Sur un premier cliché, des combattants rebelles font une sieste sur le capot de leur pick-up monté d’une mitrailleuse. Sur un autre, c’est à l’ombre d’un arbre qu’ils se reposent. Un message posté sur X enfonce le clou : « Nous sommes fatigués de dormir et d’attendre ces idiots peureux ». Son auteur appartient au Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA), une coalition de mouvements indépendantistes du nord du Mali, de nouveau en guerre avec Bamako depuis août 2023. Ces moqueries s’adressent à leurs adversaires, les Forces armées maliennes (Fama), et à leurs supplétifs de la milice Wagner, assure Jeune Afrique
Le 26 juillet, lors d’une vaste opération dans le septentrion, un convoi des Fama et de leurs supplétifs russes est tombé dans une embuscade rebelle près de Tinzawaten. Bilan : au moins 47 morts parmi les militaires maliens et 84 dans les rangs de leurs alliés mercenaires, selon le CSP. C’est la plus lourde défaite subie par Wagner sur le continent africain. Un affront que Bamako veut laver en renvoyant aujourd’hui une expédition dans la zone.
Depuis le 29 septembre, et l’annonce qu’une colonne d’environ 70 véhicules au sol dont 45 blindés était en train de quitter Kidal pour remonter vers Tinzawaten, fief des rebelles situé à la frontière algérienne, les messages provocateurs pullulent sur les réseaux sociaux. Sur X ou sur Telegram, militants de l’Azawad et soutiens de Wagner se livrent une bataille de communication féroce dans l’attente des premiers échanges de tirs.
Cette fois-ci, l’armée malienne a tenté de mettre toutes les chances de son côté. En plus d’engager des hélicoptères et un drone turc TB2, des drones Bayraktar Akinci auraient été mis à sa disposition par le Burkina Faso. Également membre de l’Alliance des États du Sahel (AES), le Niger aurait livré, le 2 octobre, du matériel et des munitions acheminés sur la base de Kidal par un avion C-130. En appui, les milices touarègues progouvernementales que sont le Groupe autodéfense touareg imghad et alliés (Gatia) et le Mouvement de salut MSA-D ont mis à disposition des Fama des hommes dont le rôle de guide est indispensable dans ce territoire auquel les forces armées maliennes sont peu familières.
Soucieux de ne rien laisser au hasard, des échanges entre les autorités maliennes et les hommes du maréchal Khalifa Haftar auraient, selon nos informations, permis la mobilisation d’un dispositif de sécurité à la frontière sud de la Libye afin d’éviter que des renforts touaregs ne parviennent aux rebelles.
« La junte de Bamako mise le tout, y compris le fond de la calebasse », a aussitôt ironisé sur X Attaye Ag Mohamed, vice-secrétaire aux relations extérieures du CSP-DPA. Dès le lendemain du départ de la colonne, il a partagé la vidéo d’un Pantsir, véhicule antiaérien de fabrication russe, ensablé vers Tin-Essako. A-t-il été abandonné « dans la peur et la précipitation » ? Ou a-t-il été laissé là, avec ses tubes et ses roquettes vides, pour servir de leurre et « dissuader les actions aériennes du CSP-DPA » ? Les images ont été reprises sur les réseaux sociaux. Sur X, le compte @inkinane1, appartenant à un commandant des forces rebelles, n’a pas tardé à se moquer du « faux Pantsir » avec son propre leurre : un épouvantail déguisé en touareg.
Sur Telegram, les groupes pro-Wagner n’ont pas tardé à se faire l’écho de « difficultés ». Plusieurs véhicules sont tombés en panne dès les premiers jours de l’opération et l’approvisionnement en eau, en vivres et en pièces détachées est plus compliqué que prévu. Dans ce contexte, c’est peu dire que les mercenaires russes ont les nerfs à vif, ne cachant même pas leur agacement face aux tweets et aux « stories » diffusés en temps réel par leurs alliés maliens. « Ces idiots de Fama continuent de poster leur localisation sur Twitter, même lors des arrêts. Ils n’apprennent rien ! », tance le compte Telegram proche de Wagner @departamente. Des téléphones ont depuis été confisqués.
Le convoi n’a jusqu’à présent progressé que lentement. Le 2 octobre, il était localisé près d’un puits dans la localité d’Inakarot, à une centaine de kilomètres de Tinzawaten. Sur X, des rebelles sont allés jusqu’à filmer le convoi depuis les broussailles et à poster la vidéo sur les réseaux sociaux. Selon un militant pro-Azawad @AgRhissa2, « les Russes sont agités et tirent vers la montagne sans cible ». Fahad Ag Almahmoud, un ancien secrétaire du Gatia désormais affilié au CSP, ne boude pas son plaisir : « Nous apprécions beaucoup cette panique », a-t-il déclaré, souhaitant qu’elle mène le convoi « vers son cimetière ».
Après la prise du bastion indépendantiste de Kidal le 14 novembre 2023, les Fama et Wagner paraissaient prendre l’ascendant psychologique sur les rebelles. Le drapeau à tête de mort flottait à l’époque sur le fort de la ville et les mercenaires y paradaient à moto. Des images humiliantes, destinées à alimenter cette guerre hybride, dans laquelle la communication a toute sa place et dont Wagner s’est fait spécialiste. Le groupe est célèbre pour ses opérations d’influence, ses mises en scène promotionnelles, teintées d’humour noir, et ses usines à trolls chargées de relayer cette propagande. Une mécanique qui s’est enrayée avec la débâcle de Tinzawaten.
Depuis, les combattants du CSP ne manquent pas l’occasion de rappeler aux mercenaires leur défaite de juillet, partageant les photos des Russes tués ou faits prisonniers. Le compte @Mossa_Karin expose un lance-grenade automatique russe AGS-17, pris à Wagner lors de la dernière bataille. « On verra de quoi est capable ce bijou », provoque-t-il. D’autres se veulent conciliants et proposent d’écouter un titre du groupe touareg Tinariwen. « Nous partageons nos playlists aux Wagner pour s’adapter aux transes de l’Azawad et du Sahara central », se gausse @ohabata.
« Les rebelles ont réussi à inverser la bataille psychologique, soutient un analyste, originaire de la région. La dérision est typiquement touareg. C’est un humour qui galvanise les troupes. On fait des blagues même quand les roquettes tombent. Dans notre culture, on ne montre pas sa peur. Quand tu as intégré que ta plus grande victoire est la mort, pourquoi avoir peur ? »
Il en faudra néanmoins davantage pour conserver Tinzawaten. Mohamed Elmaouloud Ramadane, porte-parole du CSP, le sait bien. « Nous avons plusieurs dispositifs autour du convoi, aux environs de Tinzawaten et dans le désert alentour, affirme-t-il d’ailleurs. Nous sommes encore mieux préparés que la dernière fois. On s’attend à la confrontation à tout moment. »
Les joutes verbales se sont atténuées ces derniers jours, à mesure que le convoi se rapproche des positions rebelles. Le CSP a demandé à ses militants de ne plus partager de contenus localisables. Quant aux commandants de Wagner, ils ont ordonné un blackout opérationnel complet. Sur une chaîne Telegram du groupe, le modérateur a laissé un mot avant de suspendre les discussions : « Jusqu’à l’achèvement de la tâche, le silence règnera au Mali. »