Le groupe rebelle a récemment pris trois villes dans l’Est de la République démocratique du Congo, mettant en difficulté de nombreux civils dans la région. Bien que la nouvelle progression élargisse le territoire d’influence de ce groupe, les experts estiment que le M23 s’éloigne de ses objectifs de départ.
La situation dans l’Est de la RDC semble calme ces derniers jours, du fait d’une trêve humanitaire obtenue par les Etats-Unies, auprès des de l’armée Congolaise et du M23, après plusieurs journées d’affrontements dans le territoire de Rutshuru dans le Nord Kivu.
Les affrontements se sont soldés par le basculement de trois villes de cette province de l’Est du pays, suscitant de l’inquiétude jusqu’au sommet de l’Etat.
« Ce qui se passe à Kanyabayonga, à Kahini, dans les villages du sud de Lubero ainsi que dans les territoires de Rutshuru, de Nyiragongo et de Masisi, constitue une agression flagrante, contre notre souveraineté nationale. »
Déclarait le Président Felix Tshisekedi, d’un air grave, lors d’un discours à la nation, à l’occasion de la célébration le 30 juin, du 64ème anniversaire de l’indépendance du pays.
Dans l’Est de son pays, trois territoires sont passés entre les mains des rebelles, en une semaine d’échanges de tirs, sous le regard presqu’impuissant de l’armée loyale, et ses partenaires.
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Le principal enjeu, c’est le contrôle des zones qui avoisinent Goma et Sake, où ces richesses sont principalement concentrées. Les groupes armés essaient de s’emparer de cette zone depuis les années 1990, sans véritablement y parvenir.
Dans le Nord Kivu, beaucoup plus proche du Rwanda, le mouvement rebelle du M23 sévit. Dans la partie nord de la même province, c’est-à-dire dans le territoire de Beni, ce sont des rebelles des Allied Defense Forces (ADF), un groupe venus de l’Ouganda et qui a prêté allégeance à l’Etat Islamique qui est omni présente. Alors que, la milice CODECO, tente de s’imposer dans l'Ituri et des groupes armés locaux dans le Sud Kivu.
Après avoir été vaincu en 2012, le M23 a relancé ses offensives depuis novembre 2021, contre la région de Goma, avec visiblement pour ambition de s’emparer de la plus grande ville de l’Est congolais.
Réorientation des actions du M23
Ces dernières semaines, les affrontements sont particulièrement violents, bien que les assauts ne soient plus (pour le moment) dirigés contre Goma.Même si certains observateurs relativisent l’enjeu de ces captures de nouveaux territoires, sur la véritable influence que ces derniers représentent sur le terrain, et qui témoigneraient d’un accroissement de la puissance de feu du mouvement rebelle.
Ce qu’il faut néanmoins noter, c’est que le M23 a modifié son itinéraire, abandonnant ses zones privilégiées qui se recentraient plus sur la ville de Goma et ses environs.
En clair, le groupe qui a établi ses bases dans les collines du Rutshuru au Nord-est de Goma et qui tentait régulièrement des prises de cette ville, en passant par la zone montagneuse plus au nord, éprouve visiblement des difficultés à progresser.
Ces derniers mois, le groupe n’avait plus réussi à traverser les collines pour aller couper l’axe qui relie Sake, la plus grande ville à l’ouest de Goma, au chef-lieu de la région, comme il a eu à le faire par la passé.
Le M23 a donc redirigé ses armes vers le nord, traversant symboliquement la ligne qui sépare « le petit nord » du « grand nord », et est aussi allé ratisser plus à l’ouest, s’emparant de Masisi, plus à l'ouest de Sake ou le groupe avait ses habitudes.
Ce qui s’est traduit par la prise de Kanyabayonga et Kirumba, dans le nord de Goma, et Masisi dans l’ouest du chef-lieu de la région.
Conséquence de la prise des villes
Il faut d’abord noter que les bases du M23 dans le territoire de Rutsuru sont situées entre Goma et ses nouvelles prises.Déjà fin mai, lorsque le groupe s’était rapproché de la ville de Kanyabayonga, les conséquences ont été énormes. Des milliers de populations, habitant les villages situés le long de la centaine de kilomètres qui séparent les deux cités, n’ont pas eu de choix que de se réfugier à l’intérieur de Kanyabayonga, obligeant les dernières ONG encore présentes dans la région, comme le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), à suspendre leurs distributions d’aides aux populations.
