Dans son ouvrage « Au Cameroun de Paul Biya », l’écrivaine française Fanny Pigeaud explique comment le président de la République gouverne le Cameroun avec la politique de l’ « illusion ».
Conscient que la plupart des Camerounais ne lui accordent aucun crédit, le RDPC joue cependant à entretenir l’illusion de sa légitimité et de celle du chef de l’État. En décalage avec la réputation de « roi fainéant » de Biya, les caciques de son parti et les membres du gouvernement veillent à cultiver le mythe d’un président qui travaille en permanence et toujours pour le bien-être de ses concitoyens. Fin juillet 2010, lors d’une conférence de presse télévisée, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement Issa Tchiroma Bakary a ainsi déclaré à un journaliste demandant où se trouvait Biya, alors absent du pays depuis deux semaines : « Le président est au travail. Il est quelque part de par le monde en train de défendre les couleurs de la nation, en train de faire en sorte que prospère cette nation. Partout où il est, à chaque instant, le chef de l’État est au travail. (...) Retenez ceci : H24 (sic) le président de la République est au travail et il est au service de sa nation. »
Le journaliste insistant pour avoir plus de précisions, le ministre, qui n’avait visiblement pas d’informations lui-même, ne s’est cependant pas départi de son assurance et a répondu sèchement : « Je ne vous dirai pas où il se trouve. (...) Tout à l’heure, on parlait de coup d’État, je ne sais pas quelles sont vos intentions, si je vous dis où il est, peut-être que vous allez..., je ne sais pas de quel bord vous êtes... Ma mission, c’est aussi de protéger le chef de l’État, je ne vous dirai pas. »
Le RDPC continue aussi à véhiculer l’idée que Biya a permis le retour du multipartisme et qu’il l’a fait de sa propre initiative, et non sous la pression de la rue. Le président « est un visionnaire », expliquait en 2010 un haut responsable du parti, expliquant que « grâce à lui le multipartisme est de nouveau en vigueur ».
« Nous avons commencé à libéraliser notre vie politique depuis 1985, avant que le vent de l’Est ne se lève », avait lui-même affirmé Biya en juillet 1990. De la même manière, Ahidjo parlait de « parti unifié » à propos de l’UNC au lieu de « parti unique », essayant ainsi de faire croire que son projet était le résultat d’une large adhésion. Après une tentative avortée de quelques opposants pour organiser un meeting le 23 février 2011 à Douala, un responsable du RDPC n’a pas eu peur de s’écarter de la réalité en déclarant : l’échec de la manifestation « démontre que d’abord la population de Douala est adulte, qu’elle ne veut plus jamais ce qui s’est passé en 2008. Et deuxièmement – vous l’avez vu – c’est l’adhésion totale, la compréhension de la politique menée par le président Paul Biya. »
Il omettait de préciser que le gouvernement avait déployé un très important dispositif sécuritaire pour empêcher la manifestation de se tenir et avait les jours précédents multiplié les mises en garde et menaces vis-à-vis de tous ceux qui s’aventureraient à s’exprimer dans la rue. La rhétorique d’un Cameroun, pays « de la sagesse » et « havre de paix », est aussi constamment utilisée : « Avec ses près de 200 ethnies, la pluralité de ses visages géographiques et culturels, la diversité des opinions politiques écloses à la faveur du vent de libéralisation du début des années 90, ce pays pourrait, a priori, réunir les éléments d’un cocktail explosif au plan sociopolitique », indique le site Internet de la présidence de la République. Or, selon lui, « le Cameroun affiche belle allure, et constitue, dans sa sous-région, un véritable havre de stabilité et de paix, un cas rarissime dans le continent africain.
Des concepts dont le chef de l’État a fait une préoccupation obsédante depuis son accession à la Magistrature Suprême du pays, le 6 novembre 1982 ». Le message contenu dans cette affirmation d’un « Cameroun de paix » est très clair : le pouvoir signifie par là aux Camerounais qu’il ne les laissera pas tenter de changer quoi que ce soit à l’ordre établi. « L’immense majorité de notre peuple aspire à la paix et à la stabilité. (...) Les Camerounais savent que le désordre ne peut apporter que malheur et misère. Nous ne le permettrons pas », a lui-même déclaré Biya pendant les émeutes de février 2008. Le concept de « démocratie apaisée »31, régulièrement invoqué depuis la Conférence tripartite, participe du même objectif.