Tandis que le Niger et le Bénin tentent d’amorcer un dégel diplomatique, Niamey accuse les services secrets français de former et d’armer des jihadistes. Une manœuvre pour forcer Cotonou à prendre ses distances avec Paris ? Jeune Afrique a consacré un grand dossier sur cette problématique.
Entre Niamey et Cotonou, le bras de fer diplomatique se déploie désormais sur un nouveau terrain offensif : celui de la communication. Le 3 août, fête de l’indépendance du Niger, le général Abdourahamane Tiani a donné un entretien fleuve à la Radio Télévision Niger (RTN), le troisième depuis son coup d’État en juillet 2023. Durant près de deux heures, le militaire a dressé le bilan de son année au pouvoir. Si la lutte contre le terrorisme, la défense de la souveraineté ou encore les sanctions de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont été au centre du propos, le chef de l’État nigérien a adressé des accusations, aussi précises qu’invérifiables, à l’encontre de Paris et des autorités béninoises, rappelle Jeune Afrique.
Jeune Afrique ajoute que « Dans la nuit du 10 au 11 janvier, [les Français] ont livré, grâce à deux hélicoptères, du matériel militaire aux terroristes de Boko Haram. Cela s’est passé à Kouklewa, une île dans le lac Tchad, située à quelque 25 km au nord-est de Bosso », a affirmé le général Tiani. Une opération que les services français auraient répétée le 29 janvier, « cette fois-ci à Bourtoungour, une île à une dizaine de kilomètres de Bosso, où ils ont livré de l’armement flambant neuf à Boko Haram et ont récupéré des anciennes AK-47, assure le Nigérien. Ils ont pris des dispositions pour effacer les numéros, pour qu’on ne puisse pas tracer l’origine de ces armes ».
Selon Abdourahamane Tiani, ces opérations – dont il n’apporte aucune preuve – auraient été déclenchées à la suite de la longue crise diplomatique opposant l’ex-ambassadeur de France à Niamey, Sylvain Itté, et la junte au pouvoir en septembre 2023. Pendant trois semaines, confiné dans une ambassade cernée par des manifestants, le diplomate avait refusé l’expulsion. Ne souhaitant pas reconnaître la légitimité des militaires ayant renversé le président Mohamed Bazoum, Paris avait dénoncé une « prise d’otages » de ses diplomates, avant de plier. L’ambassadeur et six de ses collaborateurs ont fini par quitter le pays le 27 septembre. Dans leur sillage, plusieurs agents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, les renseignements français) se seraient alors « repositionnés au Bénin », affirme le général Tiani.
La junte nigérienne aurait refusé ce redéploiement, obligeant les espions à s’exfiltrer par le Tchad. C’est là que ces derniers en auraient profité pour « prendre rendez-vous avec des terroristes de Boko Haram et de l’Iswap [État islamique en Afrique de l’Ouest] » le 25 et 26 octobre 2023 à la frontière entre les deux pays. L’objectif, selon le chef des putschistes : monter une opération de « déstabilisation » ciblant le régime nigérien. Dans son intervention à la RTN, le général Tiani identifie, par leur nom, date de naissance et parcours universitaire, plusieurs agents français impliqués, selon lui, dans cette opération. Des agents désormais en poste au Bénin ou au Nigeria.
Cette charge intervient à un moment particulièrement favorable. Le 24 juillet, les autorités nigériennes ont envoyé des émissaires à Cotonou afin de négocier une sortie de crise avec le Bénin. Depuis le coup d’État au Niger, Cotonou a fermé sa frontière. En réponse, le 6 juin, Niamey a coupé les vannes du pipeline qui achemine le pétrole du nord-est nigérien au port béninois de Sèmè-Kpodji. Une mesure qui coûte aux deux pays, et à l’exploitant chinois Wapco, plusieurs millions de dollars par mois. Une situation intenable pour Niamey dont la trésorerie pâtit encore des sanctions imposées par la Cedeao à la suite du putsch.
Mardi 6 août, Abdourahamane Tiani a tendu la main à son voisin. Après plus d’un an d’attente, il a accepté les lettres de créance de Gildas Agonkan, l’ambassadeur béninois nommé à Niamey. Il s’agit du premier signe d’un dégel entre les deux pays. Pour le moment, Niamey refuse encore de rouvrir sa frontière, prétextant un risque sécuritaire causé par la présence d’une emprise française dans le nord du Bénin. Affirmation démentie par les autorités béninoises. Mais le message de la junte nigérienne est clair : si Cotonou veut accéder au pétrole nigérien, il doit prendre ses distances avec Paris, précise Jeune Afrique