Après des semaines d’affrontements entre les rebelles et l’armée congolaise, les rebelles ont pris le dessus, s’emparant de Kanyabayonga, puis, deux jours plus tard, de la ville de Kirumba, poussant d’autres populations à s’en fuir plus loin.
A Butembo, à quelques 230 Kilomètres de Kirumba, un afflux de déplacés est observable, explique Anelka Mwanya, membre de La Lucha, une organisation de la société civile locale. Ces déplacés, fautes de camps structurés, sont reçus par des habitants, qui « peuvent se retrouver à 40-50 dans une même maison » renseigne-t-il.
Les populations vivent dans l’inquiétude que les rebelles du M23 se retrouvent dans la zone explique la même source. Cette ville commerciale étant devenue un îlot de paix pour les populations fuyant les tirs du M23 au Sud, près de Kanyabayonga et Kirumba, mais aussi plus au nord, dans les zones de Magorogi où des militants ADF attaquent régulièrement.
« Les gens sont en train de se demander, quel sera notre sort, si jamais l’ennemi arrivait dans la ville. Cela crée une grande peur dans la ville, et des jeunes s’organisent et se relaient dans la nuit pour assurer la veille », poursuit notre source.
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Les villes prises ces dernières semaines, sont, en dehors de Masisi, situés sur le corridor de 340 kilomètres qui va de Goma le chef-lieu de la région, jusqu’à Béni, l’une des plus importantes villes situées au nord de la région.
Pour l’instant, l’axe est coupé en deux, et le M23 contrôle deux villes à mi-chemin. L’organisation a même installé une administration, renseigne Onesphore Sematumba, chercher du think thank International Ciris Group pour la région des Grands Lacs.
Les conséquences économiques de la prise des deux villes se font ressentir à Butembo. «C’est une ville dans laquelle les populations vivent essentiellement du commerce », explique Anelka Mwanya de la Lucha.
Seulement poursuit-il, les clients qui achètent les articles viennent de Kanyabayonga, Kirumba, Kayina, Mangorozipa, Rohinga… Mais aujourd’hui, ils ne peuvent plus venir ».
Dans le sud de Lubero, les populations ressentent déjà la hausse des prix, du fait que les populations ne peuvent plus se rendre dans leurs champs, explique Yasin Kombi, le correspondant de BBC Afrique à Beni.
Goma, plus au sud de la province, semble plutôt paisible, confient à la fois notre correspondant sur place et des acteurs de la société civile.
Le M23 peut-il prendre Goma, Butembo et Beni ?
Selon les experts, il est peu probable que cela arrive. Selon certains, le M23 semble avoir abandonné sa progression vers le Sud, d’abord, du fait de la présence dans les collines du Nord de Goma, qui traversent les villages de Mweso, Katsiru, Nyanzale Binza, ou encore Mahanga, des militants Wazalendo, des supplétifs civils qui prêtent main forte aux forces gouvernementales.Leur atout, tout comme le M23, c’est la très bonne maitrise de la zone. Ce groupe dont le nom issu du Swahili, langue parlée localement, signifie Patriotes, et dont le nombre n’est pas connu, constitue le premier rempart contre les rebelles.
En contre bas de cette zone, se situent les bases de deux forces de la Sadcc, la communauté des Etats de l’Afrique australe, à Savoir l’Angola et l’Afrique du Sud. Leur puissance militaire serait l’élément qui aurait le plus dissuadé le M23 de tenter de nouvelles incursions sur Goma.
Pour les tenants de cette hypothèse, le M23 serait en train de tenter une diversion, pour les troupes stationnées en ceinture de sécurité sur Goma, pour les attirer vers le nord, afin de tirer profit de sa maitrise de la mobilité dans la zone, et tenter une prise plus aisée de la capitale du Nord Kivu.
Mais ces hypothèses semblent moins plausibles pour Onesphore Sematumba. Le chercheur d’International Crisis Group pense plutôt que « la non chute de Goma n’est pas une réalité militaire, mais plutôt une réalité politique et stratégique de la part du M23 ».
