Geneviève Sagno - BBC News Afrique
Marie, née Kadiatou, a été adoptée au Mali en 1989 alors qu’elle n’avait que 19 mois. Elle a grandi en France au sein d’une famille aimante, ignorant néanmoins tout de son histoire et de celle de ses parents biologiques.
Marie a 30 ans quand nait sa première fille. La jeune maman se sent prête à reconstituer le film de sa vie, espérant un jour être en mesure de raconter à sa fille ce qu’elle appelle ‘sa grande histoire’.
En consultant le dossier conservé par ses parents adoptifs, elle remarque des incohérences sur des aspects de son état-civil qu’elle tenait pour acquis. Elle commence alors à se poser des questions sur les conditions qui entourent son adoption.
Quel âge avait-t-elle réellement ? Quelle est sa date de naissance ? Est-elle vraiment née de père inconnu ? Quel est son véritable lieu de naissance ? Dans quelles circonstances s’est-elle vu confiée à une famille adoptive à des milliers de kilomètres du Mali, son pays de naissance ?
Cette quête de vérité mènera Marie à entamer une action en justice contre l’association Rayon de soleil de l’enfant étranger (RSEE) et une de leurs correspondantes. Huit autres adoptés maliens également membres du Collectif des adoptés français du Mali crée par Marie ont participé à l’action judiciaire. L'organisme d'adoption précise sur son site "Entre 1991 et 2001, nous avons accueilli en adoption environ 300 enfants" en provenance du Mali.
Aujourd’hui, Marie a deux enfants, deux filles, et se définit comme étant "100 % Française et 100 % d’origine malienne".
A 34 ans, elle continue de remuer ciel et terre pour trouver les pièces manquantes de son histoire et milite contre les adoptions illégales auprès de plusieurs collectifs dont Voices Against Illegal Adoption (VAIA).
VAIA est une coalition d’organisations militantes pour la reconnaissance des adoptions illégales à travers le monde et pour le droit à l’accès aux origines, qui mène actuellement une campagne de la société civile auprès des Nations-Unies.
Marie-Kadiatou m'a raconté son histoire, une histoire d’adoption, de filiation et de vérité.
*Ce récit est une version éditée et condensée de mes conversations avec Marie.
Ma filiation est la sienne
"A travers mon histoire, j’aimerais raconter l’histoire des adoptés du Mali. Même si chaque histoire a sa singularité. Il est important que les personnes adoptées du Mali parlent de leur propre voix. C’est nous qui sommes au centre de ces adoptions. D’autant plus qu’on ne parle pas suffisamment des adoptés du contient africain.Mes parents m’avaient dit qu’à 18 ans je pourrais aller au siège de l’association à Paris et qu’il y aurait un dossier dans lequel je trouverai des informations.
Juste après la naissance de ma fille, je me suis dit qu’il était temps et j’ai pensé :
‘Il faut que je puisse lui raconter mon histoire, il faut qu’elle connaisse la grande histoire et j’irai jusqu’au bout’.
Il y a l’histoire de mes frères et sœurs et de mes parents en France mais il y a aussi la grande histoire. C’est l’histoire de ma mère de naissance, de ma famille biologique et de mes origines.
Je savais qu’on lui poserait des questions auxquelles je n’avais pas su répondre et qui me mettaient mal à l’aise quand j’étais plus jeune comme ‘Tu viens d’où ?’.
Au collège et au lycée, j’en avais un peu marre qu’on me renvoie sans arrêt à mes origines car je ne connaissais pas mon histoire.
Et inconsciemment, je devais me dire ‘pourquoi j’aimerais un pays qui abandonne ses enfants ? Pourquoi avoir de l’intérêt pour un pays qui m’a vu naitre et qui n’a pas su me garder ?’. C’est la France qui m’avait accueillie et donc l’envie d’être la plus française des Français était là.
Mais j’avais besoin de lui raconter son histoire, ses origines africaines pour qu’elle comprenne d’où elle vient vraiment.
C’était à moi d’effectuer ce travail sans lui imposer la charge du passé. Je ne voulais pas qu’elle subisse quelque chose dont elle n’était pas responsable.
On avait à la maison une boite contenant des objets, des vêtements et un album photo de l’époque où je suis arrivée, avec notamment des photos de moi bébé au Mali. J’ai réalisé que ce serait la première fois que je rencontrerais quelqu’un qui me ressemble, une personne qui aurait peut-être les mêmes traits que moi. Pour moi c’était extraordinaire car lorsque je me regardais dans la glace, je ne ressemblais à personne.
A la naissance de ma fille, tout ça a commencé à me travailler de plus en plus. Je me suis dit :
‘Il faut que j’aille voir ce dossier’.
