Des centaines de milliers de personnes en Afrique, bénéficiaires de programmes d'ONG et autres partenaire de l'Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID), sont sérieusement menacées. L'annonce, le 27 janvier dernier par Donald Trump, de la suspension pour trois (03) mois de l'aide extérieure américaine alimente la crainte de certaines populations sur le continent noir.
« Nous craignons une situation catastrophique en Afrique avec la suspension de cette aide. Par exemple, chez nous au Burkina, cela aide beaucoup à faire face à la situation humanitaire due à la crise sécuritaire avec la menace des groupes armés », indique à BBC Afrique Ibrahim Oulem, volontaire dans une association locale à Tougan dans la province de Sourou.
Pour lui, tout est prioritaire dans de nombreuses zones où vivent les populations déplacées. Il pointe notamment du doigt la nourriture, l'eau potable, l'accès à la santé et aux kits d'hygiène, même des abris. Et c'est grâce à des ONG soutenues par des partenaires internationaux dépendant de l'aide américaine, que ces personnes ont accès à ces besoins.
« Beaucoup d'enfants qui souffrent de malnutrition au Nord du Mali survivent aujourd'hui grâce à des ONG qui opèrent dans la zone. J'ai un ami dont le père est devenu infirme à cause d'une mine qui a explosé dans son champ. La famille est prise en charge par une association locale qui dépend d'une ONG internationale », confie Paul Chiaka, un étudiant qui a quitté Gao pour Bamako.
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Nous avons, dans le cadre de cet article, contacté certaines parmi ces ONG qui nous ont fait savoir qu'elles sont soumises à des obligations de réserve. « Nos partenaires depuis Washington, nous ont demandé de ne pas parler à la presse », nous lance un responsable d'ONG basée au Mali qui a requis l'anonymat.
Selon ForeignAssistance.gouv, un site du gouvernement américain, plus de 68 milliards de dollars d'aides américaines ont été envoyées dans le monde en 2023. L'Afrique en a obtenu le quart, soit 17,5 milliards de dollars. Les pays de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) ont, quant à eux, capté 720 millions de dollars de cette aide américaine en 2023, soit 453,7 milliards de Francs CFA.
Ainsi, dans le domaine de la santé, ces 3 pays ont reçu en 2023 une aide de 227 millions de dollars. Dans le développement économique, 113 millions de dollars et 263 millions de dollars comme aide humanitaire.
Ces aides américaines transitent pour la plupart par l'Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID) chargée du développement économique et de l'aide humanitaire dans le monde.
Le Bukina Faso, le Mali et le Niger risquent d'être aussi durement touchés par la suspension de l'aide extérieure américaine qui est primordiale pour leurs économies. Puisque l'essentiel des ressources internes est consacré à la défense.
Aperçu sur les dépenses militaires
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, confrontés à la guerre contre les groupes armés dans leur territoire, consacrent une grande partie de leur budget à la défense au détriment des autres secteurs.Au Mali, les dépenses militaires ont presque doublé, passant de 299,080 milliards de FCFA en 2019 à 476,378 milliards de FCFA en 2023. Sur la même période, les dépenses des forces de sécurité (police) dans ce pays sont passées de 97,284 milliards de FCFA à 152,466 milliards.
Selon un rapport du Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI, qui fournit des données sur les dépenses militaires par pays depuis 1949, les dépenses consacrées à la Défense et à la Sécurité représentaient 15 % du budget de l'Etat en 2018. Les allocations sont passées à 18,3 % des parts dans le budget de l'Etat en 2022, à en croire les explications contenues dans la loi de finance 2023 publiée par les autorités.
On remarque que durant la même période, l'enveloppe de la Santé est trois fois moins élevée que celle de la Défense. L'Education elle, représente en moyenne 2/3 des allocations disposées pour la Défense, si on joint son enveloppe à celle de la sécurité nationale. 1.694,7 milliards de FCFA ont été alloués à l'Education contre 1.552,6 pour la défense sans inclure le ministère de la sécurité qui gère la police, et dont le budget augmente également, année après année.
Au Burkina Faso, selon une étude du Centre d'Information, de Formation et d'Etudes sur le Budget (CIFOEB), appuyée par Oxfam, publié en 2019, ces dépenses ont cru de l'ordre de 25,8 % entre 2013 et 2015, puis ont connu un autre bond de près de 49 % de 2016 à 2018.
En additionnant les dépenses militaires sur les trois dernières années, le gouvernement a disposé 1237,4 milliards de francs CFA pour le ministère de la Défense. L'année 2023 a représenté une nouvelle augmentation vertigineuse de 49 % en glissement annuel, par rapport à 2022, pour culminer à 657,7 milliards de Francs CFA.