Il s’appuie sur le fait que le mouvement rebelle avait déjà contrôlé la ville en 2012, et en a récemment contrôlé les voix d’accès. « Prendre une ville de 2 millions d’habitants et entouré de presqu’autant de déplacés de guerre représente un sacré défi pour une rébellion qui a besoin de ses ressources pour mener ses opérations ».
C’est peut être la raison pour laquelle le M23 aurait tourné le dos à Goma, pour tenter une percée vers le nord. Deux villes sont tombées.
Mais d’autres peuvent-elles encore basculer ? Les connaisseurs de la zone prévoient encore une marge de progression de ce groupe rebelle, du fait de l’unique présence, parfois sommaire des forces armées loyalistes, qui sont peu entrainés et mal outillés pour contenir les assauts des rebelles.
Mais la prise des deux plus grandes villes au nord de la province serait un sacré exercice, cela n’est d’ailleurs jamais arrivé par le passé.
Mais il faut noter cette fois une aide du Rwanda voisin aux rebelles du M23, citée à plusieurs reprises dans des rapports des Nations Unies que Kigali a toujours nié. Dans le rapport le plus récent publié le 8 juillet 2024, l’ONU estime entre 3000 à 4000, le nombre de soldats Rwandais déployés en appui aux rebelles du M23.
En plus du soutien dévoilé de l’Ouganda, un autre pays voisin de la RDC, qui, selon un rapport du groupe d’experts du conseil de sécurité des Nations Unies, aurait laissé transiter à plusieurs reprises les éléments du M23 et leurs soutiens présumés des forces rwandaises sur son territoire.
Kampala nie toute implication, déclarant qu’il ne collabore qu’avec le gouvernent congolais qu’il soutient.
Néanmoins, dans l’hypothèse où le groupe rebelle parviendrait à progresser d’avantage, il y a risque de croisement de feux, avec le M23 qui se retrouverait en pleine zone d’influence du groupe ADF, un autre groupe rebelle qui lui a un autre mode opératoire.
Une alliance entre les deux groupes serait donc difficile selon le chercheur d’International Crisis Group. Ce serait donc selon lui, un mélange explosif pour les populations.
Quelle solution pour la crise ?
La crise perdure dans l’Est de la RDC, depuis au moins trois décennies. Le pays enregistre près de 7 millions de déplacés internes, principalement dû aux multiples crises dans l’Est du pays, estime l’Organisation des Nations Unies pour les Migrations OIM, et les déplacements continuent dans l’Est, à en croire les organisations locales.Le président Felix Tshisekedi lors de son dernier discours a promis « sa détermination inébranlable à défendre notre territoire et à rétablir la paix », face à « cette agression injustifiée ».
Il a également pointé du doigt, sans le nommer, le Rwanda dans la dégradation de la situation sécuritaire. « Le refus de notre voisin de coopérer pleinement, sur des questions essentielles, tel que convenu avec le HCR, complique la résolution de cette crise humanitaire », a déclaré le président congolais.
Le dialogue souvent donné comme première solution à cette crise, et souvent initié par les voisins de la RDC, notamment l’Angola, pour le cas le plus récent, achoppe depuis des années.
Kinshasa a plusieurs fois refusé de s’assoir sur la même table de discussion avec le M23, tout en se montrant ouvert à discuter avec Kigali.
Mais, « Plus le Mouvement du M23 fait pression, plus s’éloigne l’éventualité d’un dialogue, ou d’une solution diplomatique s’éloigne », analyse Onesphore Sematumba.
La raison selon lui c’est que la RDC n’accepterait pas de discuter « avec un couteau sur le cou », et le M23 lui, « qui va de victoire en victoire », ne verrait pas pour le moment la nécessité de dialoguer avec Kinshasa.
Les parties semblent donc privilégier une action militaire dont la fin n’est visiblement pas proche. En décembre dernier, le président congolais alors candidat à une réélection à la présidence, a promis s’il était élu, de déclarer ouvertement la guerre au Rwanda qu’il accuse de soutenir le M23, et son homologue a répondu que son pays était prêt à se défendre.
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