Vous êtes-vous déjà retrouvé emporter par la trame d’un film au point de vous demander si son scénario ne serait pas tiré d’une histoire vraie?
Eh bien, c’est le sentiment qui a fait du rap l’une des disciplines musicales les plus appréciées dans le monde. C’est la possibilité qu’elle soit vraie qui donne à une punchline le pouvoir de lever les foules. On peut ne pas apprécier le vocal (trop?) peu raffiné de son auteur, mais c’est la sensation de la true story qui nous envahit à chaque fois qu’on écoute cette ligne: « Aucun de mes sons ne fera bouger les corps, j’ai fait un choix, celui de faire battre les cœurs ». En effet, elle intrigue par son audace.
Existe-t-il, de nos jours, des artistes qui ne sont pas tentés par l’envie pressante de faire vibrer le peuple dans les ambiances nocturnes des snacks et des bars de nos villes?
Les millions de francs que génèrent de plus en plus l’industrie du divertissement en Afrique poussent les artistes à recadrer les thèmes de leur musique vers des sujets plus festifs. Présents sur la toile depuis bientôt trois ans, les œuvres du rappeur Xzafrane évoluent curieusement en marge de ceux des feu follets de notre musique urbaine actuelle. Nous sommes allés à la rencontre de ce jeune homme aux idées plutôt… singulières.
On te suit depuis l’année dernière, notamment depuis ton projet « Un Million De Problèmes ». Le paysage culturel actuel au Cameroun laisse peu de place pour
des artistes qui ont ta vision. Qu’est ce qui te motive?
En fait je considère la musique comme un moyen d’atteindre une fin et la fin que je veux atteindre c’est l’épanouissement de l’homme, la fin que je veux atteindre c’est l’éradication du vice dans la cité. Donc ce qui me motive c’est l’espoir d’un changement. Je suis un soldat de l’équité, je n’attends rien de la musique si ce n’est qu’elle m’aide à véhiculer un message positif pour la jeunesse.
Les deals avec de grosses compagnies? L’argent, la gloire ne t’intéressent pas? Est-ce que tu considères les biens matériaux comme inutiles à ton combat?
je disais tout à l’heure que la musique est un moyen pour atteindre une fin. Cette fin à atteindre n’est pas l’argent c’est aussi ça toute la différence avec mes autres collègues… Je veux juste que le message passe mais si l’argent arrive c’est tant mieux. Donc je pense uniquement à la portée sociale de ma musique quand j’écris, je ne vois pas mes rimes en terme de millions de francs engrangés mais je pense plus aux millions de vies et de consciences quelle pourra toucher.
Mais Franko et One Love disaient pourtant la même chose…
Tout dépend des motivations véritables et des objectifs visés en entrant dans la musique. Je ne suis ni Franko ni One Love mais une chose est sûr c’est que je ne suis pas un esclave du buzz. C’est justement parce que tout le monde pense d’abord à faire le buzz que le coté sensibilisateur/ éducateur/ « conscientisateur » de la musique a disparu or la musique a un grand rôle à jouer dans le processus de développement d’une nation.
Tout à fait.
Socrate disait que pour comprendre un peuple, écoute sa musique mais tout porte à croire que si on écoute la musique camerounaise à l’heure actuelle on conclue que nous sommes un peuple hyper dévergondé et sans véritable repères, moi je vis ce que je chante au quotidien. Je ne suis pas dans un film de science fiction et je ne crée pas un personnage autour de ma musique. Tout ce que je dis de moi est vérifiable.
Le problème c’est que nous, public, avons rencontré tellement d’artistes au discours similaire, puis une fois la gloire arrivée, ils ont tout de suite changé d’attitude. C’est vrai, beaucoup pensent que mon discours est trop idéaliste mais ce n’est pas juste un fond de commerce c’est un mode de vie. Ceux qui échouent souvent si tu vérifies bien ne mènent pas souvent une vie en adéquation avec ce qu’ils disent. Soit, alors laissons le temps nous prouver que tu as eu raison. C’est ce que j’allais dire. Le temps est un incommensurable détecteur de mensonge. Pourquoi le rap? Tu aurais pu faire de la politique ou même écrire. Non?