Avec un budget estimé à 416 milliards, soit à peu près 20 % du budget de l'Etat, les ministères de la Défense et de la Sécurité arrivent loin devant celui de la Santé, qui s'en est tiré avec 301,8 milliards, environ 13,8 % des dépenses de l'Etat.
Au Niger, la Défense devient un véritable enjeu dans le budget de l'Etat nigérien entre 2016 et 2018, lorsqu'il a plus que doublé en deux ans, passant de 98 milliards en 2016, à 236 milliards en 2018.
Au cours des six dernières années, l'Etat a consacré 1441 milliards de francs CFA dans le budget du ministère de la Défense. On observe une hausse constante qui fait qu'on est passé de 236 milliards en 2018, à 301 milliards en 2023.
Mais il faut reconnaître quand même que le Niger privilégie l'éducation. L'Etat a mis 1 861,6 milliards de Francs CFA, dans le financement de l'éducation, soit 400 milliards de plus que ce qu'il a investi sur les six dernières années, au registre de la défense.
Ces chiffres montrent à quel point les autres secteurs souffrent de financement au sein des Etats du Sahel. Et c'est là qu'interviennent les aides extérieures, notamment de l'USAID.
Les pays de l'AES et l'aide américaine
L'enveloppe affectée par l'aide américaine aux Etats du Sahel via l'USAID a été réhaussée en 2024. Les trois pays ont eu plus de 827 millions de dollars, la plus grande part des 1 264 milliards de dollars d'aide américaine promise aux pays de l'UEMOA.300 millions de dollars devrait aller au Mali, 312 millions de dollars pour le Burkina Faso et 215 millions de dollars pour le Niger. Cet argent est destiné au financement des secteurs essentiels, notamment la distribution des vivres, les soins de santé, le développement agricole et le soutien aux populations déplacées.
Autrement, le tableau de répartition de l'aide américaine dans ces pays montre que les financements sont plus tournés vers les opérations d'aide humanitaire, surtout qu'ils sont en proie à une situation humanitaire, engendrée par la guerre contre les groupes armés sur leur territoire, qui touche directement les populations vulnérables.
D'autres secteurs bénéficient également de cette aide au Burkina Faso, au Niger et au Mali. Mais tous ces secteurs vont être impactés avec cette suspension, surtout que les trois pays ont ces derniers temps des difficultés à mobiliser les aides internationales à cause des sanctions dont ils font l'objet à la suite des coups d'Etat qui s'y sont déroulés.
« 36% du budget de l'ONG Solidarité Internationale qui intervient dans les Etats du Sahel et dans 21 autres pays africains, provient de cette aide américaine. Il ne faudrait pas sous-évaluer l'aide humanitaire dans ces pays », fait remarquer Oumar Ba, Chercheur associé à CAP Afrique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) Canada et consultant international qui craint aussi un drame pour ces pays.
Selon lui, 60% de l'aide extérieure américaine est gérée par l'Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID) qui intervient également dans ces pays. « Cela voudrait dire qu'il y aura un impact pour les populations vulnérables qui bénéficient de ces aides en termes d'appui aux services de santé, en termes d'adduction et en termes de gestion de l'agriculture, surtout en contre-saison pour aider les populations déplacées ».
Selon l'ONG Solidarité internationale, une personne sur cinq a besoin d'aide humanitaire dans le Sahel central. En plus des conflits et autres violences, les populations font face à la désertification des terres, à la perte des sols arables, à l'extrême chaleur, aux inondations et à la pauvreté ces dernières années.
Avec la suspension de ces aides, c'est l'accès à l'eau, à la nourriture, à l'éducation, à la protection des femmes, des hommes et des enfants qui sont menacés. 17 millions de personnes, selon Solidarité Internationale, subissent la crise humanitaire dans la zone du Sahel.
« Je pense à ces enfants de Bourzanga, de Sebba, de Titao qui ont besoin d'aliments, d'aller à l'école grâce à ces aides. A ces femmes qui ont perdu beaucoup de choses en quittant leur village. Comment vont-ils s'en sortir si on devrait leur couper ce dont ils bénéficiaient ? Tout ceci fait peur », soutient Ibrahim Oulem.
Et Chiaka de renchérir : « Nos pays sont déjà assez éprouvés sur le plan sécuritaire. Et c'est là où ils consacrent leurs énergies. Je ne pense pas qu'ils pourront supporter la charge humanitaire. Autrement, c'est la sécurité qui en pâtirait ».
Et de nombreux projets risquent de s'arrêter au détriment de toutes ces populations.
Impact sécuritaire
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Selon des experts, ces Etats du Sahel pourraient être amenés à affecter une partie de ce budget sur la sécurité aux secteurs qui seront impactés par la suspension des aides extérieures américaines. Et ce sont les efforts de sécurisation de ces territoires qui seront mis à l'épreuve.
