Yolande constate des problèmes de motricité chez son enfant, elle décide de l’emmener voir des spécialistes. Le diagnostic tombe : Nathanaël est porteur de trisomie 21.Les cellules d’un corps humain comptent normalement 46 chromosomes exceptées, celles d’une personne atteinte de trisomie 21 qui va en posséder, 47. En raison d'une anomalie génétique, le chromosome 21 en possède trois, au lieu de deux chromosomes.
Le syndrome de Down a des répercussions : entre autres un retard du développement physique et mental de l’enfant, des malformations du cœur, des détresses respiratoires ou encore des troubles neurosensoriels. Les effets de la maladie sont variables d'une personne à une autre.
En matière de déficience intellectuelle d’origine génétique, la trisomie 21 est la cause la plus répandue.
Au diable les idées reçues
En plus de la trisomie 21, Nathanaël est atteint de surdité congénitale. Malgré sa détermination à répondre aux besoins spécifiques de son fils, Yolande dit avoir fait face à la stigmatisation, parfois même de la part de personnes proches.« Beaucoup d’amis, des connaissances m’ont tourné le dos. Il y en a qui m’ont dit de le mettre au bord de la rivière, il va partir. Qu’il va me faire trop dépenser, que je vais souffrir avec lui. De m’en débarrasser en quelque sorte… » nous confie-t-elle.
Si elle a fait le choix de garder son enfant, Yolande qui travaille dans l’hôtellerie, doit assumer des charges financières élevées. Sur sa liste de dépenses non exhaustive, on retrouve des médicaments pour stimuler la croissance et le cerveau de Nathanel. Des séances de kinésithérapie et d’orthophonie mais également les frais de l’école privée où elle a décidé d’inscrire son fils.
Si aujourd’hui le quotidien du duo est bien rodé, les choses n’ont pas été simples au début.
« Je ne vais pas vous mentir, les premières années, je passais beaucoup de temps à l’école. Je discutais avec la maitresse, j’appelais à tout moment. J’arrivais par surprise pour voir si mon fils était bien traité ».
Une école inclusive pour Nathanaël
Nathanaël est scolarisé dans une école inclusive, avec deux classes adaptées qui accueillent les enfants porteurs de différents handicaps. En dehors des cours, le petit garçon participe à toutes les activités périscolaires avec les autres enfants. Il est même la star du rassemblement du matin.Dans cette classe spéciale, Nathanaël suit un apprentissage axé sur le développement de la mémoire et de la motricité. Écriture, coloriage, musique et éveil physique : un programme adapté au handicap de chaque enfant.
« Il faut répéter parce qu’ils ont un problème de mémorisation. Ils oublient facilement. Mais en même temps quand c’est installé dans la tête, cela reste indéfiniment. Donc il faut être patient. Il faut leur enseigner avec beaucoup d’amour et de patience. Parce que là, quand ils se sentent aimés, encadrés, ils obéissent de plus en plus » indique la maîtresse de français, Rachel Esther Hyong.
En à peine deux années, l’évolution de Nathanaël a été fulgurante. Même si, le Cameroun compte 68 écoles primaires inclusives selon l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), les enseignants souhaitent voir plus d’établissements inclusifs dans le pays.
« Une école spécialisée seulement pour eux, c’est un problème. Pourquoi ? Parce qu’ils ne s’habituent pas aux autres qui sont différents d’eux. Quand ils se frottent aux autres positivement ils apprennent beaucoup.
L’objectif c’est qu’à la fin, ils puissent être utiles même à la maison. Et pouvoir faire quelque chose de leur vie. Et si possible, pourquoi pas parler à la longue, parce qu’on a des enfants ici qui ont fini par parler » assure la maîtresse de français, Rachel Esther Hyong.
Résiliente !
Yolande a tenu à retourner là où tout a commencé, un matin de mars 2020, alors qu’elle emmenait son fils pour ce qu’elle pensait être un simple problème de motricité.« Les médecins ont vu l’état de Nathanaël et puis ils ont compris que je n’étais pas au courant [de son état de santé]. Alors ils m’avaient donné ce jour-là un journal. À l’intérieur, il y avait des images qui ont beaucoup attiré mon attention parce que ces images étaient similaires au faciès de mon enfant. Je refusais de réaliser ce que j’étais en train de voir, de faire des comparaisons, (…). Les médecins m’ont fait comprendre que mon fils a un retard de croissance, de motricité parce qu’il est porteur de trisomie 21 » raconte Yolande.
Serge Lin Babilama est psychomotricien. C’est lui qui a eu la lourde tâche d’annoncer ce diagnostic qu’il estime tardif, puisque Nathanaël avait déjà 3 ans. Le principe de précaution n’était pas forcément de mise.
« Parfois, le médecin peut se donner un délai d’observation, attendre 6 mois, attendre un an que le faciès se confirme et que l’on soit certain » déclare le psychomotricien, chef de l’unité de réeducation du centre mère et enfant de la fondation Chantal Biya, Babilama Lin Serge.