Quand on est dans la filiation, on se rend compte que nous-même, on a une filiation.
En tenant mon bébé de trois mois dans les bras, je me suis dit que je serai incapable de m’en séparer. Je me suis demandé ce qui s’était passé lorsque moi-même j’avais 18 mois. J’avais besoin de comprendre tout ça.
Que s’était-il passé dans la vie de ma maman de naissance pour qu’elle me confie à l’adoption ? Est-ce qu’elle y avait été obligée ?
Savoir pourquoi j’ai été adoptée
C’est cela qui a déclenché cette envie de connaitre pourquoi j’avais été adoptée.J’ai donc demandé à mes parents de m’envoyer les documents qu’ils avaient conservés.
J’ai vu qu’il y avait des incohérences, des éléments comme le prénom du père effacés au ‘blanco’ alors que je pensais être née de père inconnu, j’ai découvert un nom de famille que je ne connaissais pas, des lieux et des dates de naissance différents sur certains papiers. J’ai commencé à me poser des questions et à me dire que ça faisait trop d’éléments troubles.
Je suis donc allée voir l’association. Malheureusement, les réponses qu’ils m’ont données ne m’ont apporté aucune satisfaction.
J’ai rapidement su que le seul moyen d’avoir la vérité était d’aller au Mali. C’est cette soif de vérité qui m’a poussé à aller à la recherche de personnes qui ont pu connaitre ma mère "biologique" et qui pourraient me dire ce qui s’est passé. J’ai eu la chance d’avoir des parents "adoptifs" qui m’ont toujours soutenu dans mes démarches et qui m’ont encouragé à connaître cette vérité.
Aller au Mali, le seul moyen d’avoir la vérité
J’avais 31 ans quand j’ai atterri d’abord à Bamako avant de me rendre à Ségou. J’y allais surtout pour en savoir plus et comprendre ce qui s’était passé et découvrir mon pays d’origine, et si le destin me le permettait, pour rencontrer ma mère de naissance, mais je dois dire que je suis tombée en amour du pays.Je me souviendrais toujours m’être demandée en sortant de l’aéroport :
"Pourquoi je ne suis pas venue avant ?"
J’ai ressenti un sentiment de familier, une sensation de déjà-vu. La terre rouge. Les odeurs. Les couleurs. J’ai passé du temps avec les gens, j’ai marché dans les rues.
J’en garde un souvenir extraordinaire même s’il y a eu beaucoup d’émotions et d’informations à traiter, concernant notamment la période à laquelle j’ai été adoptée.
J’ai retrouvé des personnes qui m’avaient vu quand j’étais bébé, qui avaient connu ma mère et qui m’ont dit :
‘Qu’est-ce que tu lui ressembles’.
Lorsque je me suis rendue à la mairie de Ségou, j’ai découvert qu’en fait, mon acte de naissance était un faux. Je savais déjà que ma date de naissance n’était pas tout à fait exacte car ma mère "adoptive" m’avait toujours dit :
"L’association ne connaissaient pas ta date de naissance exacte. On nous a demandé de choisir une date dans un éventail de quelques mois".
Après mes recherches, je pense que j’avais plutôt deux ans lorsque j’ai été adoptée, pas 18 ou 19 mois. Mais je ne pensais pas que mon acte de naissance fourni par l’organisme autorisé pour l’adoption (OAA) et qui avait permis les démarches auprès des autorités française pour mon adoption en France était un faux document.
Reconnaissance des faits
Je suis revenue en Europe avec la conviction qu’il s’était passé des choses qui n’étaient pas tout à fait normales. Avec 8 autres adoptés du Mali qui ont tous à peu près la même histoire, on a décidé de déposer une plainte.Nous demandions une reconnaissance des faits et d’obtenir toutes informations liées à nos parents de naissance. Personnellement, j’ai besoin de comprendre pourquoi j’ai un acte de naissance qui est faux et de comprendre ce qui en découle, c’est-à-dire d’avoir été adoptée alors que mon acte de naissance est faux. Je voudrais aussi que la justice formalise ce que signifie de transformer une adoption protection en adoption plénière alors que l’adoption protection n'est pas l’équivalent en France. Les parents adoptifs sont également des victimes car leurs démarches d’adoption étaient de bonne foi. Les conséquences pour leurs familles ont parfois été très graves. Je tiens cependant à préciser que toutes les adoptions au Mali ne sont pas des adoptions illégales.
Pour certaines personnes c’est vital de retrouver ses origines. Quand on ne trouve pas, ça crée de la frustration, parfois du désespoir, certains se sont suicidés ou ont terminé en hôpital psychiatrique. D’autres ont fini dans la drogue. Cette carence identitaire les a détruits. Ils ne savaient pas qui ils étaient, ni quelle était leur place et n’ont pas réussi à donner un sens à leur histoire.