A défaut, ces secteurs resteront sans soutien véritable et c'est un drame humanitaire auquel les pays peuvent être confrontés.
Mais, le Consultant International et Écrivain Oumar Ba ne voit pas les choses dans cet angle. Pour lui, les Etats de l'AES ont déjà cessé de compter sur l'Occident pour pouvoir mener leur croisade contre les groupes armés et l'extrémisme violent qui sévissent dans leur territoire.
« Si nous prenons le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ils ne comptent pas sur l'aide américaine pour financer leurs besoins de sécurité. Ce sont des Etats dirigés par des militaires qui ont une vision réaliste de la souveraineté internationale ».
Dans tous les cas, les pays africains bénéficiaires de l'aide extérieure américaine, notamment ceux de l'AES doivent serrer la ceinture comme l'affirment aujourd'hui nombre d'experts. Puisque l'Agence USAID reçoit et redistribue ces aides se retrouve pour le moment handicapée.
Situation actuelle de l'USAID
Des milliers d'employés de l'Agence américaine pour le développement international (USAID) sont en congé à partir de ce vendredi comme l'a décidé l'administration Trump. Son avenir est incertain. Mais, des exceptions seraient faites pour « les fonctions essentielles à la mission, le leadership de base et les programmes spécialement désignés », a déclaré l'agence sans donner de détails sur ces programmes et missions essentielles.Pour l'administration Trump, l'USAID gaspillait de l'argent et devait s'aligner sur ses priorités politiques. Le secrétaire d'État Marco Rubio a accusé la direction de l'agence d'« insubordination ».
Créée en 1960, l'USAID emploie 10 000 personnes dont les deux tiers travaillent à l'étranger. Elle a pour mission d'administrer les programmes d'aide humanitaire au nom du gouvernement américain. Elle dispose de bureaux dans plus de 60 pays et travaille dans des dizaines d'autres. Cependant, la plupart du travail sur le terrain est effectué par d'autres organisations sous contrat et financées par l'USAID.
L'USAID fournit de la nourriture dans les pays où les gens meurent de faim, mais elle gère également le système de détection de la famine, le meilleur au monde, qui utilise l'analyse des données pour essayer de prédire où les pénuries alimentaires se manifestent.
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Sur les 68 milliards de dollars dépensés par les Etats-Unis en aide internationale en 2023, le budget de l'USAID a pris la moitié, soit 40 milliards de dollars.
Donald Trump décidé à mettre en œuvre son programme « America first », a indiqué que les dépenses de l'agence n'aident pas le contribuable américain. C'est pourquoi il l'a mis en veilleuse pour 3 mois.
Par conséquent, certains programmes comme la distribution de médicaments et d'adduction d'eau potable ont été interrompus à certains endroits, selon un travailleur humanitaire qui s'est confié à la BBC. Pour ce dernier, cette interruption est ressentie « comme un tremblement de terre dans le secteur de l'aide ».
L'Afrique subsaharienne reçoit énormément de ces aides. Pour certains analystes, il est temps que les dirigeants du continent noir, notamment ceux de l'AES cultivent une certaine résilience pour se passer de l'aide extérieure et mobiliser les ressources internes.
Un défi pour les Etats du Sahel
La suspension de l'aide américaine doit être perçue par les ces Etats comme un défi pour rester en cohérence avec leur politique étrangère qui vise à maximiser leur souveraineté et à parachever leur indépendance. « Il va falloir chercher des alternatives », selon Oumar Ba.Pour lui, les impacts sécuritaires et humanitaires de cette suspension peuvent avoir un effet boomerang pour l'Amérique.
« Nous sommes dans une phase de redistribution des cartes dans la géopolitique mondiale. A ce niveau, les Etats-Unis cherchent non seulement à faire un audit, à évaluer la situation de l'aide, mais surtout à conditionner les bénéficiaires et les amener à s'aligner sur les questions stratégiques et les intérêts vitaux des Américains, quels que soient leurs besoins ou leur volonté de s'en affranchir », ajoute-t-il.
Une sorte de domination et de réalignement des Etats bénéficiaires à la politique étrangère américaine, poursuit-il. « C'est ce qui se cache derrière cette stratégie de gel temporaire ».
Mais si cette suspension perdure dans le temps, selon lui, elle aura des effets boomerang et des effets domino. « Les effets domino est que cela aura un impact sur les pays de l'AES, la RDC et sur d'autres pays d'Afrique sur tous les plans. Et sur le plan d'effets boomerang, certains experts et ONG américains perdront leur travail ».
Il souligne néanmoins qu'il y a des alternatives dans le monde aujourd'hui qui pourraient permettre aux pays de l'AES et d'autres en Afrique de pouvoir changer de fusil d'épaule et bénéficier d'aides venant d'autres partenaires. Ce qui pourrait affaiblir l'influence des Etats-Unis sur ces pays.
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