En pleine visite du ministre français des Affaires étrangères au Tchad, N’Djamena a annoncé jeudi soir rompre ses accords militaires vieux de près de 50 ans avec la France. Pour les autorités tchadiennes, c’est une volonté de souveraineté, mais de nouvelles puissances sont en embuscade.
C’est visiblement au palais présidentiel tchadien à N’Djaména que la rupture a été consommée. Jeudi après-midi, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, en visite au Tchad, a été reçu par le président Mahamat Idriss Deby Itno.
Au menu des échanges, la question des réfugiés soudanais dans le pays, mais surtout, la coopération militaire entre les deux pays. Les deux pays sont liés par un accord de coopération militaire vieux de plusieurs décennies, mais il a été révisé en 2019.
Le dirigeant tchadien a signifié à son hôte qu’il ne voulait plus de cet accord, invitant « à transcender la coopération traditionnelle entre la France et le Tchad dans laquelle prédomine l’aspect sécuritaire », renseigne la présidence tchadienne sur son site internet.
N’Djamena a pris cette décision après « une analyse approfondie », selon le ministre tchadien des Affaires étrangères, Abderahmane Koullamala, dans un communiqué.
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Toutefois, le communiqué souligne que cette rupture d’accords de coopération militaire n’est pas une rupture des relations diplomatiques et que N’Djamena respectera les modalités prévues pour la résiliation de ces accords.
L’affaire des costumes de Deby
Ces derniers mois, l’affaire a sérieusement impacté les relations entre N’Djamena et Paris. En juillet dernier, l’Agence France Presse avait annoncé que le Parquet national financier (PNF) avait ouvert une enquête pour « détournement de fonds publics et recel ».En cause, ce parquet spécialisé dans la lutte contre la délinquance économique et financière, soupçonne le dirigeant militaire d’avoir utilisé quelque 900 mille euros (environ 585 millions de francs CFA) pour l’achat de cent chemises, d’une cinquantaine de costumes, des abacosts et des sahariennes achetés en France.
L’analyste des questions sécuritaires Seidik Abba estime que cette situation a affecté durablement les relations pourtant au beau fixe entre les deux pays.
« Cela s’est manifesté par le fait que la France, disposant d’une logistique stationnée à N’Djamena, n’a pas accepté d’aider le Tchad lors de l’opération Haskanite », Haskanite étant la dernière opération que le Tchad a lancée le mois dernier contre Boko Haram dans le Lac Tchad.
Mais avant cela, M. Abba explique que la brouille a poussé le président tchadien à annuler une visite officielle prévue en juillet dernier, et n’a pas voulu assister à la cérémonie du débarquement de Provence en août.
Ce que Mahamat Idriss Deby demande à la France
Lors de son tête-à-tête avec le chef de la diplomatie française jeudi à N’Djamena, le président tchadien a déclaré à son hôte que « le Tchad entend assumer pleinement sa souveraineté dans ses relations avec la France ou tout autre pays, en se libérant des entraves du passé ».Il a aussi demandé à la France « d’épouser une diversification de la coopération bilatérale visant à intégrer des domaines tels que l’économie, l’éducation, la recherche scientifique, la technologie et le développement dans bien des secteurs vitaux pour le Tchad comme l’élevage et l’agriculture ».
Ce qui, pour M. Deby, « pourra favoriser bien plus qu’un enrichissement mutuel pour mieux refléter les besoins contemporains du Tchad, approfondissant sa vision pour une interdépendance équilibrée ».
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Fin d’une longue coopération ?
Le Tchad était resté jusqu’ici avec le Sénégal, les seuls territoire du Sahel abritant une base militaire française, après les départs, dans un contexte de crise diplomatique, du Niger, du Mali et du Burkina Faso entre août 2022 et décembre 2023.Même si les clauses des accords militaires rompus n’ont pas été dévoilées, il est probable que les contingents français stationnés à la base aérienne 172 à N’Djamena et à la base capitaine Croci à Abéché, dans l’Est du pays et à Faya-Largeau, dans le nord, soient appelés à partir.
Ainsi se tournera alors une page d’une histoire de plusieurs décennies, au cours desquelles les contingents français ont apporté un soutien logistique et un appui aux renseignements aux forces armées tchadiennes.
