BBC Afrique of Thursday, 11 July 2024

Source: BBC

Bassirou Diomaye Faye a-t-il des atouts pour faire revenir les trois pays de l’AES dans la CEDEAO ?

Bassirou Diomaye Bassirou Diomaye

Lors de leur dernier sommet à Abuja au Nigeria ce dimanche, les dirigeants de la CEDEAO ont donné mandat au président sénégalais Bassirou Diomaye Faye pour être le négociateur entre les dirigeants de l’Alliance des États du Sahel et l’organisation communautaire qui veut les voir revenir en son sein.

C'est une mission délicate qui attend le nouveau dirigeant sénégalais, au vu des positions qui semblent séparer les deux blocs désormais en place en Afrique de l'Ouest.

La veille de ce sommet du bloc ouest-africain qui lui a donné mandat, les dirigeants du Mali, du Burkina Faso et du Niger, tous trois dirigés par des militaires, se sont réunis à Niamey pour un premier sommet qui a acté un pas de plus dans leur éloignement de la CEDEAO, en signant un document, créant ainsi la Confédération des États du Sahel.

La CEDEAO qui tente de leur faire entendre raison depuis quelques mois, a de nouveau assoupli sa position en faisant lever la plupart des sanctions contre le Bamako, le Ouagadougou et le Niamey. Mais les dirigeants de ces trois pays ont indiqué que leur décision est « irrévocable ».

Vers la fin du mois de mai dernier, Bassirou Diomaye Faye, nouvellement élu à la tête du Sénégal, a effectué une tournée dans ces trois pays pour tenter de convaincre les militaires de revenir sur leur décision. Mais les trois dirigeants continuent pour le moment le chemin qu’ils ont choisi.


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Le président sénégalais pourra-t-il réussir cette mission que d’aucuns qualifient déjà de difficile ? C’est ce que nous allons tenter d’analyser dans ce papier. Mais pour le moment, la CEDEAO craint une désintégration de l’espace communautaire.

Les préoccupations de la CEDEAO

Lors de son sommet à Abuja dimanche, la CEDEAO, qui a déjà appelé les dirigeants de l’AES à revoir leur position, a exprimé sa préoccupation sur les conséquences des départs du Mali, du Burkina Faso et du Niger pour eux-mêmes et pour le bloc sous-régional.

« Le retrait des trois pays portera un coup dur à la coopération en matière de sécurité, notamment en terme de partage de renseignement et de participation à la lutte contre le terrorisme dans la sous-région », a indiqué Omar Alieu Touray, le président de la Commission de la CEDEAO.

Pour lui, le départ de ces trois pays pourrait entrainer la désintégration de l’organisation. Cela pourrait « conduire à un isolement diplomatique et politique sur la scène internationale dans la mesure où les pays ne pourront plus bénéficier du soutien du bloc en cas de candidatures de leurs citoyens à des postes internationaux au sein de l’Union africaine, des Nations unies et des organismes similaires », selon lui.

Il a aussi souligné que le retrait des pays de l’AES affectera les conditions de voyage et d’immigration de leurs citoyens, car ils auront désormais besoin de visa pour se déplacer dans la sous-région. De même que des individus de ces pays ne pourront bénéficier des facilités mises en place par la CEDEAO dans le cadre de la création d’entreprises.

« Sur le plan économique et financier, le retrait de ces trois États membres pourrait entrainer l’arrêt et la suspension de tous les projets et programmes mis en œuvre par la CEDEAO dans ces trois pays et dont la valeur est estimée à plus de 500 millions de dollars américains », ajoute le président de la Commission.

Pour autant, le bloc ouest-africain ne ferme pas ses portes aux trois États du Sahel. Il les invite plutôt à revenir. C’est d’ailleurs pourquoi des chefs d’État ont été choisis pour mener la facilitation auprès des dirigeants militaires.

Les facilitateurs de la CEDEAO

Outre le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye qui doit mener des négociations avec les dirigeants militaires du Sahel, la CEDEAO a également demandé au chef de l’État togolais Faure Gnassingbé de le seconder.

La CEDEAO a aussi salué l’initiative du président Umaro Sissoco Embalo de la Guinée-Bissau de soutenir les efforts de facilitation entre la CEDEAO et plus spécifiquement le Burkina Faso, et donc auprès d’Ibrahim Traoré.

Ainsi, le bloc a mandaté ces chefs d’État pour trouver un compromis avec les États de l’AES, baisser les tensions et les susceptibilités entre les deux blocs.


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Le Président sénégalais a déjà rencontré les trois dirigeants militaires lors d’une tournée qu’il a effectuée dans ces pays. Le retour au sein de la CEDEAO a été évidemment au menu des discussions et Bassirou Diomaye Faye avait fait montre de son optimisme quant à l’aboutissement heureux des négociations après avoir rencontré ces militaires au pouvoir.

Cette posture équilibrée dont fait montre le Président sénégalais a été déterminante dans son choix par ses pairs pour mener ces négociations. Selon plusieurs analystes, la personnalité du Président sénégalais est un élément déterminant qui pourrait permettre de parler de façon crédible avec toutes les parties prenantes.

Toutefois, il faut des préalables pour rendre plus aisée la mission aux facilitateurs qui disposent d'un certain nombre d’éléments pour la réussir.

D’abord la désescalade des deux côtés…

Les analystes trouvent que c’est une mission difficile que Bassirou Diomaye Faye s’est vu confier, quand on regarde un peu la tournure que prennent les événements. Surtout les dirigeants de l’AES qui donnent l’impression de ne plus rien à faire avec la CEDEAO.

