Dans un entretien révélateur accordé à Dieudonné Essomba dans l'émission L'ARÈNE diffusée sur Canal 2, Philippe Tagne Noubissi, Président Directeur Général de Dovv, a livré un témoignage saisissant sur les débuts modestes de son entreprise aujourd'hui florissante. Ce récit entrepreneurial bouscule certaines idées reçues sur l'emploi et le développement économique au Cameroun.
Une critique du concept d'emploi "décent" dans un contexte de chômage
"Souvent je suis mal à l'aise qu'au lieu de parler des emplois, on parle des emplois décents alors qu'il n'y a pas d'emploi", a déclaré d'emblée le chef d'entreprise, pointant du doigt ce qu'il considère comme un paradoxe dans le discours économique actuel. Cette remarque liminaire a servi de tremplin à un récit personnel qui illustre sa philosophie entrepreneuriale pragmatique.
Le PDG a ensuite dévoilé les conditions de démarrage particulièrement difficiles de son entreprise, révélant que ses premiers employés percevaient un salaire mensuel de 18 000 FCFA, une somme bien en-deçà du salaire minimum camerounais. "Quand j'ai ouvert Dovv Mokolo, mes premiers employés ont été payés 18 000 FCFA le mois", a-t-il confié, précisant immédiatement que cette décision n'avait pas été imposée mais proposée par les employés eux-mêmes.
Dans un moment de grande vulnérabilité entrepreneuriale, alors que l'entreprise peinait à démarrer malgré les sacrifices personnels considérables du fondateur, ce sont les employés qui ont proposé cette solution. "Quand ils ont vu que j'avais vendu tous mes biens, que ça ne démarrait pas et que j'avais commencé à dire 'toi rentre à la maison', ils ont dit : patron même pour rien on va travailler", raconte Philippe Tagne Noubissi avec émotion.
Face à l'alternative du chômage ou d'un salaire modeste, ces premiers collaborateurs ont fait le pari de l'avenir, permettant ainsi le lancement effectif de l'entreprise. "Et on s'est débrouillé avec ce qu'on avait. On a lancé", poursuit le PDG, soulignant la détermination collective qui a caractérisé cette phase initiale.
De salariés précaires à actionnaires
Le point culminant de ce témoignage réside dans la transformation radicale du statut de ces premiers employés au fil des années. "Aujourd'hui ces gens-là sont tous entrés dans le capital de Dovv. Ils sont devenus actionnaires", révèle fièrement le patron, illustrant ainsi un modèle de réussite partagée qui tranche avec les pratiques habituelles.
Cette évolution spectaculaire - de travailleurs percevant un salaire minimal à propriétaires partiels de l'entreprise - constitue non seulement une récompense de leur loyauté initiale, mais aussi une philosophie d'entreprise qui privilégie le partage des fruits de la croissance.
Le témoignage de Philippe Tagne Noubissi soulève des questions fondamentales sur les approches du développement économique et de la création d'emplois au Cameroun. Dans un contexte où le chômage demeure élevé, particulièrement chez les jeunes, son expérience suggère qu'une flexibilité initiale sur les conditions salariales peut, dans certains cas, permettre l'émergence d'entreprises viables qui créeront ultérieurement davantage de richesse partagée.
Cependant, cette approche ne manquera pas de susciter des débats sur la précarisation potentielle des travailleurs et la nécessité de protections sociales minimales. Les défenseurs des droits des travailleurs pourraient y voir une justification de pratiques salariales abusives, tandis que les entrepreneurs y reconnaîtront peut-être une réalité économique incontournable dans certains contextes de démarrage d'entreprise.
Au-delà du débat sur les conditions salariales, l'histoire de Dovv et de ses premiers employés illustre une leçon de persévérance collective face à l'adversité. Elle témoigne également de l'importance d'une vision partagée du succès à long terme, où les sacrifices initiaux peuvent être compensés par une participation ultérieure aux bénéfices de l'entreprise.