Pour moi, l’adoption doit rester l’ultime mesure de protection de l’enfance lorsqu’aucune autre solution fiable ne peut être trouvée pour l’enfant. Le système doit permettre d’offrir une famille à un enfant qui n’en n’a pas. Et non l’inverse.
Dans un monde idéal, il n’y aurait pas d’adoption car chaque enfant pourrait grandir auprès de sa famille en bénéficiant de ses droits fondamentaux.
Les mentalités ont du mal à évoluer et l’adoption ne peut plus être réduite à être considérée uniquement comme "une chance" pour les personnes adoptées. On entend souvent le terme "parcours du combattant" au sujet des adoptants. Ce n’est qu’une vision unilatérale de l’adoption. Il ne faut pas oublier que l’adoption c’est une triade (parents biologiques-parents adoptifs -personne adoptée). Chacune des parties a eu et aura son lot d’épreuves.
Les adoptés doivent connaitre leurs origines et savoir d’où ils viennent. Pour moi, c’est vital et c’est un droit fondamental.
Depuis que j’ai fait mon voyage de retour aux origines au Mali en janvier 2020, je me sens 100 % française et 100 % d’origine malienne.
Je suis partie à la découverte de mes origines mais finalement je me suis découverte moi-même à travers ce cheminement qui a duré 34 ans et qui continuera.
Le fait de grandir sans avoir les clés de son histoire, d’être habitée par cette quête identitaire, sans connaitre ses origines, son groupe ethnique, de vivre un quotidien où l’on nous pose toujours des questions sans avoir de réponses, de vivre parfois des expériences négatives (racisme, déracinement pour certains), tout cela n’est pas facile.
J’ai vu en Afrique de l’Ouest l’importance de la famille et du sentiment d’appartenance. La société africaine paraît moins individualiste mais a aussi ces faiblesses…
C’est cliché à dire mais c’est vrai : Il faut savoir d’où on vient pour savoir qui on est".
Deux recours en justice
Le 9 juin 2020, les neufs adoptés qui ont des histoires très similaires déposent une plainte première pour ‘escroquerie, recel d’escroquerie et abus de confiance’.Selon leur avocat, maitre Joseph Breham, l'ONG aurait fait croire à certaines familles adoptives "qu'il n'y avait qu'un seul enfant alors qu'en fait il y avait une fratrie, que les parents étaient décédés et pleins d’éléments différents pour convaincre les parents d’accepter".
Le recueil du consentement pour faire venir les enfants en France est un autre élément central de l’affaire entre le Mali et la France.
Il existe deux types d’adoptions au Mali. "C'était une adoption protection qui a été prononcée, qui est un type d'adoption spécifique au Mali et Rayons de Soleil de l'Enfance faisait croire que c'était une adoption plénière - donc une adoption totale qui peut être autorisée au Mali mais dans des cas très particuliers", précise à BBC Afrique Maitre Breham, avocat spécialiste de la défense des droits de l'homme.
En outre, le site du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères stipule que seuls "les enfants âgés de moins de cinq ans, abandonnés sans filiation connue" sont adoptables dans le cadre d’une adoption-filiation et qu’une "adoption-protection n’est pas assimilable en droit français à une adoption mais à une simple mesure de tutelle ou de délégation de l’autorité parentale".
L'organisme d'adoption a nié ces accusations et réfuté par communiqué "toute participation à quel titre que ce soit à un trafic d’être humain, et tient à la disposition de la justice l’ensemble des documents et pièces relatives à ces adoptions".
L'affaire, qui avait été révélée à la suite d’une longue enquête collective d'un an par un duo de journalistes des médias français Le Monde et TV5 Monde, a été classée sans suite 15 jours après, le 24 juin 2020.
Mais l’affaire n’est pas finie. Le 16 décembre 2020, une nouvelle plainte avec constitution de partie civile a été déposée par les 9 adoptés du Mali. Selon leur avocat, ce type de plainte obligerait le juge d'instruction et le parquet à se saisir. "C'est une quasi-obligation", a-t-il déclaré par téléphone.
Pour qu’il y ait un jugement, il faudra que le juge d'instruction considère que les faits sont suffisamment caractérisés pour nécessiter un procès. "Il y aura des enquêtes mais ça ne veut pas dire qu'il y aura forcément un jugement", a-t-il conclu.
- Une adoption plénière : quand il y a une rupture de la filiation – il n’y a plus de lien de filiation avec les parents d’origine et les parents adoptants deviennent en quelque sorte les vrais parents.
- Une adoption protection : équivaut à une délégation d’autorité parentale –l’enfant est confié à d’autres parents de manière temporaire
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