Au départ je faisais des recueils de nouvelles, 1 Million De Problèmes devait être un recueil de sept nouvelles mais je me suis investi dans le rap parce que c’est le genre musical qui me paraissait revendicateur et le plus à même de laisser libre cours à la parole. Classiquement un morceau de rap c’est 16 mesures multipliées par 3, cela te laisse le temps de dire plus de choses dans une même chanson et par ailleurs, je voulais que mon message touche le plus grand nombre. Ma cible c’est la jeunesse or les jeunes ne lisent plus… Choisir la littérature aurait été un peu risqué.
En effet, ça aurait été quelque peu risqué. Xzafrane vit-il de sa musique?
Non je ne vis pas de ma musique au même titre que trop peu d’artistes camerounais, même certains grands noms. Pour vivre de sa musique ici il faut verser dans la clochardisation, la flagornerie, et toutes sortes de bassesses. C’est paradoxal de demander à vivre de la musique dans un univers où il n’y a pas une industrie culturelle à proprement parlée. Tu parles de certains grands noms, pourtant, nous voulons croire qu’un artiste comme Stanley Enow vit bien de sa musique.
Ou est-ce aussi une illusion?
Je crois qu’il fait peut-être partie de l’exception qui confirme la règle… Je ne peux pas vraiment affirmer avec fermeté qu’il vive de sa musique. Je dirais que les artistes survivent grâce à leur musique et non vivent de leur musique.
Qu’est ce qui te permet donc de te nourrir au quotidien?
Je suis fondateur d’une start-up qui fait dans l’édition audiovisuelle Afam Company. C’est ce qui me permet de vivre et de financer mes études et autres.
Un projet musical en vue?
En ce moment j’ai mon album de 13 titres « Un Million De Problèmes » qui circule. Par contre, en 2016 il y a l’album « Le Cameroun D’abord » qui sortira. « Fidèle à ma vie » en est un extrait. L’album est déjà terminé en studio, on se prépare juste côté communication pour qu’il soit plus visible que le précédent.
On ressent bien ce souci de différencier ce projet du précédent. Même visuellement le clip de « Fidèle A Ma Vie » a un concept recherché.
A part ça, existe-il des artistes avec qui tu aimerais collaborer?
Je crois que pour l’album »Le Cameroun D’abord » j’ai eu la chance de faire de très bonnes collabo, donc c’est déjà clos de ce côté là. Mais dans le rap au Cameroun actuellement il y a beaucoup de talents mais je compte beaucoup plus collaborer avec des artistes que le grand public ne connait pas je vise très peu les collabo avec les icônes actuelles…
Pour quelles raisons?
Tout simplement parce qu’on ne partage pas les mêmes idéologies artistiques… Vu que je ne suis pas dans la dynamique du buzz à tout prix, je ne vois pas vraiment une collabo dont je serais l’initiateur. Cependant je reste ouvert à condition que la collabo obéisse à un certain nombre de préalables.
Alors pour terminer, Xzafrane se considère-t-il comme le meilleur rappeur camerounais?
Non. Il y a meilleur que moi dans nos rues. C‘est vrai de plus en plus les gens me collent cette étiquette mais je ne me considère pas ainsi, ce serait être trop vaniteux et prétentieux. C’est un faux débat.
Souhaiterais-tu ajouter quelque chose? Un message particulier?
Non pas vraiment. Juste que notre musique n’est pas encore au stade où les artistes doivent se clasher. Par ailleurs, il est temps que nous arrêtions de faire l’apologie de ce qui se fait ailleurs, qu’on apprenne à valoriser notre propre musique. Enfin, il faut que les gens comprennent que nul n’est Dieu, pour ceux qui croient décider de qui doit briller ou non.
Notre musique a besoin d’une bonne dose d’impartialité et de méritocratie.
Merci.
Merci à toi. Beaucoup de courage pour la suite de ton combat.
C’est moi qui vous remercie. Mais que mes fans sachent qu’il y a encore beaucoup d’autres surprises. Merci au public de plus en plus nombreux qui valide ce que je fais.
Suivez Xzafrane sur Facebook et Twitter