Les troupes françaises sont intervenues militairement à plusieurs reprises dans le pays, notamment pour contrer les incursions des colonnes rebelles armées sur le territoire tchadien en 2006 et en 2008, puis en 2019.
Bien que la dernière offensive des rebelles en provenance de la frontière nord du pays (vers la Libye) a emporté l’ex-président Idriss Deby Itno, on se souvient de la déclaration du président français Emmanuel Macron à ses obsèques, affirmant que « la France ne laissera jamais remettre en cause la stabilité et l’intégrité du Tchad ».
La Russie et les États-Unis en embuscade
Ces derniers mois, N’Djamena a multiplié des actes de rapprochement avec Moscou. Le président Mahamat Idriss Deby, dirigeant encore la transition, s’est rendu à Moscou en janvier 2024.Avec cette visite, il est devenu le premier président tchadien à s’y rendre depuis la visite de François Tombalbaye en 1960. La visite s’est soldée par la signature d’accords importants dans plusieurs domaines vitaux, tels que l’énergie et la sécurité.
Juste après son élection à la tête du Tchad en mai dernier, le président russe Vladimir Poutine a été l’un des premiers à féliciter M. Deby.
Puis en juin, Vladimir Poutine a dépêché une délégation conduite par son ministre des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, pour un séjour diplomatique à Ndjaména.
De l’autre côté, on ne sait pas si les États-Unis ont eu un retour en grâce en septembre dernier, après quelques mois de brouille avec N’Djamena.
Washington avait été contraint, en avril 2024, de retirer ses troupes qui opéraient avec des drones pour appuyer les opérations militaires tchadiennes.
Mais les autorités américaines ont annoncé que les deux parties avaient trouvé un nouvel accord en septembre dernier et ont convenu d’un redéploiement des forces américaines sur le territoire tchadien, même si les autorités américaines expliquent qu’elles seront en petit nombre.
Mais, les autorités de N’Djamena ont apporté un démenti à cette information via un communiqué du ministère des Affaires étrangères, et depuis, il est difficile de savoir si les positions ont évolué sur la question.
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Les conséquences de la rupture des accords militaires avec la France
Les prochains jours seront à coup sûr déterminants pour la suite des évènements, après cette dénonciation des accords de coopération avec la France.Mais Seidik Abba estime qu’il n’y aura pas de conséquences du côté tchadien, « étant donné que le Tchad a fait montre de sa puissance dans la région, se positionnant comme une armée aguerrie, capable de bien mener sa mission ».
Les conséquences, selon lui, « seront plutôt du côté de la France, qui en principe n’aura plus de présence dans le Sahel », explique l’analyste des questions sécuritaires.
Mais il estime que cette rupture des accords militaires conforte les États du Sahel (AES, composés du Niger, du Burkina et du Mali) dans leur position qui les a poussés à rompre leurs relations avec la France.
Il n’est pas clair si N’Djamena compte se rapprocher de ces États, avec lesquels ses troupes ont eu des jours d’entrainements conjoints en mai dernier.
Mais cette annonce intervient alors que le Tchad a également annoncé, il y a quelques semaines, son intention de se retirer de la Force Mixte Multinationale, une force conjointe de lutte contre Boko Haram, dont la capitale tchadienne abrite la base.
Le Nigeria peut-il devenir la nouvelle base militaire française ?
La rupture des liens de coopération militaires entre la France et le Tchad arrive à un moment où le président nigérian, Bola Tinubu, est en visite en France.Selon la presse française, les échanges vont plutôt porter sur la coopération économique, même si le Nigeria est apparu ces dernières années comme l’un des partenaires de la France dans la lutte contre l’insécurité dans la région.
Les deux parties peuvent-elles aller jusqu’à décider de l’installation d’une base militaire française au Nigeria ? Les experts sont prudents.
Pour l’ancien capitaine de l’armée nigériane Umar Aliyu, aujourd’hui expert en ressources sécuritaires, il faut attendre que les deux hommes fassent le point de leurs échanges.
Même s’il reste très dubitatif sur la possibilité d’une extension de la coopération entre les deux pays.
« Nous sommes anglophones, je doute que le président de mon pays accepte une telle offre si elle est faite, mais il faut attendre la fin de la visite pour être plus clair », déclare l’analyste.
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