Selon Gnimdewa Atakpama, le Délégué aux affaires intérieures du Parti des Togolais, une formation politique de l'opposition au Togo, « la réussite de la mission du président Faye dépendra de la coordination et de la coopération entre les différents dirigeants de la CEDEAO, ainsi que de la volonté des trois pays de revenir dans l'organisation régionale ».

L’enseignant-chercheur au Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) de Paris, Oumar BA se demande si la CEDEAO est prête à donner des gages pour la réussite de cette mission et le retour du Mali, du Burkina Faso et du Niger au sein de l’organisation. Pour lui, l’institution communautaire pourrait revoir le protocole additionnel sur la démocratie, notamment les dispositions portant sanctions.

« Sans le dire de façon directe, mais entre les lignes, nous comprenons qu’elle a peut-être pris acte des critiques et des limites juridiques et fonctionnelles de certains dispositifs y relatifs qui, dans l’application des faits, ont des contradictions avec certains dispositifs du droit international », souligne-t-il.

Il faudra aussi, selon lui, arriver à résoudre le problème du déficit de confiance entre les acteurs. « Si on n’y prend pas garde, non seulement on peut avoir une déflagration de la CEDEAO de façon plus soutenue et plus résolue, mais aussi nous regarder en chien de faïence ».

Déjà, la force militaire de 5 000 hommes annoncée par le bloc ouest-africain pour lutter contre le terrorisme et manifester sa solidarité avec les trois États est une bonne chose, selon lui. Il dit espérer que l’AES ne va pas se recroqueviller sur elle-même en refusant d’accueillir cette ouverture. La négociation pour les parties s’impose à toutes et à tous de façon indiscriminée.

« Donc, à partir de là, chacun trouvera l’intérêt à négocier certaines choses, liberté de circulation des personnes et des biens, et aussi liberté d’harmonisation de certaines règles juridiques et de coopération transfrontalière pour combattre de façon plus efficiente la criminalité, la menace terroriste et consolider la démocratie afin de polariser les efforts, non pas pour se déstabiliser de façon réciproque », déclare M. BA.

Voici les éléments dont dispose Diomaye Faye

Pour Gnimdewa Atakpama, Délégué aux affaires intérieures du Parti des Togolais, la mission confiée au président Diomaye Faye de réintégrer le Mali, le Niger et le Burkina Faso au sein de la CEDEAO est un défi de taille tant la volonté de rupture politique semble consommée. Cependant, le chef de l’État sénégalais dispose des atouts et des compétences nécessaires pour réussir sa mission.

D’abord, sa crédibilité et sa légitimité vis-à-vis de l’opinion africaine et internationale. « Il est considéré comme un dirigeant crédible et légitime, ayant remporté des élections certifiées crédibles cette année, ce qui contraste avec les scrutins truqués dans la région », indique M. Atakpama.

Bassirou Diomaye Faye, avec son jeune âge, peut faciliter le dialogue et la compréhension mutuelle avec les dirigeants militaires qui sont aussi presque de la même génération que lui.

« Ensuite, le président Faye a déjà entamé une révision des liens économiques et politiques de son pays avec les partenaires occidentaux traditionnels, ce qui répond en principe aux préoccupations des trois pays concernant l'ingérence étrangère. Cette approche pourrait permettre de trouver un terrain d'entente et de rétablir la confiance entre les pays", souligne le délégué aux affaires intérieures du Parti des Togolais.


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Le prédécesseur de Diomaye, le Président Macky Sall avait amorcé la première inflexion de sa politique étrangère au sein de la CEDEAO en se déplaçant à Bamako. Cela peut être considéré comme un acquis pour le facilitateur sénégalais, selon l’expert en stratégie politique.

Oumar BA ajoute que le fait que Bassirou Diomaye Faye est issu d’une opposition qui était critique à l’encontre des sanctions de la CEDEAO est un grand atout pour lui de réussir cette médiation.

« Troisième chose, il est élu de façon démocratique avec un score salutaire. Le fait qu’il est parti dans ces différents pays lui permet d’avoir une certaine onction de confiance, sachant qu’au moment des sanctions, il n’était pas encore en exercice, et donc il ne peut pas être tenu comptable de façon personnelle, même si les sanctions engagent également l’État sénégalais au regard de la continuité de l’État, explique l’Enseignant chercheur au Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) de Paris.

Il souligne que l’appel du président sénégalais à revoir et à réformer la CEDEAO est plus ou moins entendu, puisque dans le communiqué de l’organisation, il est mentionné que le texte portant protocole additionnel sera revu.

Pour que cette mission réussisse, les deux experts pensent qu’il faut qu’il y ait de la bonne volonté venant de toutes les parties.

Mission difficile mais pas impossible

« Dans tous les cas, il est important de trouver un moyen de concilier la rupture politique avec la construction et l'intégration économique, et une renégociation de nouveaux accords entre l'AES et la CEDEAO sera nécessaire pour y parvenir », insiste Gnimdewa Atakpama.

Oumar BA appelle à la désescalade et à la décrispation, ce qui permettra au facilitateur sénégalais d’œuvrer pour une solution pérenne dans la sous-région.

Pour lui, il faut remettre aux calendes grecques les sanctions tous azimuts « et que de façon pédagogique la CEDEAO puisse articuler son action de facilitation en bonne intelligence avec le président de la République islamique de la Mauritanie qui assure la présidence de l’institution continentale, l’Union africaine ».

Les sages du continent, selon lui, peuvent aussi peser dans la balance pour un retour dans la CEDEAO des trois États du Sahel. « Ce sont des anciens chefs d’État, de gouvernement. Ce sont des éminentes personnalités qui ont la sagesse dans la gestion du pouvoir et la résolution des crises ».

Sans cela, l’échec de la négociation du président Diomaye Faye et ses collègues sera patent, selon Oumar BA.

Nkechi Ogbonna a contribué à cet article


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