Pendant la grossesse, la trisomie 21 peut être détectée au cours d’une échographie, lors d’analyses sanguins ou par amniocentèse. Pendant les premiers mois de vie du bébé, certains signaux doivent alerter les parents.
« La motricité est assez faible. À 6 mois, il ne va pas s’assoir. À 1 an, il peut même ne pas s’assoir. À partir de 3 mois, si l’enfant ne tient pas le cou, c’est un signe d’alerte et il faut aller consulter.
S’il y a des troubles associés comme des cardiopathies, il pourrait arriver que de temps en temps, le teint de l’enfant change. Il peut devenir bleu autour de 6 mois. Régulièrement il est grippé. Régulièrement, il y a une bronchite qui vient. C’est pour ça qu’il faut associer un suivi de pédiatre constant » poursuit le professionnel de santé.
Pour Yolande, l’annonce fut un choc.
« J’avais juste le visage baissé et les larmes qui coulaient de mon visage. Je ne voyais pas comment faire pour vivre avec un enfant trisomique. Est-ce qu’il va marcher ? Est-ce qu’il va parler ? J’avais toutes ces questions... Qu’est-ce que les gens vont penser de moi ? » se remémora-t-elle.
Les mois qui ont suivi le diagnostic furent une épreuve tant sur le plan émotionnel que physique.
« Je me suis abandonnée, je ne prenais plus soin de moi. J’étais amoindrie. J’étais fatiguée, j’avais des cernes… Pendant une longue période, je n’arrivais pas à porter mon enfant. Je n’arrivais pas à regarder mon enfant dans les yeux. Je n’arrivais pas à faire tout ce qu’une maman devrait faire. Tellement je pleurais, un matin, mon fils m’a vu faire, il a enlevé son vêtement pour m’essuyer le visage »
« Il était la seule personne que j’avais et moi la seule personne qu’il avait. C’est comme ça que j’ai décidé de me battre pour lui. Je n’avais pas le droit de le lâcher ».
Face à l'absence de structure uniquement dédiée aux personnes atteintes de trisomie 21 au Cameroun, Yolande Épée a décidé d'y remédier à son échelle.
Créée en août 2020, l’association Triso&Vie prend en charge ce public et mène des campagnes de sensibilisation contre les préjugés envers les personnes souffrant de cette maladie génétique.
« Cet espace est réservé aux enfants. On a des jouets, on a de la pâte à modeler pour travailler la motricité. On a également des jouets d’éveil de ce côté. Les places assises et l’autre petit bureau pour recevoir nos convives. On essaye comme on peut de passer du temps entre nous pour le partage d’expérience, pour s’accompagner mutuellement (…) » détaille la fondatrice de l’association, Yolande Épée.
Triso&Vie accueille à ce jour 372 enfants trisomiques sur tout le territoire national. Yolande collabore également avec d’autres associations pour l’insertion professionnelle des plus grands, comme Aude-Michelle. Au centre CAF Espoir, les jeunes se forment à l’artisanat, l’agriculture, l’élevage, la menuiserie ou encore à la musicothérapie.
Franchesse porteuse de Trisomie 21 a 16 ans. Ici elle s’est découvert un talent pour la création d’accessoires de mode et d’éléments de décoration.
« J’ai fait des nappes de table. J’ai fait des sacs à dos, j’ai fait le grand bouquet de fleurs, en vert, rouge et blanc là » développe l’adolescente.
Rien que ne peut pas réaliser une personne souffrant de Trisomie 21 appuie Yolande « oui les enfants Trisomiques peuvent faire ça. Moi-même je n’en suis pas capable (rire).
Franchesse ne va pas dépendre de sa maman tout le temps. On pourra à l’avenir lui ouvrir une boutique peut-être où elle peut vendre ses propres articles. (On va peut-être) Juste l’accompagner pour qu’elle ne soit pas dupée. On devrait les encourager. Au lieu d’acheter dans une boutique, l’idéal serait de se rapprocher vers ces centres par exemple pour acheter »
Chaque mois, l’association rend également visite aux familles pour suivre les progrès des enfants et accompagner les parents en difficulté. Carole a intégré Triso&Vie alors qu’elle était épuisée physiquement et mentalement. Elle venait de perdre son travail car son fils Yohan, atteint d’une cardiopathie congénitale et de graves problèmes respiratoires était constamment malade.
« J’étais tellement frustrée par le rejet déjà de son père. Parce que pas assez de moyens, je le sollicitais pour qu’il me vienne en aide. Les remèdes, l’hospitalisation, j’étais à bout parce que ça ne blague pas dans nos hôpitaux. J’étais à bout. La famille même était épuisée (…) » confie Carole Eba, maman de Yohann 8 ans, atteint de Trisomie 21.
Entre les contrôles médicaux réguliers, l'accès à une éducation inclusive, l'intégration par le travail mais aussi le soutien psychologique pour les parents, les objectifs sont nombreux pour les personnes trisomiques. Mais parvenir à casser les préjugés sur la trisomie 21, est sans doute la mission la plus urgente.